samedi 27 avril 2013

Dans les vieux vases...




 Henri Zerdoun Le corps en suspens

Miss Pourquoi

mon bagage est de vent
heureux ceux qui portent des évidences
ceux qui sabrent les moulins
ceux que le jour traverse sans nuit
il parait que je vis
ciels et nuages me gouvernent
mon sang voyage
mes mains bougent, pattes d'oiseaux
mes cheveux poussent en murmurant
il parait que j'ai vécu
lente alchimie corrosive
de miels et d'acides
de laits et d'alcools
il parait que je suis née
petite miss pourquoi
why and what for
est-ce qu'on répond à une telle question ?
ma traine est de cendres chaudes
heureux ceux qui s'habillent de mailles,
ceux à qui l'habit sied,
ceux que l'idée cuirasse sans défaut
il parait que je suis
ondes et souffles me traversent
mon oeil clignote
et mes genoux s'endorment
mes cheveux poussent en murmurant
il parait que je serai
simple érosion fluide de grains et de poudre
de sciure et de lave
il parait que je mourrai
why and what for
est-ce qu'on questionne une telle réponse

J'avais publié ce poème (j'en publiais en ces temps reculés tiens!) chez Anna de Sandre le vendredi 6 novembre 2009, échange de Vases communicants, tandis que la belle Anna s'était installée sous l'arbre.
Comme il n'est plus localisable, je le remets en bonne place ici, ce soir. Recyclage, parfaitement!
Et en complément, Avishaï Cohen, j'ai mes fidélités.

vendredi 19 avril 2013

Vies minuscules


"je ne savais pas que l'écriture était un continent plus ténébreux, plus aguicheur et décevant que l'Afrique, l'écrivain une espèce plus avide de se perdre que l'explorateur; et, quoiqu'il explorât la mémoire et les bibliothèques mémorieuses en lieu de dunes et forêts, qu'en revenir cousu de mots comme d'autres le sont d'or ou y mourir plus pauvre que devant -en mourir- était l'alternative offerte aussi au scribe" Pierre Michon Vies minuscules Gallimard 2008, p 16.

Je suis revenue sur ce livre de Michon, parce que je pensais à mes propres écrits (jamais publiés pour cause d'absence de prospection auprès d'éditeurs), que j'écoutais hier soir Lydie Salvayre, invitée de Kathleen Evin dans l'Humeur Vagabonde pour "7 femmes : Emily Brontë, Marina Tsvetaeva, Virginia Woolf, Colette, Sylvia Plath, Ingeborg Bachmann, Djuna Barnes" paru le 4 avril 2013 aux éditions Perrin 
 et que je lis Emmanuelle Urien, après avoir absorbé d'une traite l'eau des rêves de Manu Causse.

Et donc, quel rapport entre Michon, Salvayre (et ses "Sept folles. Pour qui vivre ne suffit pas", des "allumées", des "insensées"), Emmanuelle et Manu ? (et mes manuscrits croupissant). Les mots cousus d'or ou le cercueil. 
Les écrivaines que Lydie Salvayre a choisies  (exception faite de Colette) n'ont pas eu la vie facile et sont mortes suicidées,  dépressives et /ou dans la misère. Double malédiction femme et écrivain. 
Michon lui-même a longtemps vécu très chichement en buvant beaucoup. Son écriture et son univers n'étaient pas "bankables".

Quid de nos deux Manu et Manue. Et bien, l'eau des rêves est une plongée dans l'univers d'un mec qui ne parvient pas à vivre sans être obsédé de lui-même et de la mort que son grand-père s'est donnée avant sa propre naissance. Il se vit comme l'héritier de ce René, d'un destin contraint, glauque, empêché. Le secret de famille bien / mal gardé, Emmanuel le fait exploser le jour de l'enterrement de la grand-mère, la femme de ce grand-père qui s'était tranché les veines, assis dans son champ, sous l’œil impassible de son cheval. Cette mort hante la vie du petit fils et la tentation du suicide le prend d'assaut alors que le dégoût de soi le submerge. Cette partition sur le combat que chacun mène à sa manière pour s'inventer en dépit des déterminismes familiaux et sociaux (aller aux putes fait partie de la vie ordinaire des ouvriers que le personnage fréquente depuis qu'il a décidé d'abandonner son métier de graphiste pour s'abrutir de fatigue, seule façon d'échapper au manège de son obsession, aller aux putes, il n'y parvient pas). Ecriture scandée, où l'ordure qui fait partie de nos vies minuscules n' est pas fardée mais exposée  avec quantité de termes délibérément crus, en contraste avec des envolées poétiques, délicates. Ces aller-retour sont ceux de nos états absurdes entre exaltation et désir d'harmonie et totale désespérance de nous savoir si proches de la déliquescence, si près de la mort.

Emmanuelle Urien m'a fait cadeau de son livre mardi. Son éditeur n'avait pas prévu le nombre nécessaire au Salon du livre et du vin de Balma. Elle m'en a donc convoyé un exemplaire au Bistrologue où s'enregistrait la 100e de Pas Plus Haut Que Le Bord. (Je les aime bien tous ces zozos, avec un faible pour Dahu, Desproges, sors de ce corps!). J'ai donc entamé L'art difficile de rester assise sur une balançoire et ne saurait en faire une appréciation sauf à dire qu'une fois de plus il s'agit là d'une banale affaire de couple brisé. Mais d'emblée, le ton tient à distance le pathos, la doulhaine s'exprime dans la rage et j'attends la suite pour vérifier l'efficacité du procédé : pour oublier un homme qui vous a trahie, faites comme s'il était mort. le deuil est plus confortable que la trahison, jusqu'à ce qu'il meurt vraiment .

Seulement ce qui compte dans la littérature, ce n'est pas tant l'histoire (quoi de plus ordinaire que la vie d'Emma Bovary, c'est d'ailleurs bien ce dont elle souffre), mais la musique des mots, les collages,  les  trouvailles, et le courage de celui qui va fouiller dans les misérables et grandioses secrets de nos vies minuscules, pour retourner sous nos yeux ce que sa bêche aura exhumé de ces tréfonds.

Paradoxalement, c'est sans doute ce qui m'a si mal encouragée à rendre publique ma prose. Défaut ou excès d'égo ? Aquoibonisme aussi. Tant et tant de livres ! Ma contribution liliputienne est-elle bien nécessaire? Mais encore, étais-je destinée à cet avenir improbable, à ces affres (l'ai-je bien descendu?), à ces séances de signature où on est aligné (par ordre alphabétique à Balma !!!) contraint d'écouter s'épancher des quidams dont on aura oublié le nom après l'avoir soigneusement orthographié sur la première page de notre précieux opuscule.  Apparaître puis disparaître. Croire à tout prix à l’extrême importance de ce qu'on a extrait dans l'effort (et dans le plaisir, fort heureusement) et tenter d'en convaincre des journalistes plus ou moins complices (ils vous ont invité-e) mais parfois pernicieux ou un rien stupide (Emmanuelle en recense quelques illustrations, voir le lien ), afin qu'ils relaient le texte vers le lecteur (acheteur) potentiel
J'ai choisi un terrain d'exercice guère moins miné qui m'a conduit à écrire beaucoup (argumentaires / projets / articles / conférences) mais où je pouvais jouer collectif et ne pas être sans cesse rabattue sur ma propre  vie minuscule. Ce choix ne m'a pas guérie du désir d'écrire, il en a dérivé la pulsion. Était-ce une bonne option?
Il y a tant de façons d'exercer. 

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Afin de conclure sans répondre à cette question, vous conseiller un film Bianca Nieves, Le conte revisité par Pablo Berger. Pas de discours, les pancartes du muet, art de la lumière, du montage, beauté des femmes, affrontement du bien et du mal avec une belle-mère perverse à souhait et des nains burlesques et touchants, un hymne à la tauromachie (dont je déteste le principe ) où le taureau joue un rôle particulier: il est celui qui accomplit l’œuvre de justice, puissance de la musique. Un chef-d’œuvre. Une jeune fille analphabète accède à un destin extraordinaire et nous sommes tous cette belle endormie qui attend le baiser de la délivrance.

vendredi 12 avril 2013

Nostalgie de la lumière


Vu hier soir ce film sublime, Nostalgie de la lumière,
Une réflexion forte sur notre relation au présent (la crête fragile de l'instant) qui ne prend sens que dans la profondeur du passé que vont ausculter les gigantesques  télescopes installés dans le désert d''Atacama au Chili pour y découvrir l'origine de l'univers, tandis que les mères ou les sœurs des disparus de la dictature Pinochet creusent  le sable à la recherche éperdue des restes de leurs martyrs.  Beauté des paysages, des ciels criblés d'étoiles,  émotion des témoignages, un voyage extraordinaire au cœur de l'histoire de l'humanité.
Un chef d’œuvre de la sérénité cosmique.

mardi 9 avril 2013

Bravo Zéromacho !


Abolition de la prostitution les hommes se mobilisent


Ce n'est pas que je n'ai rien de mieux à dire, c'est qu'ils disent ce que j'aurais dit si j'avais été devant la télé quand Taddéi (qui me déçoit sur ce coup) a invité ces lascars. Heureusement nos copains veillent. Merci à eux.
 

Zéromacho, réseau international d’hommes engagés pour l’égalité femmes-hommes, exprime son indignation après les récentes soirées de France 2.
Le 4 avril 2013, l’émission « Complément d’enquête » a diffusé le sujet « Où sont les hommes ? » Il aurait suffi à Benoît Duquenne et son équipe de regarder l’organigramme de leur propre entreprise pour trouver la réponse : aux postes de commande, comme partout. Dans la finance, l’économie, la politique, la science, la culture, la santé, nous les hommes occupons toujours les places de commandement et de prestige, avec les privilèges qui en découlent.
Au contraire, l’émission a aligné une litanie de clichés sexistes et misogynes : il y aurait une « guerre des sexes » et non des injustices imposées aux femmes, le machisme aurait disparu et les femmes, ayant obtenu l’égalité de droits, auraient dans notre société toute la place qu’elles méritent…
Enfin, on a repris sans aucune distance la diatribe masculiniste sur la prétendue injustice en matière de garde d’enfants, qui serait organisée au détriment des pères. Faut-il encore rappeler que près de 80 % des enfants sont confiés à leur mère parce que leur père ne demande pas la garde alternée, se satisfaisant d’un week-end sur deux, avec la liberté qui l’accompagne ?

Le 5 avril 2013, l’émission « Ce soir ou jamais » s’est de nouveau illustrée sur le thème de la prostitution. Le débat a opposé quatre défenseurs de la prostitution (et quels experts, notamment Eric Zemmour et Elisabeth Lévy !) à une seule personne considérant qu’il s’agit d’une violence exercée contre les femmes, la sénatrice Laurence Rossignol.
Toute la journée, la production s’était échinée à chercher une femme qui viendrait débattre face à quatre adversaires, avec pour argument que la lutte contre la prostitution, minoritaire dans la société, devait donc être minoritaire sur le plateau…
Comme 66 % des Français se déclarent au moins « un peu racistes », la lutte contre le racisme est donc minoritaire dans notre société. Imagine-t-on pourtant un débat sur le racisme aussi déséquilibré ? Mais quand il s’agit de femmes, tout semble permis sur France 2 !
Le comble : oser dire en direct qu’il est « difficile de trouver un intellectuel qui prône l’abolition de la prostitution » ! Est-ce donc un hasard si c’est déjà « Ce soir ou jamais » qui a déroulé le tapis rouge le 11 décembre 2012 devant « Dodo la Saumure » ? Alors que le parquet de Lille venait de requérir contre lui une peine de dix ans de prison, il a pu vanter, sans aucun contradicteur, son activité de proxénète !
En tant que réseau international d’hommes engagés contre les inégalités et les violences infligées aux femmes, nous sommes scandalisés de voir apporter un tel crédit à des stéréotypes soutenant le pouvoir des hommes. Est-ce bien le rôle d’une télévision de service public ?
En tant qu’hommes, nous invitons Messieurs Taddéi et Duquesne, ainsi que leurs équipes, à ouvrir les yeux : oui, nous vivons dans une société violente et injuste à l’encontre des femmes !

Nous, responsables du réseau Zéromacho qui travaille à construire une société plus juste, les invitons à faire œuvre pédagogique pour faire valoir les idéaux de la République : liberté, égalité et fraternité.
Patric Jean, Gérard Biard et Fred Robert,
porte-parole de Zéromacho
Fondé en 2011, Zéromacho est un réseau rassemblant 1 670 hommes de 48 pays, signataires d’un manifeste contre le système prostitueur.
Il y a sûrement dans votre entourage des hommes prêts à dire publiquement NON à la prostitution. Prière de leur proposer de signer le manifeste sur le site http://www.zeromacho.eu/ ! L’union fait la force !


Photo extraite de l'article " Abolition de la prostitution, les hommes se mobilisent" 

J'ajoute que la prostitution touche aussi les garçons et jeunes  hommes  et que le tourisme sexuel a explosé dans les deux dernières décennies. Voir le rapport de l'UNICEF à cet égard. Sans compter la pratique du viol comme arme de guerre. La nausée !

jeudi 4 avril 2013

Puisqu'on n'en parle pas, parlons-en




"On en a beaucoup entendu parler, partout, à la télé, à la radio, dans les journaux" m'a dit un ami à mon retour de Tunis.
Ah, bon ! Mais je croyais au contraire que...
Je plaisantais a-t-il rétorqué  mettant fin à mon air stupéfait.
Eh oui ! Deux ans après la Révolution de Jasmin, alors que plus de 45000 personnes se seront rencontrées à Tunis pour élaborer ensemble des stratégies pour s'opposer à la déliquescence du monde tel qu'il va, ça n'intéresse pas nos médias. Il faut reconnaître qu'ils ne sont pas particulièrement à la fête dans ces assemblées où on les accuse d'être "les nouveaux chiens de garde", alors ils boudent.

Heureusement il existe quelques alternatifs qui font le déplacement et recueillent les témoignages de ceux qui croient qu'un nouveau monde est possible.

Basta par exemple où on peut trouver -si on s'y intéresse- une manne riche d'informations sur le FSM,  la crise financière, et surtout sur les expériences qui changent le monde ici et maintenant.
Car, fort heureusement, les citoyens, partout, s'organisent pour tenter de bouter hors des places qu'ils occupent de façon illégitime (ils ne sont les élus d'aucune assemblée démocratique) les gouverneurs qui ont organisé à leur avantage l'économie mondiale dont  les bénéfices est-il nécessaire de le rappeler emplissent les comptes de paradis fiscaux, une toute petite minorité qui par ailleurs invite le reste du monde à se serrer la ceinture et à jeter par-dessus bord tous les systèmes de solidarités nationales.

Donc, que de grands utopistes s'agitent dans un petit pays qui se débat pour ne pas être à nouveau dépecé par la compagnie des prédateurs internationaux, tout le monde s'en fiche.


Et pourtant, la Tunisie est le laboratoire du Maghreb Machrek et tous les démocrates de cette région sont attentifs à l'évolution politique du pays, les démocrates mais aussi ceux qui ne souhaitent surtout pas l'avènement d'une démocratie réelle dans un pays musulman qui ferait ainsi la preuve qu'Islam et égalité femmes-hommes, liberté de parole, droit à l'éducation pour tous, démocratie économique sont compatibles avec le monde musulman. Que la Charia, ce code conçu il y a plus de mille ans doit et peut être toiletté pour répondre aux attentes des citoyens de ces pays et que laïcité et pays de religion majoritairement musulmane sont compatibles, tous les dictateurs de tous poils y sont fermement hostiles.On comprend pourquoi.
Les Tunisiens que j'ai rencontrés et bien-sûr les femmes en particulier, ne sont pas prêts à renoncer à cet acquis de la période Bourguiba et il est peu probable qu'en dépit de leur pouvoir de nuire, les Salafistes et même Enhada  parviennent à leurs fins à cet égard.

 
Assemblée des femmes, 26/03/13, FSM Tunis

C'est pourquoi la présence d'activistes (pacifistes) venus du monde entier représentait pour le peuple tunisien un formidable encouragement à tenir bon. C'était le sens de ma présence en Tunisie, je voulais y aller pour ça et pour connaître de plus près la situation de ce pays et les gens qui y vivent. J'ai parlé par exemple avec une chercheure de l'Université El Manar où se tenait le Forum. Elle me disait à quel point ce déferlement d'êtres humains joyeux, enthousiastes lui dilatait le cœur, alors que de plus en plus l'université devenait morne et triste. Les jeunes  diplômés sont, pour 44% d'entre eux, chômeurs. L'hémorragie des cerveaux (et des bras) est énorme. Les jeunes partent au risque de leur vie et plus d'un millier d'entre eux ont disparu au large de l'Europe  

 

Je partageais une chambre avec deux joyeuses luronnes, l'une interprète pour l'équipe de Babel, l'autre comme moi dans les Alternatives. Ce partage a été aussi un des éléments du plaisir de ce voyage. Un Tunisien qui nous a offert aimablement de nous acheminer vers le centre ville et de partager un verre déplorait la mauvaise image que donnaient les médias de son pays. "La Tunisie est peuplée de gens accueillants et tranquilles. C'est scandaleuxqu'on ne parle que des quelques fous qui usent de la violence.
Cela nous mène tout droit dans le mur en privant la Tunisie d'une de ses ressources majeures, le tourisme et nous inclinant au repli identitaire." Il nous a dressé un historique de la réalité politique de son pays et toutes les raisons d'espérer. Pour défendre l'image de son pays disait-il. 
Pour des analyses plus circonstanciées, reportez vous à Basta.
Je n'ai pas vu grand-chose de Tunis, encore moins de la Tunisie. J'ai regretté de ne pouvoir rester au-delà du temps du forum pour répondre aux diverses invitations qui m'étaient faites, à Hammamet, à Sousse. Mais j'y reviendrai. Et j'espère bien qu'entre-temps, les Tunisiens auront avancé sur le chemin de leur liberté.

L'entrée de la Médina



Le théâtre municipal de jour et de nuit


 Photos ZL, mars 2013