mardi 24 mars 2009
Lepape : Le premier homme de lettres est une femme
Lepape, ce n'est BXVI, c'est Pierre Lepape, un journaliste et critique littéraire qui consacre sous ce titre un chapitre à Christine de Pisan dans son essai Le pays de la littérature. Des Serments de Strasbourg à l'enterrement de Sartre, paru au Seuil en 2003.
Jean-Yves Dupuis rendant compte du livre pour la Bibliothèque électronique du Québec livre un extrait d'un entretien accordé par Lepape (Conversations à Strasbourg)
"La lecture ne peut pas rentrer dans l'immédiateté, qui est primordiale aujourd'hui. Nos sociétés sont aussi dans l'apparition et la disparition constante, de produits qui changent tout le temps. Le livre est, en comparaison, un vieil objet, qui ne change guère. Le cas français est plus spécifique. Il y a une crise, du fait de l'engagement des écrivains après-guerre. Ils se sont trompés, comme tout le monde. Mais trop exposés, on ne les écoute plus."
Je ne commenterai pas cette dernière assertion, notamment "le vieil objet"dont je pense nous ne saurons pas nous passer quand les mines de coltan seront taries.
Je préfère revenir à la première femme de lettre, Christine de Pisan. Son cas est en effet emblématique. Elle se retrouve veuve à 25 ans et ne souhaitant surtout pas se remarier seulette suis et seulette veux être. Elle se bat, quand les moeurs de son époque incitait les jeunes veuves à prendre du bon temps, pour rester fidèle à son aimé disparu et élever les deux enfants qu'elle a eu de lui. Elle va être la première à fabriquer des textes où elle parle avec un je, pas Christine la personne, mais l'écrivain qui met à distance sa propre aventure humaine pour la rendre universelle. Comme elle n'écrit pas pour un Prince, elle doit trouver ses lecteurs et leur vendre les livres qu'elle manufacture elle-même.
Elle sent rapidement les limites de la poésie courtoise et va commettre la critique de "l'art de l'amour" "un amas compliqué et savant d'images et de considérations dont la seule fin, bien peu glorieuse, est de décevoir une pucelle par fraude et par cautelle". Selon Christine, le Roman de la Rose est celui de la misogynie traditionnelle de la cléricature, empreint de la haine et du mépris des femmes. On imagine quelles réactions elle a dû affronter. Première féministe donc. Lepape s'il le suggère n'utilise pas le terme. La figure de Christine a fait débat chez les féministes, et sans prendre la peine de développer, je prendrai son parti, surtout pour sa position sur l'inégalité d'accès à l'éducation comme cause de la différence entre les sexes..
Elle entreprend le chemin de longue étude à une époque où les femmes étaient tenues à l'écart du savoir. En 1410, ses lamentations sur les maux de la France est une défense du sentiment d'appartenance à un territoire et une ode à la paix. Elle mourra en 1430, peu après avoir rendu hommage à la Pucelle (Ditié de Jehanne d'Arc) qui venait de restaurer le royaume de France.
Lepape résume ainsi le rôle qu'aura joué cette auteure talentueuse et courageuse : cette femme invente l'homme de lettres, cette dame de cour dispute pied à pied avec les clercs, cette solitaire admoneste le gouvernement et les princes, cette étrangère (elle est née à Pizzano, un village près de Bologne) introduit dans notre littérature le sentiment national.
Christine, vois où nous en sommes; six siècles ont coulé sous les ponts et je viens de recevoir par le biais d'un ami (merci Phil) ce qui suit et qui rend compte de l'état de notre langue et de nos lamentables habitudes de pensée
*Un gars : c'est un jeune homme
* Une garce : c'est une pute
* Un courtisan : c'est un proche du roi
* Une courtisane : c'est une pute
* Un masseur : c'est un kiné
* Une masseuse : c'est une pute
* Un coureur : c'est un joggeur
* Une coureuse : c'est une pute
* Un rouleur : c'est un cycliste
* Une roulure : c'est une pute
* Un professionnel : c'est un sportif de haut niveau
* Une professionnelle : c'est une pute
* Un homme sans moralité : c'est un politicien
* Une femme sans moralité : c'est une pute
* Un entraîneur : c'est un homme qui entraîne une équipe sportive
* Une entraîneuse : c'est une pute
* Un homme à femmes : c'est un séducteur
* Une femme à hommes : c'est une pute
* Un homme public : c'est un homme connu
* Une femme publique : c'est une pute
* Un homme facile : c'est un homme agréable à vivre
* Une femme facile : c'est une pute
* Un homme qui fait le trottoir : c'est un paveur
* Une femme qui fait le trottoir : c'est une pute
Vraiment, le français, ce n'est pas compliqué ...
Voir La poésie que j'aime et Poèsies net
Illustration Christine de Pisan et son fils, enluminure du début du XVe siècle. Wikipédia
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15 commentaires:
c'est moi JC déguisé en Cactus , Zoë , fidèle lecteur !
Vos "masculin" / "féminin" nous ont fait friser l'apoplexie.
Je vais les faire circuler.
Je connaissais : quel est le féminin de "assis sur le canapé en train de regarder la télé" ? C'est " debout devant l'évier en train de faire la vaisselle".
Mais on va dire qu'avec l'"homme nouveau" ce n'est plus d'actualité.
Lavande
Il existe une "Papesse du diable", un peu plus affriolante que ce type papelard en robe blanche.
Je connaissais déjà cette triste litanie - mais je crois que, quand même, sur la République des livres d'aujourd'hui, on a atteint le fond avec les Furgole et autres.
Ca donnerait presque envie de devenir une chienne de garde...
Clopine
Un 807, six 807!
Moi aussi je suis une femme de (toutes petites) lettres!
Lavande
@Cactus, une facétie ou j'ai trois aux deux lascars en un ?
@Lavande, l'homme nouveau, c'est pas un "arlésien"?
@DH Hélas, les papesses ont été passées au bucher après avoir eu droit aux tortures raffinées que l'on sait
@Clopine, gardons au moins un chien de la chienne
@ Lavande, si six scies scient six cent saucissons, peut-on espérer la communion des six cents saints?
a suivre
Paroles de Michael youn, connais-tu la musique... ici le lien youtube
http://www.youtube.com/watch?v=GqqCgtxWf0E
Bonne journée, très bon article.
j'ai essayé de poursuivre la liste avec "un client", mais ça n'a rien donné, sinon "une cliente", autrement dit le presque-titre d'un roman de Pierre Assouline.
À ce propos, faudrait que j'essaie de trouver un masculin à "république", par exemple "trou du cul".
raie publique ? je propose mais c'est féminin !! ( ou alors : hommes impudiques ! en deux gros maux aussi !!
"A peu que mon cuer ne devient
Tout deffailli, comme pasmé,
De la grant joye qui lui vient,
Mon loyal ami tres amé,
De ce que, ma tres doulce joye,
Je te voy vers moy revenu;
Mais, plus que dire ne saroie,
Tu soyes le tres bien venu."
(Cent ballades d'amant et de dame, LXIII)
Bel hommage à la femme de lettres !
Pour les malotrus, qu'ils aillent au diable.
@Nadège. merci pour le lien. Je ne connaissais pas ce Michaël. La musique alourdit encore le propos
@Chr. un eunuque, le seul termeoù le féminin s'entend bien une nuque c'est joli
@Cactus ah bravo raie publique !
@Tania. Les mâles au trou?
Cactus est un fieffé menteur. Rien à voir entre nous deux : il est fidèle lecteur, je suis novice en ce terroir ...
Ce masculin/féminin m'a fait sourire : il est vrai que je suis du bon coté (et que mon sens moral est défaillant ...)!
Ma femme: contrat, durée, obligation, possession, matériel.
Mon homme: légèreté, amusement, frivolité, curiosité, plaisir, passion.
Folio publie dans sa collection à 2€ des textes de femmes de lettres. Il était temps !
Curieusement, je viens de travailler sur la biographie de Christine de Pisan (idem pour Louise Labbé, même si ce fut plus tard). Deux femmes libres, sans doute beaucoup citées par les féministes de ma génération, mais sûrement guère lues !
Travail préparatoire dans le cadre plus général d'un article sur les salons littéraires, m'en tenant à ceux que je connais de mémoire car la liste en est fort longue sur wikio, du XVIe au XIXe siècle.
As tu remarqué qu'ils furent tous tenus par des femmes ?
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