lundi 24 avril 2023

La voisine sort de ses limbes

La voisine sort enfin de son confinement après une longue attente. Entamé, il y a plus de 20 ans son parcours a été semé d'embûches et entravé par le peu de disponibilité de son auteure. L'absence d'éditeur dans la liste de ses contacts pourtant très fournie mais pas du tout dans le domaine de la mise au monde d'un ouvrage classé littérature romanesque ne l'a pas encouragée à poursuivre. La voici enfin prête à prendre son envol, grâce à une jeune maison d'édition, rien ne remplace le contact direct. Elle est donc de sortie le 2 mai, juste après les grandes manifestations prévues pour persister dans le harcèlement de nos élus, sourds même aux concerts de casseroles. La voisine  n'est pas très activiste à rebours de son autrice, elle serait plutôt en retrait du monde, au point de disparaître après avoir changé d'identité.

Longtemps restée stockée dans la mémoire de l'ordinateur, elle a été revue par une ancienne agente littéraire, donnée à lire à (très) peu d'amis (il est si difficile de donner un avis à un.e ami.e en toute honnêteté).  Envoyée à une dizaine d'éditeurs qui l'ont honorée de réponses banalisées. Bref, elle n'espérait plus accéder au statut de vrai livre que des lecteurs peuvent se procurer en cliquant sur ce lien, . Il sera possible de le commander en librairie à partir de mai.

Bien-sûr, l'auteure n'espère pas vivre de ses ventes, seulement permettre au jeune éditeur, qui a accepté d'inaugurer sa collection avec cet ouvrage, de couvrir ses investissements. Si vivre de son écriture était vraiment possible, il n'y aurait pas autant d'écrivain.e.s de talent qui seraient contraint.e.s de se livrer à d'autres activités plus lucratives (enfin "lucrative" au moins permettant de vivre), ainsi qu'en a témoigné Bernard Lahire

"Acteurs centraux de l'univers littéraire, ils sont pourtant les maillons économiquement les plus faibles de la chaîne que forment les différents " professionnels du livre ". À la différence des ouvriers, des médecins, des chercheurs ou des patrons, qui passent tout leur temps de travail dans un seul univers professionnel et tirent l'essentiel de leurs revenus de ce travail, la grande majorité des écrivains vivent une situation de double vie : contraints de cumuler activité littéraire et " second métier ", ils alternent en permanence temps de l'écriture et temps des activités extra-littéraires rémunératrices".

Quand ces activités "rémunératrices" sont excessivement "time consuming" (pardon pour l'anglicisme qui me vient spontanément parce que je travaille très souvent en anglais) le temps d'écriture personnelle est lui même réduit à peau de chagrin (terme o'combien approprié en l'occurence).   

C'est donc le premier roman qui vient enfin au jour (il y en a d'autres qui attendent, déjà écrits mais...) Vous qui me suivez fidèlement, merci de lui faire bon accueil.  Si vous l'aimez, dites -le moi. Sinon, vous pouvez aussi le dire. Toute critique est utile à condition qu'elle soit aimablement formulée.

 



 

mardi 28 mars 2023

Mélancolère

 "Ecrire. Verser avec rage toute la sincérité de soi sur le papier tentateur, si vite, si vite, que parfois la main lutte et renâcle, surmenée par le dieu impatient qui la guide... et retrouver, le lendemain, à la place du rameau d'or, miraculeusement éclos en une heure flamboyante, une ronce  sèche, une fleur avortée". Colette La vagabonde .  


Il y avait si longtemps que j'avais lu Colette, avec gourmandise et jubilation. J'avais seize ans et sa Claudine m'ouvrait des passages vers mes propres émois. J'avais par la suite lu le Blé en herbe, Chéri, et quelques autres mais j'étais plus âgée et en dépit de cette écriture foisonnante, sensuelle, attachée à restituer le goût et les odeurs des choses de la vie, je cessais de la lire. On lui rend hommage ces derniers temps  à l'occasion du 150 ème anniversaire de sa naissance et j'ai eu envie de la relire. 

La vagabonde est le roman d'une femme qui a dû trouver du travail pour vivre après son divorce. Elle pratique la pantomime dans un cabaret en compagnie d'un complice qui la bouscule avec tendresse et au milieu d'artistes qui sont tous comme elle dans la dèche. Renée, c'est son nom, ne veut plus entendre parler des hommes et lorsqu'un admirateur énamouré la poursuit, elle le dissuade jour après jour. Mais la tenacité de l'amoureux finit par la convaincre et elle s'abandonne au plaisir d'être aimée par un homme, fortuné de surcroit. Hélas, lorsque le bel amant veut devenir le vilain mari, l'attachement est au prix de la liberté et Renée  choisit de rester vagabonde.     

On sait que Colette a en effet travaillé dans des music halls après avoir divorcé de Willy. Non seulement celui-ci l'employait à écrire des livres qu'il signait de son nom mais collectionnait les conquêtes. La vagabonde décrit avec humour le petit peuple des coulisses avant son passage sur scène. Le roman est un témoignage de cette époque, entre les deux guerres où on aimait le caf' conc' et où le monde interlope se frottait aux bourgeois dans ces lieux de plaisir.  Je vais poursuivre avec Le Pur et l'Impur méditation agréablement agrémenté d'exemples sur  le plaisir amoureux . Mais auparavant j'ai d'autres livres à lire impérativement.

Le premier livre de Pauline Hillier. "A vivre couché". Je vais le  lire à la suite de son dernier  qui m' a beaucoup impressionnée et émue . À l'issue d'une manifestation, Pauline, jeune Française, est arrêtée et conduite à La Manouba, la prison pour femmes de Tunis.


 C'est en effet une quintescence d'humanité qui habite ce livre. On y découvre des destins de femmes entravées qui n'ont souvent pas eu le choix de vivre en marge, de débrouille, de petits délits, voire de se débarrasser du monstre qui leur infligeait coups et humiliations. Le livre est tout sauf un long sanglot. Il est drôle et surtout pas manichéen et il donne à voir les conditions indignes dans lesquelles les femmes survivent et les formes de solidarité qui s'inventent pour y résister.

Comme chaque année, je suis allé marcher avec les femmes, le 8 mars. C'est une sorte de marronnier de ce blog. Chaque fois je capture quelques slogans qui m'amusent. Je zoome de façon à préserver le droit à l'image des porteuses de pancarte qui sont toutes de ravissantes jeunes femmes. Elles assurent la relève sont plus virulentes et assurées que nous pouvions l'être.

  




"Mélancolère", c'est un mot valise du poète Romain Noèl cité par Marielle Macé dans son ouvrage "Sidérer. Considérer. Il correspond bien à l'état d'esprit dans le quel je me sens actuellement; 

Pour créer une autoroute, l'A69 devant relier Castres à Toulouse, ne présentant aucune utilité réelle, sauf celle d'implanter des péages sur un parcours dont il suffisait d'élargir la nationale actuelle qui ne croule pas sous le trafic, on abat des arbres un peu partout sur le parcours, on saccage des terres agricoles, on exproprie des gens. Ce projet vieux de 25 ans qui a été repoussé par plusieurs recours est imposé en force. A l'heure où il s'agit de sauvegarder tout ce qui peut lutter contre le réchauffement climatique, cette absurdité va se réaliser. Des activistes courageux jouent les écureuils dans les arbres pour freiner l'avancée des machines avant la date du 31 mars après laquelle il est interdit d'abattre les lieux de nidification des oiseaux. Ils sont bien entendu sous haute surveillance.

Je suis allée à leur rencontre samedi dernier. Il fallait se faufiller entre les camions bleu marine. Une fois dans le groupe, c'était joyeux mais rempli de "mélancolère". Où iront les oiseaux ensuite ? Et cette belle architecture lentement élaborée par la patience de la sève, sera déchiquetée en quelques minutes.

 



     Je ne dirai rien des manifestations contre la réforme des retraites  sauf peut-etre cela glané jeudi à Paris

 


Et pour conclure, cela, affiché dans un tiers-lieu proche de la Bastille où après une table ronde bien paisible, suivie d'un apéro dinatoire, nous sommes sortis environnés de camions de CRS et de BRAV-M 


Chacune des bribes rassemblées ici mériterait un développement plus long, mais le blog n'est pas le lieu des  approfondissements, c'est un calepin où on consigne de petites notes pour ne pas tout à fait oublier. 


mardi 31 janvier 2023

Ca ne s'arrange pas !

 

 HCE - Rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France

 9 femmes interrogées sur 10 affirment anticiper les actes et les propos sexistes des hommes et adoptent des conduites d’évitement pour ne pas les subir. Ainsi elles renoncent à sortir et faire des activités seules (55 %), à s’habiller comme elles le souhaitent (52 %), veillent à ne pas parler trop fort ou hausser le ton (41 %), ou encore censurent leur propos par crainte de la réaction des hommes (40 %). Près d’une femme sur 5 (18 %) a des difficultés à prendre la parole au sein d’un groupe. 8 femmes sur 10 ont peur de rentrer seules chez elles le soir.
Ces contraintes constituent comme une seconde « charge mentale » pour les femmes alors qu’elles doivent déjà subir celle, « classique », de l’addition des tâches professionnelles, familiales et ménagères.
Cela induit une perte de confiance en soi des femmes et entraîne des conséquences concrètes sur leur vie quotidienne et leur parcours professionnel : par exemple, 35 % des actives n’ont pas osé demander une promotion ou une augmentation, et cette proportion atteint 44 %, soit presqu’une femme sur 2 pour les CSP moins. Les situations sexistes au quotidien peuvent donc fonctionner comme des trappes à bas salaire et expliquer pour partie la persistance d’inégalités salariales sur le marché du travail.
Nouvel enseignement de l’étude : 15 % des femmes ont déjà redouté voire renoncé à s’orienter dans les filières / métiers scientifiques ou toute autre filière / métier majoritairement composé d’hommes, surtout par crainte de ne pas y trouver leur place ou de s’y sentir mal à l’aise, mais aussi par peur du harcèlement sexuel pour 18 % d’entre elles. Un taux qui s’élève à 22 % pour les 25-34 ans.

 

Beaux Arts, Cour Bonaparte

A 18 ans, je suis arrivée de ma province à Paris et je me suis inscrite aux Beaux Arts, en Architecture. J'étais émerveillée de faire mes études à Paris. L'atelier où on était admis en préparatoire  portait le nom d'un Maître reconnu, tous les niveaux s'y côtoyaient dans la grande salle. Les "nouveaux" avaient un atelier plus petit et étaient soumis à la corvée dite de "Masse", une fois par semaine. Elle consistait à se mettre à la disposition des anciens, soit pour aller leur acheter des clopes ou des bières, à changer leur disque de stationnement (oui,ça existait encore, les parcmètres n'étaient pas encore inventés) ou encore à "gratter" pour eux sur un de leurs travaux, c'est à dire à tirer des lignes au Rotring rapidograph, épreuve épouvantable en ce qui me concernait. Nous n'étions pas nombreuses, quatre ou cinq, deux nouvelles, dont moi, et trois anciennes mais qu'on ne voyait guère, sauf les jours d'exposition des travaux, que le Maître parcourait arborant un nœud Pap du plus bel effet. C'était la joyeuse époque des  bizutages avec moult enfarinages et autres stupidités plus violentes. Pour moi, c'était le harcèlement qui m'était difficile. J'avais fini par ne plus traverser la salle des anciens pour me rendre à la bibliothèque ou aux amphithéâtres. Je descendais les quatre étages vers le quai Malaquais, remontait la rue Bonaparte pour rejoindre la cour d'où j'empruntais l'escalier (plus monumental) pour rejoindre la bibliothèque évitant ainsi, les lazzis, les allusions à mes seins et mes fesses et les mains qui se tendaient pour les tâter en toute impunité. Mais comme je ne pouvais échapper aux jours de masse, selon les zigotos présents, c'était éprouvant, humiliant, détestable. J'ai vite compris que ce métier était destiné essentiellement à des mâles, issus de familles fortunées, qui avaient les moyens de maintenir  en apprentissage, pendant de longues années, les futurs génies de la pierre. Je vivais avec un de ces rejetons qui a continué ses études, sans moi. J'ai bifurqué vers l'Université des Sciences Humaines où les mœurs étaient un peu moins cyniquement machistes (quoique). Et j'ai pu constater que les estrades étaient toujours occupées par des hommes même si la population estudiantine était là en grande majorité féminine. J'ai gardé un goût certain pour le bâtir, qui m'a été utile au moment de la rénovation des lieux que j'habite. J'ai cessé de dessiner (envie parfois de m'y remettre). j'ai mis un certain temps à oser prendre la parole en public et même si je suis très entrainée désormais, je subis encore très souvent l'interruption ou l'ignorance quand je parle. Je me suis parfois demandé si j'aurais persisté si le milieu n'avait pas été aussi violent à l'égard du féminin. Je pense tout de même que ça a changé et que les jeunes hommes sont un peu moins crétins. mais le rapport du HCE n'est pas très encourageant. "Du sexisme quotidien, dit « ordinaire », jusqu’à ses manifestations les plus violentes, il existe un continuum des violences, l’une faisant le lit des autres" (...) une situation qui s’aggrave avec l’apparition de phénomènes nouveaux : violence en ligne, virulence accrue sur les réseaux sociaux, barbarie dans de très nombreuses productions de l’industrie pornographique, affirmation d’une sphère masculiniste et antiféministe.

Que les femmes osent s'émanciper, ça enrage les fortiches de la suprématie, d'autant qu'on avait réussi à leur faire croire à ces "dindes" qu'elles étaient des incapables et qu'elles prouvent non seulement qu'elles ont beaucoup de talents mais elles exhument désormais les oubliées de l'histoire, les scientifiques qui ont trouvé mais se sont fait voler leur découverte, les artistes ignorées qui ont pourtant créé des œuvres magistrales et les écrivaines nobelisées. 

On espère que ce sont les derniers soubresauts et que nous allons enfin pouvoir établir des relations dégagées de toutes les scories d'un patriarcat devenu obsolète. On espère...

    

     

jeudi 29 décembre 2022

D'images et d'eau fraîche

J'ai eu envie de partager quelques unes de mes photos publiées sur le blog défifoto,  qui vit peut-être ses dernières heures faute de combattants. Le premier du mois une photo selon un thème  sélectionné après propositions puis votations.

Thème photo retravaillée.

 Ce désir m'a été inspiré par
le titre du très beau livre de Mona Chollet qui est paru en septembre, magnifiquement illustré des captures qu'elle collectionne sur Pinterest dans une sorte de monomanie dont elle livre le détail. 

Elle débute son ouvrage en citant Rezvani, un auteur qu'elle révère et je ne peux que m'identifier. "Les années lumière" et l'histoire d'amour avec sa Lula m'avait si fortement touchée. Le bel amour  n'a pris fin qu'à la mort de Lula après 50 ans de vie à la Garde Freinet, dans le Massif des Maures où le couple s'était installé, fuyant la Capitale. Rezvani vient de faire paraître à presque quatre vingt quatorze ans "Beauté, j'écris ton nom".

Venise, hiver 2015

Mona Chollet analyse son "addiction" à l'image,  collection compulsive, une évasion quotidienne qui lui permet d'échapper à l'actualité anxiogène. D'une certaine façon, c'est essentiellement cela le rôle du web, fournir à chacun une échappatoire.

Denis Grozdanovitch   dans son livre "La gloire des petites choses " note que " le soir venu, le moindre hameau perdu parmi les bois et les prés (...) littéralement partout, jusqu'aux fenêtres des fermes les plus délabrées, palpitent les lueurs des écrans censés nous relier au monde de nos contemporains et qui n'aboutissent pourtant qu'à créer cet étrange phénomène oxymorique de plonger le monde entier dans une gigantesque solitude collective. L'ultramoderne solitude que chante Souchon.

 

Effilochés (Nuages)

Dans un monde de l'utilité mesurable en espèces trébuchantes, Mona Chollet interroge la relation équivoque que nous entretenons avec la rêverie, le plaisir de la contemplation. Elle cite Susan Sontag "une société capitaliste exige une culture assise sur des images. Elle doit fournir de la distraction en grande quantité afin de stimuler la consommation et "d'analgésier les blessures de classe, de race et de sexe". Le philosophe Michel Foessel s'oppose à cette vision  "Jouïr dans un monde injuste trahirait toujours une compromission" en affirmant : "le plaisir fait avec ce qui est là (...), mais dans ce "faire" l'avenir cesse d'être seulement espéré, il commence ici et maintenant"

Mona Chollet nous offre en partage toute une série de vignettes et commente les appariements qu'elle a fait avec des images de son enfance, des lectures, des rencontres. Elle créé des albums selon des thématiques  qu'elle affectionne et note que la profusion qu'Internet et le numérique ont introduite permet de ne plus choisir entre l'appropriation et le partage".

C'est le propre de la connaissance, de la culture : donner ne signifie pas perdre mais au contraire s'enrichir du plaisir partagé. Son livre est un recueil réjouissant de réflexions et d'illustrations à offrir ou s'offrir. 

Mona tenait une sorte de blog  Périphéries dont je vous conseille les archives.

Silhouettes d'amies, La Rochelle


 Denis Grozdanovitch  se demande comment nous en sommes venus à négliger la poésie (au passage il n'est pas tendre pour René Char, ce qui m'a un peu troublée). Il rend hommage à un photographe que j'ai découvert, Bernard Plossu qui "nous aide à percevoir le charme inégalable de l'anodin et du familier". J'ai pensé à Henri Zerdoun dont je suis le travail depuis de nombreuses années. Il publie sur Facebook des photos magnifiques selon des thèmes. En ce moment il s'agit de la pluie. DG termine son livre (un bijou d'intelligence, d'humour, de culture) par une série de citations de poètes et notamment d'haïkus. Je souscris pleinement à son propos : la désaffection pour la poésie véritable, si criante aujourd'hui, nous la devons principalement au pragmatisme économique qui a envahi le monde avec l'avènement du productivisme industriel, indifférent, voire hostile à la marche discrète des mouvements infimes.  

Alcôves maritimes

Dans les alcôves maritimes

Nos fiancées se languissent

Serons nous bientôt des hommes  

Aimants à leurs côtés ?

Ou des mutants à genoux

Implorant sans espoir la manne matérialiste

Qui jamais n'étanchera nos soifs d'absolu

Guillaume Lashi Manifeste poétique de la terre en feu. Editions Pelandra


Vers où aller ?  


Y'a une route (Manset)


Photos ZL


dimanche 4 décembre 2022

Un si grand désir de silence

 

Au milieu du brouhaha, des bruits du monde et de nos propres pensées, comment retrouver le sens du silence ? Dans notre société saturée de paroles et d'images, a-t-on oublié qu'il était parfois bon de se taire, un peu ? Gratuit, improductif et en définitive profondément subversif : si on faisait dans nos vies une place au silence pour écouter ce qu'il nous dit de l'accueil et de la disponibilité, de l'ascèse et de l'ouverture ?
C'est ce à quoi nous invite Anne Le Maître dans une réflexion nourrie de références littéraires et d'anecdotes empruntées à son itinéraire personnel.
Une promenade enchanteresse en terre de silence.
(4ème de couverture)
.

Les livres ne nous parviennent pas par hasard. Une amie vous le conseille, un titre vous accroche, un extrait vous séduit. Dans le cas de celui-ci les trois raisons se sont additionnées. S'y est ajoutée une dernière, j'avais vraiment besoin de silence après des journées chargées d'échanges, de bruit, de remue ménage. J'ai la chance d'habiter loin du tumulte d'une ville, au milieu des champs. Et même si la route en contrebas est plus utilisée désormais qu'auparavant, le traffic est limité aux heures de départ vers leur travail et de retour de, des habitants alentour.

J'ai donc pris le temps de déguster ce livre, écrit pendant le confinement, époque étrange qui a permis de découvrir les bruits d'ordinaire masqués par les pétarades des moteurs et des machines, le brouhaha des conversations, les sirènes et autres hurlements de la vie courante, dans tous les sens du terme . 

A Paris on s'est esbaudi d'entendre le chant des oiseaux. Ici sur ma petite colline, je l'entend  en permanence, mais est-ce que je prend le temps de l'écouter ? Est-ce que je sais reconnaître l'un ou l'autre de ces chanteurs ? Pas vraiment. Anne Le maître se fait cette réflexion." A l'écoute de ce qui sifle et de ce qui pépie, de ce qui trotte et de ce qui bourdonne, de ce qui pousse et de ce qui fane , dans le silence je m'ouvre au non verbal qui est tout sauf absence de parole"

Je vis de plus en plus dans le silence. Le bruit du monde avec ses litanies anxiogènes me déprend de cette sorte de tranquillité toujours menacée que j'essaie d'atteindre hors des temps que je consacre à mes occupations d'activiste utopique. 

Même la musique peut me sembler intrusive. C'est que "écrire n'est pas simplement mettre en forme des idées ou coucher sur le papier un flux de pensée. Ecrire c'est aller avec les mots, là où on n'imaginait pas aller. C'est laisser à sa pensée la liberté de prendre forme sous la plume. C'est prendre la mer sans bien savoir où conduit le voyage ni ce qu'on rapportera dans ses filets (...) C'est se mettre en état de réceptivité, laisser venir à soi ce qui peut-être doit venir et qu'on ne savait pas . Blotti conter le ventre du monde, c'est se laisser traverser par ses vibrations, le stylo en guise de sismographe" .

Je reviens à cette écriture là. Qu'en adviendra -t-il ?

Ce livre rapelle fort à propos que pour écouter, il faut savoir se taire, leçon utile dans notre époque bavarde.

              

 

samedi 19 novembre 2022

Zoë Lucider fait son coming out


 ZL est un pseudo. La plupart de mes lecteurs le savent. Mon vrai nom apparaît sur la couverture de ce livre dont j'ai assuré avec mes deux comparses la coordination.

Pour en savoir plus, le lien de l'éditeur https://www.editions-eres.com/.../leconomie-solidaire-en...

Vous pourrez passer en revue le sommaire

Tant que j'y suis, l'édito de la dernière lettre d'information du RIPESS Europe.

En ce moment en pleine préparation de la journée du 24 novembre où sera présenté l'ouvrage en compagnie d'une vingtaine d'auteurs à la Maison des Territoires du Conseil Départemental 31.

Vous comprenez pourquoi je suis si peu souvent sous l'arbre.

Photo ZL

mardi 1 novembre 2022

Ma mère

 Un jour, Jean Cocteau rencontre Charles Chaplin (avec Paulette Godard) sur un bateau vers la Chine. Il raconte leur voyage (). Lorsque Cocteau l'interroge sur ses "crises de tristesse", Charlie répond : "Je suis triste parce que je suis devenu riche en jouant un rôle de pauvre."(emprunté à Thomas Vinau).

Chaplin est mort le 25 janvier 1977.

Aujoud'hui, le jour des morts, j'ai retrouvé un poème que j'avais écrit à ma maman parce que j'étais loin, à l'étranger, que je n'allais pas revenir de sitôt, que je la savais triste et seule. Ce poème, je l'ai lu le jour où son corps a disparu dans les flammes, pour l'accompagner dans  son dernier voyage. J'avais ajouté  quelques mots de circonstance. Je le livre ici dans sa version originale retrouvée ce jour dans un calepin que j'avais égaré. Je l'illustre d'un dessin maladroit, mais que j'aime car j'y retrouve les traits de ma maman, disparue en 1993, la même année que Fellini et Ferré, Une annus horribilis.




  


Ma mère,

déjà, nichée dans ta grotte

battue des marées de ton sang,

j’écoutais le tumulte du monde,

tendrement voilé de tes membranes,

drapées autour du petit ver,

nourri de tes salives.

Tu as eu de belles mamelles, ma mère

où se sont pendus tes petits

couverts de duvets bleus.

Notre gravité accrochée à tes membres,

nous tournions dans le rayonnement de tes yeux,

tes yeux gris, verts, semés de pépites,

que le temps a cerclés de ses bagues violines,

ces sillons creusés à l’acide de tes larmes ,

au stylet de ton rire.

Ton rire, ma mère

qui soufflait le diable de la misère

comme nos brises d’ouest

lavaient l’herbe de nos champs,

ton rire intact malgré le froid

qui te coupait les jambes

quand tu partais, à l’aube,

malgré la maladie et la mort,

assiégeantes infatigables

que tu conjurais,

parfois en vain

de tes mains besogneuses,

malgré la honte et l’injustice,

le sort des pauvres,

que leurs cœurs nus

et leurs bras lourds

à offrir à l’envie.

Ta lutte, ma mère,

pour extirper tes oiseaux de ces nids englués,

pour arracher tes graines à ces terres stériles,

tu as usé ton bec contre les coucous du malheur,

tu as fumé de ta sueur et ton sang

le sol de notre première pousse.

Je t’ai mangé ma mère

avec l’horrible inconscience des chenilles

dévasté ton champ de verdure,

croqué les bourgeons de ta vie.

C’est maintenant,

maintenant que je touche

les cals et les escarres de tes luttes,

ton corps alourdi de tant de fardeaux,

maintenant,

je fonds de tendresse et de honte.

Je veux à mon tour déployer ma feuillée,

fouiller de mes racines au plus profond du monde,

à mon tour freiner la tempête,

distiller l’oxygène,

fertiliser de mes mues de saison

l’aire de ton automne.

J’ai su par toi

les mains ouvertes, la générosité vraie,

le cœur offert, la tolérance immédiate,

l’humilité, pourtant la dignité,

maintenant,

que nous sommes aussi sœurs,

que je sais le prix que la vie ,

cette pie rançonneuse

exige de ses fidèles,

que je connais mieux

tes stations et tes chutes ,

que je tombe moi-même,

maintenant

que les enfants te poussent

du ventre de tes enfants

maintenant,

nous retournerons la corne d’abondance.

****************

18 janvier 1978