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mardi 8 novembre 2011

Le cas Dubois



Ce week end c'était Vivons livres à Toulouse. (Je m'aperçois que j'ai des marronniers.)
J'y allais à la rencontre de Jean Paul Dubois, un des écrivains vivants que j'aime fréquenter assidument (à la vitesse de ses parutions du moins). J'avais donc lu son dernier opus * et comme je sais qu'il n'aime pas le passage obligé de la promo mais s'y prête néanmoins de bonne grâce (un sourire adorable) et avec beaucoup d'humour, j'ai pris la route sous le crachin et en dépit d'une épaule passablement douloureuse. Je ne l'ai pas regretté. Brice Torrecillas après avoir buté sur la prononciation de Sneijder, (comme tout le monde), a entamé la "confession" de JPD. Il a fait des études de sociologie à l'Université du Mirail, à une époque (post 68) où on n'avait rien à faire pour obtenir un diplôme sinon être présent. Époque joyeuse et qui a laissé à Jean Paul son goût de l'oisiveté. Ecrire est le moyen de vivre cette vie idéale où on n'est assigné à rien si ce n'est ce que l'on choisit. Il souligne à quel point ce mode de vie reste un scandale pour la plupart des gens. Ecrire ça n'a pas d'autre objet que d'y voir plus clair en soi. On n'écrit pas pour un public dit-il, mais pour quelques personnes, voire et surtout pour soi-même. C'est un travail comme un autre dont il ne faut pas surestimer l'importance. Qu'un auteur rencontre la consécration est pur hasard. JPD en est persuadé, il y a de très bons écrivains qui ne sont pas publiés, d'autres sont célèbres sans que cela signifie que leur production soit de la bonne littérature. (O' comme je l'approuvais!)
Paul Sneijder prend un jour un ascenseur et il se produit un accident extrêmement rare : l'ascenseur tombe. Il est le seul rescapé, tous les autres sont morts dont sa fille. Lorsqu'il se réveille de son coma, Paul ne peut plus reprendre sa vie antérieure. Il s'en détache d'autant plus qu'elle ne lui convenait pas. Sa seconde femme est une executive woman hyper libérale dont il a deux jumeaux fiscalistes et stupides. Cette Anna a toujours refusé de recevoir Marie, née du premier mariage de Paul. Cette atroce mesquinerie est désormais impardonnable, depuis que Marie se tient tous les jours auprès de lui, dans l'urne funéraire où se trouvent ses cendres. Comme dans tous les livres de Dubois, une place importante est donnée à l'auscultation de mécanismes. Cette fois il s'agit bien-sûr de ceux des machineries d'ascenseur, Paul lit tout ce qu'il peut trouver sur ces colonnes vertébrales de la verticalité, cette étrangeté du monde moderne.
Pour gagner sa vie il finit par devenir dogwalker, promeneur de chien, ce qui dégoute profondément sa femme, révulsée à l'idée qu'on puisse le voir ramasser des crottes de chien.
L'ensemble du livre est une observation mélancolique du monde désincarné, désenchanté de cette Amérique du Nord qui l'inquiétait déjà quand il y était envoyé spécial du Nouvel Obs (Jean-Paul Dubois, L'Amérique m'inquiète : Un champignon dans la tête, éditions de l'Olivier, 1996).
Ce job de promeneur de chien est en soi une sorte de summum de l'absurdité. En effet pourquoi s'encombrer d'animaux de compagnie si on n'a pas de temps pour sortir en promenade,
en leur compagnie justement. Paul au contraire se ressource auprès des animaux, il est même le seul à mater un réputé dangereux sans rien faire qu'être là, au plus juste.
Dubois est un virtuose du mélange entre tragique et cocasserie. En même temps qu'il touche au plus profond de la condition désespérante des humains condamnés à la faillite, il nous offre d'en rire, en notant sans faillir ces moments d'absurdité absolue qui déclenchent ce que Tournier dans Le vent Paraclet nomme "le rire blanc", dont la fonction est subversive à l'égard de l'ordre social.
La question du travail, de la fonction , de la représentation de soi dans la société déjantée où s'est effondré le surmoi qui maintenait une sorte de "courtoisie " et de respect est évidemment un des sujets de ce livre. Dubois ne fait pas de thèses, il observe la réalité et choisit des héros qui sont plutôt dans la catégorie des loosers, des inquiets, des stupéfaits par l'inanité de la prétention des humains.
Ensuite j'ai croisé l'amie Frédaime, pétulante et rigolarde. Elle connaît tout le monde, on ne peut lui dire deux mots sans que quelqu'un vienne lui claquer une bise. J'avais acquis sur le stand de N&B, petite maison d'édition en faillite (c'est elle qui me l'a appris), son recueil Papier du sang, textes poétiques dont La lettre afghane. Si Frédérique est drôle elle est aussi d'une belle sensibilité et la lettre afghane douloureusement sublime.

Je n'ai pas pu revenir le lendemain pour la lecture tissée qu'elle donnait du Fils prodigue. Ce n'est que partie remise, elle est de toutes les scènes.