dimanche 20 février 2022

Prendre soin des mots

En revenant sous l'arbre, il m'arrive d'aller au hasard lire les blogs apparemment désertés. J'y repêche parfois quelques pépites et les ramène à la surface du temps présent. Ainsi cet aphorisme publié par helenablue  le 4/08/2017

Tu me dis : le quotidien tue l’amour

Je te dis : l’amour fait vivre le quotidien

- Maram al Masri -

Vaste question ! De quel amour parle-t-on ? Un ami m'a souvent entretenue sur les définitions de l'amour dans la philosophie grecque. Platon distingue Eros, Philia et Agape qui pris dans cet ordre représenterait en quelque sorte une progression (ou une régression) du sentiment le plus exclusif au plus altruiste. En fait ces formes de relation à nos semblables ne sont pas distinctes ou intrinsèquement  hermétiques les unes aux autres.  Il y a de l'Eros dans la Philia et de la Philia dans l'Agape et la même personne peut nous inspirer tour à tour, le désir érotique, la complicité de l'amitié et la compassion de l'altruisme universel. C'est sans doute grâce à ces "glissements progressifs du désir" que l'amour peut enchanter le quotidien.

J'ai découvert par l'intermédiaire de Frédérique Martin qui signait son livre "La méthode Molotov" (voir post précedent) dans la librairie proche de chez moi (où j'achète exclusivement mes livres), un site de podcast consacré à l'exploration de "l'amour en occident". Je reprend à dessein ce titre de Denis de Rougemont qui m'avait fait si forte impression quand je l'ai lu il y a fort longtemps. Je le relirai peut-être si je parviens à le dénicher dans les piles qui patientent en attendant de retrouver un espace de stockage dédié. Le coeur sur la table, c'est sous cet intitulé que Victoire Tuaillon  publie une fois par semaine une analyse très pertinente et documentée, des relations amoureuses Le bandeau de présentation sur le site est explicite de l'intention :"Parce que s’aimer est l’une des façons de faire la révolution. Une fois par semaine, un  épisode pour réinventer nos relations amoureuses, nos liens avec nos ami·e·s, nos parent·e·s et nos amant·e·s.  Vous pouvez la rencontrer ici

Elle étudie et convoque pour ce faire des écrivains, des philosophes, des sociologues et observe comment l'éducation, les médias, l'art (essentiellement masculin) nous distillent les injonctions et les stéréotypes qui formatent nos dispositions à la rencontre et dans certains cas à l'épreuve de l'amour. Elle ponctue son exposé de témoignages recueillis en groupe ou en entretien individuel. La plupart des personnes sont jeunes, du moins entre la trentaine et au plus la cinquantaine. A la trentaine se pose la question de l'engagement ou du divorce si on s'aperçoit qu'on s'est fourvoyé.e dans l'affaire matrimoniale avec pour bagage, les histoires de Prince charmant que les contes, mais plus encore les  dessins animés de Disney nous ont imprimés dans l'imaginaire au temps de nos rêves d'enfants. Sois belle et tais-toi, sois fort et montre le sans douter. Belle comme les poupées de magasine pour l'une et fort comme Rambo pour l'autre. 


Je lis parallèlement "Le rire de la Méduse" d'Hélène Cixous, ouvrage fondateur que je n'avais jamais approché à ce jour . Et pourtant HC faisait partie de mon Panthéon en tant que figure de la rébellion féministe portée par la poésie. Son "rire" a fait le tour du monde et d'une certaine façon occulté les ouvrages antérieurs et les suivants. C'est elle qui le dit dans son introduction à la réédition (paru en 1975 et rééditée en 2010) : "la Méduse est allée beaucoup plus vite, beaucoup plus loin que mes textes de fiction et plus tard mon théâtre. Franchement, j'eus un agacement  (...) Mettez vous à ma place : une fille faite à la va-vite qui vous devance et vous retarde". Le texte est écrit pour faire advenir les femmes à l'écriture et déconstruire les structures "phallogocentriques"  qui aliènent aussi bien les femmes que les hommes. 

"Toute femme a connu le tourment de la venue à la parole orale, le coeur qui bat à se rompre, parfois la chute dans la perte de langage, le sol, la langue se dérobant, tant parler est pour la femme - je dirais même ouvrir la bouche-, en public, une témérité, une transgression. Double détresse, car même si elle trangresse, sa parole choit presque toujours dans la sourde oreille masculine, qui n'entend dans la langue que ce qui parle au masculin" 

Un extrait que j'ai sélectionné tant il me parle à moi qui ait dû lutter contre  ce tourment puisque mon activité professionnelle m'a conduite sur des estrades ou dans des colloques où je devais exprimer un point de vue que je savais être toujours un peu décalé face à un auditoire majoritairement masculin. Quand encore ces messieurs n'avaient pas rogné sur mon temps imparti m'obligeant à rétrécir mon propos jusqu'à l'absurde. Quant à la sourde oreille masculine, je continue à la constater. Quand l'assurance me fut venue (habitude et pas toujours), j'étais sidérée par l'absence de prise de parole des femmes dans les assemblées que je fréquentais. Les jeunes femmes semblent moins intimidées et encore n'est-ce évident qu'au sein de certains regroupements !



Interlude. Promenade au couchant avant de finaliser ce post


Il ne s'agit pas, bien-sûr de nier la parole masculine en retour. Je vais au contraire vous proposer de prendre connaissance de la pensée alerte et profonde d'un homme explicitant  le danger qui guette l'humanité, l'effondrement de la pensée et nous proposant de sortir de nos servitudes. 45 minutes d'intelligence et d'humanité. Merci Roland Gori   

Je concluerai donc en le citant, lui même citant beaucoup au cours de son entretien .

Nous avons à prendre soin des mots parce que les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d'eux comme le disait le poète René Char