vendredi 25 janvier 2013

Venise, le génie dans tous ses états


Venise ce n'est pas seulement un labyrinthe de canaux et de ruelles où on se perd forcément (enfin moi en tout cas), c'est surtout un lieu où on  rencontre le génie de ces fabuleux artistes italiens qui ont si puissamment influencé la pensée et la culture occidentale.
Parmi eux Léonard de Vinci. L'exposition proposée à la Chiesa Di San Barnaba, rassemble un ensemble de maquettes réalisées à partir des schémas que Léonardo a déposé en nombre invraisemblable dans les reliques de l'humanité.
Engrenages, rouages, voilures et ailes diverses, machines de guerre, on le sait, l'homme ne manquait pas d'imagination   

Ceci par exemple est un ancêtre du char avec chenilles incorporées




 Ou bien encore cette machine à décapiter

Heureusement il y a des inventions plus paisibles comme ces prototypes d'ailes




Ou mieux, cet astucieux  système de miroirs pour saisir le modèle du peintre sous ses diverses facettes.

Venise c'est aussi des masques partout, dans toutes les vitrines.
.

C'est au musée de la Musique, une exposition Vivaldi et les instruments datant de l'époque du prestigieux compositeur, ambiance baignée de la célèbre orchestration de violons.


C'est l'Académia, où on ne sait plus où donner du regard tant les merveilles se succèdent, avec un effet de saturation induit par la richesse même des peintures et l'exubérance de la vie -et de la mort- saisies sous le pinceau de ces peintres (beaucoup de vierges à l'enfant).


  
Titien

Je suis restée assez longtemps devant "Le fléau des serpents" une très grande toile de Tiepolo dont on voit les rayures infligées par l'usure et c'est ce qui en fait la beauté. Certaines toiles sont tellement restaurées qu'elles prennent l'air artificiel des vieilles américaines botoxées (oui, j'exagère).

Venise, c'est aussi la Scuola Grande Di San Rocco, occupée presque uniquement par Tintoret,. L'une des somptueuses sculptures sur bois de Pianta le Jeune qui ornent la partie basse des murs de l'immense salle du Chapitre est censée représenter le peintre. Là aussi profusion de formes enchevêtrées.


La crucifixion (5 mètres de haut, 12 mètres de large) est  une extraordinaire composition où se mélent à la fois les figures de la passion du christ et tout un peuple indifférent, occupé à vivre.
Je suis frappée par la puissance des chevaux dans beaucoup des peintures de Le Tintoret (comme d'autres peintres vénitiens, Véronèse notamment) et la force de leur regard comme ici dans ce détail.


A l'étage se trouvait le "trésor" de la Scuola. J'ai osé faire une photo des céramiques, mais pas pu saisir la collection d'objets d'orfèvrerie, d'une très grande délicatesse, une gardienne pétrie d'ennui y veillait. 


 Un dernier éclair de génie avant de vous laisser aller à vos occupations 

Et un tout dernier, car c'est aussi un des grands savoir-faire italiens : la bonne chère.

https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhtNxA22BwPe_ePZ_2_gDfJiMBX030AKpQwltoFmjGnnVFhrxeqofDY-qj0CK3p0rhrxkYUSaZIRKDlzO6ycFnh4cowFHJ_wzYoMnhg6MOEI8920mieIlicoH9ff0uo7FNTRlX9cBj9uaHs/s1600/DSCN1088.JPG

Photos ZL.  Venise janvier 2013 (sauf peintures Titien, Tiépolo, Tintoret)

Nota bene : une pensée pour Florence Cassez qui retrouve le droit de vivre en liberté et une autre pour Aminata Traore qui doit terriblement souffrir de ce que son malheureux pays subit actuellement.

samedi 19 janvier 2013

Flânerie au coeur de la sublime Sérénissime.



Vous l'aurez compris, j'avais déserté ma colline au profit d'un lieu unique au monde, la Sérénissime. Je n'y allais pas au bras d'un amoureux, mais pour une réunion prévue à Mestre sa cousine de la terre ferme qui présente beaucoup moins d'atours et accueille une population qui ne peut espérer s'offrir un pied à terre sur les îles et "vit dans la vraie vie", besogneuse et ordinaire. 
Avant la séance de travail prévue entre tous ceux qui arrivaient de diverses directions et à des heures très   dispersées, j'avais prévu de m'octroyer deux jours pour mes retrouvailles avec la splendide que je n'avais pas revu depuis ma tendre jeunesse où un ami italien m'avait pilotée au milieu de ses merveilles. 
Il faisait très froid, mais Venise en hiver est un vrai bonheur quand on est seule et qu'on aime la quiétude des petites rues désertées du ramonage touristique et seulement occupées de la vie ordinaire des Vénitiens. Le bonheur de l'absence de voitures, de certains Campi totalement déserts et silencieux.




J'ai été surprise par la clarté des eaux; j'en avais un souvenir moins avenant. De plus, en hiver l'odeur qui s'exhale des canaux est moins entêtante qu'avec la chaleur de l'été.

 





Il est célèbre, à juste raison le Pont du Rialto, qui fut d'abord de bois, s'écroula sous le poids de la foule, fut reconstruit en bois de nouveau, moultes fois réparé et finalement construit en pierre sur un projet de l'architecte d'Antonio da Ponte à partir de 1558, un chantier qui dura trois ans (48 mètres de long pour 22 de large). Il est un passage obligé entre les deux rives du Grand Canal. Il précède de vingt ans la construction du Pont Neuf à Paris (1578).






Les lumières d'hiver sont particulièrement intéressantes parce qu'elles n'écrasent pas les formes et ne saturent pas les couleurs



Les rues qui convergent vers la place San Marco sont une longue litanie de boutiques du grand commerce international. On entre sur la place, on y rencontre en grande largeur un des princes de la conso et c'est très choquant, pour moi, que face à la Basilique Saint Marc, ce soit ce monument d'absurdité qui occupe.







Il parait qu'il est interdit de nourrir les pigeons mais ça reste une attraction : se faire photographier avec un zoziau sur l'épaule (mes congénères m'étonneront toujours).



Manifestement, le soir tombe sur la Place et sur le Grand Canal, au loin la Salute. Les gondoles sont à l'arrêt. peu de clients à cette époque pour des tournées qui coûtent un bras (oui, je sais, je manque de romantisme).





 .  

Un café chez Florian en lisant "Seule Venise" de Claudie Gallay, l'histoire d'une femme qui s'exile à Venise pour fuir un chagrin. Cette ville est par essence un lieu littéraire. Ils sont innombrables ceux qui ont écrit sur et à Venise, ceux qui s'y sont réfugiés, qui se sont exaltés, détruits et abimés dans sa vénéneuse séduction.




J'ai flâné en solitaire. Bien-sûr je suis allée dans quelques musées, quelques églises mais surtout le nez au vent. Je me suis fondue dans cette ville unique et je vous en dirai un peu plus dans mon prochain billet.

Photos ZL, Venise, janvier 2013

vendredi 11 janvier 2013

Glanerie



La lumière
Est un vêtement.
La solitude
Une peau.
Thomas Vinau


A l'impossible on est tenu


Oui je sais que
la réalité a des dents
pour mordre
que s'il gèle il fait froid
et que un et un font deux

je sais je sais
qu'une main levée
n'arrête pas le vent
et qu'on ne désarme
d'un sourire
l'homme de guerre

mais je continuerai à croire
à tout ce que j'ai aimé
à chérir l'impossible
buvant à la coupe du poème
une lumière sans preuves

car il faut très jeune
avoir choisi un songe
et s'y tenir
comme à sa fleur tient la tige

contre toute raison


Jean-Pierre Siméon, ICI,
Cheynes éditeur - Février 2009
 Merci à la bacchante

Photos ZL

vendredi 4 janvier 2013

Paris est une fête

Le brouillard ne se lève pas de toute la journée. Inutile d'espérer se déplacer une fois la nuit tombée, on n'y voit pas à trente mètres. C'est exactement le genre d'ambiance qui me fait regretter la ville. Au moins peut-on aller au cinéma ou s'asseoir pour prendre un verre dans un café plein de lumières.


A Moveable FeastParis est une fête par Hemingway



Je viens de terminer la lecture de "A moveable feast" texte d'Hemingway, publié en 1964 chez Gallimard sous le titre "Paris est une fête" après la mort -le suicide- d 'Hem en 1961. L'ouvrage est constitué d'une série de "vignettes" tirées des remises de la mémoire d'Hemingway. Il y travaillait depuis 1959, après avoir repris possession , à la demande du Ritz, d'une malle où se trouvaient des textes datant de sa période parisienne. Ces souvenirs des années 20 font revivre "la génération perdue" selon le terme de Gertrude Stein qui régnait sur un groupe de peintres et d'écrivains de l'époque, génération de ces jeunes gens qui ont participé à la grande boucherie du début du siècle et y ont perdu souvent la raison quand ce n'était pas la vie. Il s'agit ici d'une version améliorée et enrichie  de vignettes inédites, sous la houlette de son petit fils Sean

A l'époque décrite ici, il est un jeune journaliste, profondément amoureux de sa femme Hadley et qui essaye de vivre de sa plume d'écrivain (un chapitre aborde  le rôle de la faim dans l'inspiration). L'ouvrage est resté inachevé alors qu'Hemingway y travaillait quelques mois encore avant qu'il ne décide de se tirer une balle dans la tête. Il y a une réelle nostalgie dans ces textes, d'une période de sa vie qui était emplie de "plaisirs secrets" (une des vignettes ajoutée à cette édition). Se promener dans les jardins du Luxembourg, s'installer pour écrire à La Closerie des Lilas, s'offrir un bon repas chez Lipp après avoir gagné aux courses et écrire bien-sûr.
"Le conte que j'écrivais se faisait tout seul et j'avais du mal à suivre le rythme qu'il m'imposait. Je commandais un autre rhum Saint-James et, chaque fois que je levais les yeux, je regardais la fille, notamment quand je taillais mon crayon avec un taille-crayon tandis que les copeaux bouclés tombaient dans la soucoupe placée sous mon verre.
Je t'ai vue, mignonne, et tu m'appartiens désormais, quel que soit celui que tu attends et même si je ne dois plus jamais te revoir, pensais-je. Tu m'appartiens et tout Paris m'appartient, et j'appartiens à ce cahier et à ce crayon.  

On croise Ezra Pound ("l'écrivain le plus généreux  et le plus désintéressé") Scott Fitgerald (et Zelda qu'Hem présente comme une folle qui empêche son homme  d'écrire par jalousie) qui l'entraine dans une folle virée de Lyon vers Paris en voiture décapotable sous une pluie battante, Pacsin le peintre (consommateur de jeunes modèles),. On rencontre un troupeau de chèvres et le berger joueur de pipeau qui les traie directement dans le pot de la voisine.

On saisit le rôle essentiel de Sylvia Beach et de sa librairie Shakespeare and Company pour les écrivains anglophones nombreux à Paris à cette époque. "La bibliothèque-librairie de Syvia Beach, 12, rue de l'Odéon, mettait en effet dans cette rue froide, balayée par le vent, une note de chaleur et de gaieté, avec son grand poêle, en hiver, ses tables et ses étagères garnies de livres, sa devanture réservée aux nouveautés et, aux murs, les photographies d'écrivains célèbres, morts ou vivants. Les photographies semblaient être toutes des instantanés, et même les auteurs défunts y semblaient encore pleins de vie." 

Pour qui a vécu à Paris, il est possible de se promener aux côtés d'Ernest en toute familiarité sur les quais, rue Cardinal Lemoine où il a vécu, dans les rues du quartier latin ou de Montparnasse. Ce passé recomposé restitue le temps de l'écrivain à la recherche de son style (réduire les adjectifs, aller à l'os) alors même que celui qui écrit est parvenu à la période ultime de sa création. C'est aussi le temps qui précède la fin de cet amour magnifié que va mettre en péril la rencontre de celle qui sera sa deuxième femme (il y en eut quatre).

"Paris est une très vieille ville et nous étions jeunes et rien n'y était simple, ni même la pauvreté, ni la richesse soudaine, ni le clair de lune, ni le bien, ni le mal, ni le souffle d'un être endormi à vos côtés dans le clair de lune."

En lisant Hemingway, on songe à ces belles heures de la jeunesse, elles aussi enfuies, celles des commencements quand on croit en l'avenir, tout en doutant qu'il réalise toutes ses promesses. On songe aux amours vifs et impétueux, aux promesses indestructibles et à l'ivresse des nuits sans fin et des aubes lumineuses.