dimanche 27 novembre 2011

"Le blé nourrit, les armes tuent"


Le brouillard s'est installé en force ces derniers jours. Au matin, on aperçoit à peine le bout du jardin, dans la journée, le soleil ne parvient pas à percer, le soir c'est à nouveau le coton bien opaque. Se déplacer dans ces conditions est anxiogène.
Je n'ai pas renoncé pour autant à assister à la conférence d'un ami sur les différentes formes de collusion du pouvoir globalitaire. Au passage il nous a présenté le pedigree de Mario Monti, le nouveau président du Conseil italien et de Mario Draghi, à la tête de la BCE ("Super Mario " pour les financiers). Les deux lascars ont été "employés" de la
Goldman Sachs (oui, la banque qui nous gouverne).
Evidemment, on sort de ces deux heures instructives l'estomac un peu brouillé. En antidote, je suis allée voir Tous au Larzac. Bonheur d'écouter les protagonistes de cette formidable lutte de David contre Goliath, d'une poignée de résistants armés de leur conviction, leur imagination, leur humour face aux robocops de l'époque. On rigole bien à l'écoute de Michel Debré, ou Yvon Bourges (ministre de la Défense 1975-1980) dont les propos sonnent d'autant plus creux que l'histoire les a déboutés. Le récit des gardes mobiles débordés par les brebis lâchées sur le Champ de Mars est hilarant, de même le spectacle des bidasses qui finissent par être prisonniers derrière les barbelés qu'ils ont eux-mêmes installés pendant que les paysans festoient sous leur nez ("on pique-niquaient beaucoup"). Authenticité du verbe et de l'engagement, certains souvenirs sont encore chargés d'une émotion vivace comme la marche sur Paris et le défilé silencieux rythmé seulement par le bruit des pieds et des bâtons. La puissance des slogans tagués sur les véhicules de l'armée, (harcèlement pour harcèlement), d'une parfaite actualité. Mais surtout ce film vaut pour la rencontre avec ces hommes et ces femmes magnifiques et modestes. Revigorant dans le contexte actuel de sourde apathie et un bon timing pour la sortie de ce document, par ailleurs d'une grande qualité de réalisation.
A la fin du film, l'arrivée de Mitterrand au pouvoir permet au Larzac de souffler et reprendre une vie plus paisible, non sans inquiétude : allait-on repartir chacun dans son petit chez soi? Que nenni! Trente ans que le Larzac continue la lutte. Ainsi ces jours-ci il y a urgence et la Confédération paysanne née des mobilisations du Larzac fait partie des mouvements sur le pied de guerre pour empêcher le vote de la loi pour
le Certificat d'Obtention Végétale qui dépossèderait les paysans du droit d'utiliser leurs propres semences.
Concluons par la remise
du trophée du rapace le pire. Je vous laisse découvrir qui a eu droit à cet honneur.
Photo ZL Blé sauvage.

lundi 21 novembre 2011

Trois ans et toutes ses dents


Ce blog fête cette semaine ses trois ans d'existence. En regardant en arrière, il est clair que son rythme de parution a clairement ralenti. (2009, 169 posts; 2010, 90, 2011, 57 à ce jour). D'un billet tous les deux ou trois jours, je suis passée au rythme hebdomadaire, l'enthousiasme et la productivité d'origine se sont édulcorés. Plusieurs raisons à cela : l'activité est chronophage entre l'écriture des billets, la recherche d'illustrations ou de compléments puisés ailleurs, sans oublier la réponse aux commentaires et la visite aux autres blogueurs. Le rythme est incompatible avec le travail attendu ailleurs. Ceci entrainant cela, le nombre de visiteurs s'est amenuisé, les fidèles (qu'ils en soient remerciés) continuent à se manifester, mais beaucoup ont disparu, comme blogueurs (Cactus, Dexter, CB) ou comme visiteurs. Je ne suis moi-même plus aussi présente dans les commentaires chez les autres et même quand je lis, je renonce souvent à signer de quelques mots mon passage. Enfin et surtout, le blog s'est orienté davantage vers le commentaire de l'actualité qu'auparavant. Je ne publie plus beaucoup de textes plus personnels (poésie, extraits littéraires), je ne sais à quoi est due cette bifurcation. Sans doute au fait que l'actualité est préoccupante et pour ne pas être exclusivement polémiste, je feuillette avec quelques descriptions de promenades dans des lieux ou des livres. Je passe souvent sous silence certaines actualités parce qu' il est difficile de se contenter de seulement citer les sujets sans développer autour.
C'est pourtant ce que je vais faire maintenant, une sorte de séance de rattrapage de tous ceux que je n'aurai pas traités faute de temps et que je jugeai cependant dignes d'intérêt.
Ainsi du prix Nobel de la paix attribué à la présidente du Libéria Ellen Johnson-Sirleaf, à sa compatriote Leymah Gbowee et à la Yéménite Tawakhul Karman "pour leur lutte non violente en faveur de la sécurité des femmes et de leurs droits à participer aux processus de paix". Dommage que la kényane Wangari Maathai, prix Nobel 2004, disparue en septembre n'ait pu se réjouir de concert avec ses consœurs. De tous les prix Nobel, c'est le seul qui m'intéresse, les médailles me semblent généralement bien dérisoires.
Je n'ai pas commenté les résultats des élections en Tunisie, ni les émeutes en Syrie, au Yémen, celles fort inquiétantes en Egypte où l'armée se succède à elle-même avec ou sans la marionnette Moubarak. J'ai évité la boucherie Kadhafi, même le pire ennemi doit être traité dignement.
Je n'ai pas pipé mot de l'entrée à l'UNESCO de la Palestine, ni des mesures de rétorsion minables de l'Obama ni de la couardise de nos représentants quant à son admission au sein de l'ONU.
Carla a donné naissance à Guila, ouais. Du G20, j'ai retenu autre chose que la vanne d'Obama ,
notamment le contre sommet de Nice dont on n'a guère eu d'échos dans les médias. Il y avait pourtant du monde (environ 10000 personnes) derrière la bannière "Les peuples d'abord, pas la finance", mais ça n'a pas empêché notre Prez de se féliciter d'avoir une nouvelle fois sauvé le monde.
Le groupe des Indignés est bien maigrelet en France (il faut dire que les compagnies de CRS y veillent). Partout dans le monde il y a eu mobilisation et quelle! Allez voir ici ou . Et aussi, trouvé chez Jane cela pour contempler la richesse de l'inspiration.
Évidemment après le résultat des élections en Espagne, on peut s'interroger sur la pertinence d'un mouvement de cette nature. Et s'inquiéter de la montée en force de la Droite en Europe et quelle! Cette droite conquérante s'est associée aux chefs d'entreprise comme aux hommes des médias pour promouvoir une société de divertissement et de défense des intérêts de court terme, tout en promettant la sécurité et la lutte contre l'immigration. Un projet que Raffaele Simone appelle "le monstre doux". Doux, ce n'est pas sûr, doux jusqu'à quand ?
D'autant que nous sommes tous fichés à un degré ou un autre et que si un gouvernement de répression intense se mettait en place, il n'aurait aucune difficulté à identifier ses opposants. Il suffirait qu'il s'approprie le contenu des banques d'enregistrement que nous remplissons nous-mêmes en toute ingénuité. Ainsi ceci issu des recherches de Max Schrems sur la mémoire cachée de Facebook



C'est la même chose avec nos chers hébergeurs. Je viens de m'apercevoir que les photos que j'avais transmises de mon passage place de la Bastille ont disparu. Pourquoi celles-là? Si vous avez une idée faites-m'en part. J'ai tenté d'accéder à un interlocuteur chez Blogger, on est dérivé sur une liste de réclamations dont aucune ne correspond à ce cas.
Vous voyez bien, il vaut mieux que je n'écrive pas trop souvent.
Pour conclure sur une note plus sympathique et en mémoire du Vent des blogs, un lien vers une jolie compilation invitée par Mosaïques Julos Beaucarne sur l'ile aux trésors de Colo.
Allez, on continue.

lundi 14 novembre 2011

Hubert Nyssen 1925 - 2011

Hubert Nyssen, le fondateur des éditions Actes Sud est parti contempler l'intemporel. Depuis mars, il avait cessé de publier sur son site ses carnets que j'allais feuilleter régulièrement et dont on peut trouver une version papier. J'aimais la personne bien que ne l'ayant approchée que par ses écrits. J'avais sélectionné, il y a quelques temps, dans la galerie du site, cette photo attendrissante.


Leçon de lecture et d’écriture donnée à trois petites-filles par leur grand-père

Vendredi 1er janvier 2010 . La journée se termine mal. J'apprends la mort de Pierre Vaneck. La première fois que je l'ai vu, je crois, c'était sur scène dans Les possédés, la dernière fois, j'en suis sûr, c'était dans Art. La dernière fois que nous l'avons rencontré, c'était à Ménerbes. Il était infiniment secourable pour ses amis, quand il avait appris que je souffrais d'un dysfonctionnement respiratoire il m'avait tout de suite obtenu un rendez-vous avec un professeur de sa connaissance. Nous devions nous revoir bientôt… Je voulais lui parler d'Anvers où jadis nos pas se sont croisés. Ce sera donc dans la galerie des souvenirs. Là, j'entendrai à nouveau les mots qu'il retenait et proférait soudain. Je retrouverai cette impression, qu'avec patience et temps nous aurions eu beaucoup à nous dire sur le bonheur d'être là, sur la vie précieuse qu'un rideau vient de faire disparaître à la vue. En allant voir sur la toile ce qu'on disait de lui, je suis tombé sur ma propre notice. Sous mon nom, cette notice en suspension : (1925 - ). Un blanc à remplir comme il vient de l'être dans la sienne.
Hubert Nyssen Textes et Carnets

mardi 8 novembre 2011

Le cas Dubois



Ce week end c'était Vivons livres à Toulouse. (Je m'aperçois que j'ai des marronniers.)
J'y allais à la rencontre de Jean Paul Dubois, un des écrivains vivants que j'aime fréquenter assidument (à la vitesse de ses parutions du moins). J'avais donc lu son dernier opus * et comme je sais qu'il n'aime pas le passage obligé de la promo mais s'y prête néanmoins de bonne grâce (un sourire adorable) et avec beaucoup d'humour, j'ai pris la route sous le crachin et en dépit d'une épaule passablement douloureuse. Je ne l'ai pas regretté. Brice Torrecillas après avoir buté sur la prononciation de Sneijder, (comme tout le monde), a entamé la "confession" de JPD. Il a fait des études de sociologie à l'Université du Mirail, à une époque (post 68) où on n'avait rien à faire pour obtenir un diplôme sinon être présent. Époque joyeuse et qui a laissé à Jean Paul son goût de l'oisiveté. Ecrire est le moyen de vivre cette vie idéale où on n'est assigné à rien si ce n'est ce que l'on choisit. Il souligne à quel point ce mode de vie reste un scandale pour la plupart des gens. Ecrire ça n'a pas d'autre objet que d'y voir plus clair en soi. On n'écrit pas pour un public dit-il, mais pour quelques personnes, voire et surtout pour soi-même. C'est un travail comme un autre dont il ne faut pas surestimer l'importance. Qu'un auteur rencontre la consécration est pur hasard. JPD en est persuadé, il y a de très bons écrivains qui ne sont pas publiés, d'autres sont célèbres sans que cela signifie que leur production soit de la bonne littérature. (O' comme je l'approuvais!)
Paul Sneijder prend un jour un ascenseur et il se produit un accident extrêmement rare : l'ascenseur tombe. Il est le seul rescapé, tous les autres sont morts dont sa fille. Lorsqu'il se réveille de son coma, Paul ne peut plus reprendre sa vie antérieure. Il s'en détache d'autant plus qu'elle ne lui convenait pas. Sa seconde femme est une executive woman hyper libérale dont il a deux jumeaux fiscalistes et stupides. Cette Anna a toujours refusé de recevoir Marie, née du premier mariage de Paul. Cette atroce mesquinerie est désormais impardonnable, depuis que Marie se tient tous les jours auprès de lui, dans l'urne funéraire où se trouvent ses cendres. Comme dans tous les livres de Dubois, une place importante est donnée à l'auscultation de mécanismes. Cette fois il s'agit bien-sûr de ceux des machineries d'ascenseur, Paul lit tout ce qu'il peut trouver sur ces colonnes vertébrales de la verticalité, cette étrangeté du monde moderne.
Pour gagner sa vie il finit par devenir dogwalker, promeneur de chien, ce qui dégoute profondément sa femme, révulsée à l'idée qu'on puisse le voir ramasser des crottes de chien.
L'ensemble du livre est une observation mélancolique du monde désincarné, désenchanté de cette Amérique du Nord qui l'inquiétait déjà quand il y était envoyé spécial du Nouvel Obs (Jean-Paul Dubois, L'Amérique m'inquiète : Un champignon dans la tête, éditions de l'Olivier, 1996).
Ce job de promeneur de chien est en soi une sorte de summum de l'absurdité. En effet pourquoi s'encombrer d'animaux de compagnie si on n'a pas de temps pour sortir en promenade,
en leur compagnie justement. Paul au contraire se ressource auprès des animaux, il est même le seul à mater un réputé dangereux sans rien faire qu'être là, au plus juste.
Dubois est un virtuose du mélange entre tragique et cocasserie. En même temps qu'il touche au plus profond de la condition désespérante des humains condamnés à la faillite, il nous offre d'en rire, en notant sans faillir ces moments d'absurdité absolue qui déclenchent ce que Tournier dans Le vent Paraclet nomme "le rire blanc", dont la fonction est subversive à l'égard de l'ordre social.
La question du travail, de la fonction , de la représentation de soi dans la société déjantée où s'est effondré le surmoi qui maintenait une sorte de "courtoisie " et de respect est évidemment un des sujets de ce livre. Dubois ne fait pas de thèses, il observe la réalité et choisit des héros qui sont plutôt dans la catégorie des loosers, des inquiets, des stupéfaits par l'inanité de la prétention des humains.
Ensuite j'ai croisé l'amie Frédaime, pétulante et rigolarde. Elle connaît tout le monde, on ne peut lui dire deux mots sans que quelqu'un vienne lui claquer une bise. J'avais acquis sur le stand de N&B, petite maison d'édition en faillite (c'est elle qui me l'a appris), son recueil Papier du sang, textes poétiques dont La lettre afghane. Si Frédérique est drôle elle est aussi d'une belle sensibilité et la lettre afghane douloureusement sublime.

Je n'ai pas pu revenir le lendemain pour la lecture tissée qu'elle donnait du Fils prodigue. Ce n'est que partie remise, elle est de toutes les scènes.