lundi 24 janvier 2022

Reconnaître son propre désir


 Mon dernier post date de novembre. Deux mois que je n'ai rien écrit sous l'arbre. Rien d'étonnant à cela, j'ai à nouveau déménagé mais pour revenir chez moi. Troisième épreuve de cartons et de charroi de meubles. J'ai laissé la petite maison à une Julie ravie de l'occasion, elle cherchait justement un lieu où s'installer. Je lui ai abandonné quelques unes de mes acquisitions dont je n'aurais su que faire chez moi déjà envahi de meubles. Un nouveau modus vivendi s'est mis en place avec mon partenaire. Les enfants sont ravis de voir leurs parents réconciliés. Je ne regrette pas cette parenthèse. Elle a permis de revoir un peu en profondeur les raisons de partager à nouveau cette grande maison où nous occupons chacun un espace personnel.

J'ai renoué avec bonheur avec les levers de soleil que je contemple au réveil douillettement sous ma couette,  et les couchers qui ont été somptueux. Hélas, il est arrivé une grosse vague de froid mais les poèles ajoutés au chauffage central nous offre la chaleur nécessaire pour combattre les -5° du petit matin.

De ma fenêtre le 6 janvier 2022
 

Depuis deux semaines, je replace les objets soit à la place qu'ils occupaient précédemment soit dans une nouvelle configuration, j'ai en effet remanié l'espace.

J’ai trop de livres et ne parviens pas à les sacrifier. Je vais pourtant devoir en éliminer.

Je suis comme tout à chacun fatiguée de cette pandémie, du cirque médiatique organisé, doublé désormais de la campagne pour l'élection présidentielle. J'évite le plus possible d'écouter les "nouvelles" qui n'en sont pas tellement c'est le même discours récurrent. 

Je suis allée rendre visite à mes amis à Anduze. Il faisait très froid et nous sommes peu sortis d'autant qu'ils travaillaient beaucoup pour préparer une expédition de leurs poteries à Boston. J'ai appris ainsi que les Américains sont très friands de leur production.

Nous avons  partagé quelques soirées télé (il faut que ce soit l'hiver et qu'il fasse froid). J'ai ainsi pu voir "12 years a slave, un film basé sur le récit de Solomon Northup, 
un Noir, charpentier et violoniste, qui vit en homme libre avec sa femme et ses deux enfants. Un jour il se fait gruger par deux faux artistes qui le droguent, le  kidnappent et le vendent auprès d'un propriétaire du Sud comme esclave. Le film montre la violence des traitements infligés aux Noirs quand ils avaient le malheur de tomber sur un maître cruel et cinglé. Mon ami protestait en disant que c'était largement exagéré. Me revenaient des récits que je lisais quand j'étais adolescente dont j'ai oublié et le titre et l'auteur, mais qui décrivaient ce type de réalité. Très jeune j'étais effarée de cette histoire de traite des Noirs

Revenue chez moi, j'ai regardé sur France 2 mardi soir un documentaire intitulé Noirs en France . Le documentaire, donne la parole aux Français noirs de tous âges et de tous horizons, connus ou inconnus du grand public. Raconté par l'écrivain Alain Mabanckou, ce documentaire retrace leurs histoires faites de préjugés et de stéréotypes, mais traversées aussi d’espoir et de fierté. Ces noirs en France construisent une histoire en constante.  transformation (présentation sur france.tv). A l'écoute des témoignages du racisme ordinaire, je ne pouvais m'empêcher de repenser au film et aux humiliations subies pendant des siècles dont la mémoire reste cuisante même quand on n'y a pas soi-même été exposé. Quand s'effacera-t-elle des mémoires et des comportements cette ignoble traite des humains ?  Tellement tragique l'expérience auprès des petites filles noires à qui on demande de choisir entre deux poupées, l'une blanche et l'autre  noire et qui choisissent  toutes   la blanche "parce qu'elle est plus jolie". Edifiant le témoignage de Laetitia Helouet  rapporteuse à la Cour des comptes : « Je ne m’appelle pas Aminata, et quand on me voit arriver avec ma collaboratrice, on pense tout de suite que la directrice générale, Laetitia, c’est forcément elle, Nathalie, blonde aux yeux bleus. ». Un documentaire sans pathos victimaire qui nous permet -si nous l'ignorions- de percevoir de quelle façon le préjugé reste puissant à l'égard des anciens colonisés et d'admirer la résilience des témoins .

Frédérique Martin fait partie de mes auteures favorites. Dans La méthode Molotov écrit à quatre mains avec sa complice Frédérique le Romancer, les 2Freds font un sort à toutes ces vilénies qui pourrissent la vie en dressant le portrait de deux vieilles rebelles qui accueillent une jeune femme que l'ingratitude de son sort de femme au foyer jette un jour, elle aussi dans la rébellion. Sa vie est totalement consacrée au bien être de son mari et ses enfants sans que ce don perpétuel ne soit payé d'un retour d'attention. Le bon patriarcat de base, c'est à dire pratiqué inconsciemment, "naturellement" avec l'assentiment de celle que manquer à son "devoir" immole sur l'autel de la culpabilité. Un jour Pétronille craque, monte dans sa voiture, roule la rage au cœur et tombe en panne d'essence et de portable au milieu de nulle part. Pas tout à fait nulle part, juste à proximité d'un refuge où Jeanne accueille les cabossés qui ont besoin d'un lieu où se régénérer et pour certains souffler, à l'abri après un long périple de fuite. La jeune femme (40 ans quand même, il est temps qu'elle réagisse) découvre apeurée / éberluée puis ravie qu'on peut vivre autrement. Les personnages sont puissants, le langage fleuri, les lieux hors du temps, bref tout est réuni pour la métamorphose de Pétronille. " La liberté commence quand on sait reconnaître son propre désir. " Les échanges entre Jeanne et La Molotov, ex stripteaseuse,  pétroleuse et toujours activiste sont un régal. La Molotov a choisi le refuge auprès de sa vieille amie et espère échapper à l'Ehpad. Mais Jeanne est fatiguée et veut vendre. La suite, allez la lire, vous ne regretterez pas  votre visite.  Je n'oublie pas que "En tant que lecteur, je sais que c'est à moi d'apporter les dernières finitions à ce que je lis, en l'associant à mon existence. (Erri de Luca? "Le Plus et le moins", Gallimard. Du monde entier

Revu le film de Xavier Dolan, "Juste la fin du monde". Troublant de revoir Gaspard Ulliel dans ce rôle où il vient annoncer sa mort prochaine à sa famille et ne parvient pas à trouver l'instant propice. J'ai surtout été frappée par le contraste entre la douceur du personnage incarné par Gaspard Ulliel et la violence de son frère que joue Vincent Cassel. On sent toute la hargne de celui qui n'est pas "le préféré" parce que l'autre a tous les talents et a négligé sa famille, avec le soupçon qu'il la méprise. On sent la blessure de celui pour qui ces derniers instants sont vraiment les derniers et qui repart sans avoir rien dit. D'autant plus troublant que c'est comme s'il venait de nous annoncer sa mort prochaine. Alors on a envie de dire comme François Morel : c'est injuste de mourir à 37 ans . 

 

Une douceur étincelante

 "C’est invraisemblable, insensé, et tellement douloureux de même penser écrire ces mots, écrit le cinéaste québécois. Ton rire discret, ton œil attentif. Ta cicatrice. Ton talent. Ton écoute. Tes murmures, ta gentillesse. Tous les traits de ta personne étaient en fait issus d’une douceur étincelante. C’est tout ton être qui a transformé ma vie, un être que j’aimais profondément, et que j’aimerai toujours. Je ne peux rien dire d’autre, je suis vidé, sonné par ton départ." Hommage de Xavier Nolan