
Clopine m'a soufflé le sujet du jour. Elle s'extasie du miracle de l'avion qui vous fait traverser le monde en quelques heures et ce, grâce à l'abnégation des personnels, de l'hôtesse, qui mime pour la énième fois, les consignes de sécurité ayant vocation à ne point servir, au pilote qui vous arrache et vous dépose de là à là sans défaire le brushing. Elle dit avoir peu usé de ce moyen (épouvantable bouffeur de pétrole, d'oxygène, générateur de bruit et de méchants gaz) et être la première génération de sa lignée.
Il se trouve que j'ai dû utiliser l'avion à un rythme sans commune mesure avec celui de notre Très Haut et de ses différentes cours, mais cependant plutôt soutenu à une époque.
Comme Clopine, je souffre de cette douleur épouvantable qui au moment de l'atterrissage, à cause de la dépressurisation, se vrille au niveau des sinus et de l'oreille, de sorte qu'on a l'impression que tous les vaisseaux vont exploser et qu'une AVC va finir par nous anéantir. La première fois du moins, parce qu'ensuite, on ne saurait dire qu'on s'y habitue, du moins sait-on qu'on en réchappe.
Des avions manqués, retardés, détournés (pour cause de verglas, de brouillard, de tempête), des valises perdues, des correspondants qui ne vous attendent pas et vous ne savez pas où vous devez vous diriger, des transferts anxiogénes (Ammam, 40 degrés pas de climatisation , les avions en retard, des annonces indéchiffrables, des gens qui s'évanouissent par suffocation), des transits au pas de charge, des appels qui ne vous sont pas parvenus parce que votre nom est vraiment trop déformé, des itinéraires étranges, particulièrement alambiqués pour complaire aux impératifs d'un prix d'agence (ainsi un Dar Es Salam / Paris, via Moscou, Aéroflot la compagnie la moins chère). Mille anecdotes.
Nous allons au Maroc chez des amis, janvier est terrible, nous espérons le soleil. Comme nous sommes coincés dans la salle d'embarquement, un type fait preuve d'un bagout inouï, nous récitant du Céline, du Flaubert, du Baudelaire, comme il respire. Fabrice Lucchini avant qu'il ne soit très connu, il n'a encore tourné que (si on peut dire) dans le Perceval de Bresson. Au retour, trois semaines plus tard, c'est la fuite du Shah et son atterrissage en catastrophe a Marrakech qui nous retient une journée supplémentaire dans un très bel hôtel, où nous retrouvons Lucchini et son verbe fougueux.
L'avion entre New Delhi et Katmandou (bien après la ruée vers l'Inde des années 70) où je constate que les femmes secondent spontanément les mères lorsque les enfants brament pendant que nous dégustons de délicieuses brochettes de lamelle de viande qu'on croirait cuites au brasero.
Un Fokker qui tangue entre Paris et Brème sans interruption de sorte que lorsque nous atterrissons je mets un temps fou à trouver l'équilibre ordinaire, joscille comme sur le pont d'un navire.
Une arrestation ubuesque à Frankfort: nous sommes deux hommes et quatre femmes et les deux ressemblent à on ne saura jamais qui. Nous sommes dérivés alors que nous sommes en transit et nos bagages fouillés et nos inquisiteurs ont beaucoup de mal à accepter de nous relâcher, nous étions censés représenter une grosse prise semblait-il.
Un avion minuscule de 20 places dans lequel on ne peut se déplacer qu'en se courbant et qui nous offre un panorama sur les plaines à céréales du Saskatchewan où on ne décèle aucun édicule attestant de l'existence de cultivateurs pour ces immenses étendues de blé.
Un jour, je manque l'avion pour Palerme après moultes péripéties dont je vous fais grâce mais qui m'ont littéralement réduite en charpie, je décide de ne pas prendre le suivant et de ne plus jamais utiliser l'avion.
Je ne me suis pas tenue à cet intégrisme, à cet absolu tabou, mais il est vrai que j'ai réorienté ma vie, en partie pour échapper à la foire des aéroports qui se ressemblent et sont tous uniques. Mention spéciale pour celui de Chicago où on prend des navettes qui longent des kilomêtres de batiments où stationnent et se démènent des milliers d'artisans de ce miracle du déplacement dans l'espace et le temps, où on est accueilli avec des chiens et où dans les couloirs passent en boucle le rappel des consignes de sécurité.
Voyage donc. Aujourd'hui, jeudi, je prend le TGV et je "monte à la capitale". Visite d'amis, observation du mouvement social de ce premier mai, l'expo de Calder à Beaubourg si le temps de queue n'est pas décourageant et grande fête d'anniversaire d'une amie chère avant de revenir sous le soleil exactement, lundi.
Illustration : Alexander Calder. Joséphine Baker (IV), vers 1928
© Calder Foundation, New York / Adagp, Paris 2009