lundi 26 juin 2023

La voisine chroniquée. Merci Tania.

 Si vous ne connaissez pas le blog de Tania, je vous invite à le découvrir Textes & prétextes. Elle m'a fait le grand plaisir d'une présentation de La voisine que je reproduis ici. Je n'aurais sans doute pas mieux présenté mon livre. Je suis très fière de faire partie de la longue liste des auteur.e.s qu'elle a ainsi prososé.e.s à ses fidèles lecteurs. Merci Tania.

La voisine, Zoë L.

La couverture du premier roman de Zoë Lucider, La voisine, entre en résonance avec la citation d’Eric Chevillard en épigraphe : « Rares sont les belles femmes qui vivent comme si elles ne l’étaient pas, dans l’insouciance parfaite de cette beauté, exerçant des professions et se livrant à des activités où cette beauté n’est nullement engagée. » Tel est le cas de Suzanne, au centre de l’histoire qui aurait pu s’intituler « Recherche Suzanne désespérément » (ce titre, déjà pris, servira pour un chapitre).

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Illustration de couverture : Olivia Combes

La narratrice, une photographe lassée de sa vie nomade dans des pays en guerre, a acheté à Paris un appartement sous les toits « vendu en l’état », dont elle est tombée amoureuse à la première visite : « Ce lieu m’attendait. » Simple, confortable, « élégant de simplicité, luxuriant de sobriété ». C’est en y posant des provisions dans un placard qu’elle y a trouvé « un carton bourré d’aquarelles » et un cahier. Soucieuse de les restituer, elle se renseigne chez le notaire : il a réalisé la transaction avec un confrère qui s’est engagé à ne pas donner le nom du précédent occupant, excepté « une question de vie ou de mort ».

D’abord, elle s’est gardée de lire le cahier, un journal. Quand elle a fini par l’ouvrir et le feuilleter grossièrement, elle est tombée sur une date « superlative » pour elle-même, celle du jour où elle a « jeté l’éponge » : après avoir rompu avec Harry, un reporter de guerre, elle a pris l’avion pour Paris, loué une mansarde et exploré le quartier avec son appareil photo, photographiant des gens joyeux, en train de rire. Elle repère en triant ses photos des « entractes » entre ses clichés de guerre, des images paisibles prises sans doute pour se réconforter. Quand elle en parle à Magda, son amie galeriste, celle-ci a tout de suite une idée d’expo : « Guerre et paix ».

Le chapitre suivant, le plus long du roman, une cinquantaine de pages, reprend « Le Journal de Suzanne » qui va du 2 novembre au 21 décembre. Le premier jour, Suzanne y a noté une parole inattendue de son patron, Bertrand, qui s’en tient d’habitude au ton strictement neutre, courtois, adopté entre sa secrétaire et lui. Le même jour, elle a loué le petit studio à côté de son deux-pièces à une jeune femme qui partagera son palier au sixième sans ascenseur.

Quelques jours plus tard, Bertrand s’absente et la laisse libre de ses journées. Suzanne en profite pour faire du ménage, trie ses affaires, va se faire couper les cheveux chez Marine, très bavarde, qui refuse de couper davantage que cinq centimètres de sa chevelure « somptueuse ». Elle repeint le studio en blanc et envisage d’y installer son atelier si sa locataire ne réapparaît pas. Quand elle la retrouve sur le palier en train d’explorer le sac de vêtements qu’elle comptait mettre sur le trottoir, intéressée, elles font connaissance autour d’une pizza réchauffée. Suzanne parle peu d’elle-même et ne se formalise pas quand Carole lui demande que son nom n’apparaisse pas : « Pour tout le monde, le studio n’est pas loué, il est occupé de temps en temps par une amie. »

Suzanne évite les attaches. A part sa complicité facile avec Marine, elle fréquente le café d’Edgar, à quelques pas de l’immeuble. Carole l’invite à pendre la crémaillère en tête à tête. Quant à Bertrand, son patron qui l’a mise au chômage technique, sans perte de salaire, elle le tient à distance : il voulait son numéro de téléphone pour la contacter mais elle a répondu qu’il était sur liste rouge, qu’elle préférait un courrier. Quand elle le revoit, il n’a pas l’air bien – sa fille a disparu. Marjorie est majeure et lui a laissé un message où elle parle de « disparitions utiles », de sa peur du suicide. Il a perdu le contact avec sa mère, il se reproche d’avoir mis trop de pression sur sa fille. Suzanne fuit ces confidences et s’en débarrasse en les écrivant. Bertrand finira par cesser ses activités, en lui versant une indemnité très généreuse.

La lecture du Journal de Suzanne a rendu la narratrice curieuse de cette femme qui comme elle s’est « retirée d’une vie antérieure » et a occupé « cette tanière où [elle] avait [elle]-même trouvé refuge. »  Quand elle pousse la porte du bar près de chez elle, on n’y connaît pas d’Edgar. La coiffeuse qui ne s’appelle pas Marine lui dit que le patron du bar s’appelle André et qu’elle n’a pas connu de Suzanne. Celle qui occupait son appartement, c’était Jeanne, sans doute un faux prénom, une femme à l’histoire compliquée dont elle ne lui racontera rien. André lui donne le vrai prénom de la coiffeuse, Amélie ; il n’a pas la nouvelle adresse de Jeanne qu’elle lui a demandée pour « une question de vie ou de mort ».

En annonçant la publication de son premier roman sur son blog, L’arbre à palabres, Zoë Lucider notait que « La voisine n’est pas très activiste à rebours de son autrice, elle serait plutôt en retrait du monde, au point de disparaître après avoir changé d’identité. » J’ai repensé en lisant son roman à la question posée dans La carte des regrets de Nathalie Skowronek : « Que savons-nous de l’existence de ceux qui nous entourent ? » Zoë Lucider la pose à sa façon.

Tour à tour, le récit sera porté par André/Edgar, par Amélie/Marine, par d’autres qui ont été mêlés un temps à la vie de Suzanne. Pour la narratrice, celle-ci est devenue « une sorte de sœur », l’objet d’une quête obsessionnelle : « Je n’aurais pas eu plus d’acharnement à rechercher ma mère naturelle si j’étais une enfant adoptée. » Tandis qu’elle la cherche, attirée par son choix du retrait qui rejoint son propre besoin de solitude, celle qui raconte devient elle-même une voisine, dont les autres observent l’apparence, les habitudes. Entrecroisant  les témoignages, l’autrice nous rend jusqu’au bout curieux de démêler le mystère de la disparue. Au fil du récit et des dialogues, La Voisine raconte aussi les péripéties d’une vie de femme en solo, la vie quotidienne et les rencontres. A découvrir.

mardi 20 juin 2023

Marguerite

 

Née le 8 juin 1903, toujours d'actualité...120 ans plus tard.
 

 
« Je condamne l’ignorance qui règne en ce moment dans les démocraties aussi bien que dans les régimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu’on la dirait voulue par le système, sinon par le régime. J’ai souvent réfléchi à ce que pourrait être l’éducation de l’enfant.
Je pense qu’il faudrait des études de base, très simples, où l’enfant apprendrait qu’il existe au sein de l’univers, sur une planète dont il devra plus tard ménager les ressources, qu’il dépend de l’air, de l’eau, de tous les êtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout détruire.
Il apprendrait que les hommes se sont entretués dans des guerres qui n’ont jamais fait que produire d’autres guerres, et que chaque pays arrange son histoire, mensongèrement, de façon à flatter son orgueil.
On lui apprendrait assez du passé pour qu’il se sente relié aux hommes qui l’ont précédé, pour qu’il les admire là où ils méritent de l’être, sans s’en faire des idoles, non plus que du présent ou d’un hypothétique avenir.
On essaierait de le familiariser à la fois avec les livres et les choses ; il saurait le nom des plantes, il connaîtrait les animaux sans se livrer aux hideuses vivisections imposées aux enfants et aux très jeunes adolescents sous prétexte de biologie. ; il apprendrait à donner les premiers soins aux blessés ; son éducation sexuelle comprendrait la présence à un accouchement, son éducation mentale la vue des grands malades et des morts.
On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en société est impossible, instruction que les écoles élémentaires et moyennes n’osent plus donner dans ce pays.
En matière de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout de celle du pays où il se trouve, pour éveiller en lui le respect et détruire d’avance certains odieux préjugés.
On lui apprendrait à aimer le travail quand le travail est utile, et à ne pas se laisser prendre à l’imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatées, en lui préparant des caries et des diabètes futurs.
Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses véritablement importantes plus tôt qu’on ne le fait. »
Marguerite Yourcenar, "Les yeux ouverts."

lundi 15 mai 2023

Un peu de spectacle vivant ne peut pas faire de mal

 Je suis allée voir le seul en scène Marc Arrnaud "La métamorphose des cigognes" un titre à lui seul très drôle puisque l'acteur nous prend à témoin des affres qui le torturent au moment de fournir son sperme pour une FIV (fécondation in vitro), alors que sa femme est sous anesthésie pour subir un prélèvement d'ovule. Pourquoi veut-il un enfant ? Le veut-il vraiment d'ailleurs ? Pourquoi ce procédé humiliant lui est-il échu ? Qu'a-t-il bien pu faire pour en arriver là. ? On rit, mais c'est aussi touchant un homme qui se débat dans ses contradictions. Il est vrai que le plus souvent l'enfant naît d'un accouplement "normal". Est-ce si "normal"? Pendant le temps qui lui est attribué pour accomplir sa mission, il ne parvient pas "s'y mettre" et l'infirmier le rappelle régulièrement pour lui demander où il en est du protocole; Il convoque les figures de son entourage qui le harcèlent, les souvenirs de ses premières expériences sexuelles, les rèves qui lui présentent des situations anxiogènes. Dans l'un d'eux, un enfant lui dit qu'il a failli être un bébé éprouvette,mais  ses parents ont finalement eu la bonne idée d'aller à La Martinique dont le climat chaud et humide favoriserait la fertilité.L'acteur accompagne son délire d'éléments scientifiques cohérents avec son sujet. Seul en scène avec un tabouret et un gobelet pour recueillir le précieux liquide séminal. Bel exercice ! 

Marc Arnaud et son gobelet .

En cherchant son profil dans wikipédia, j'ai été effarée de la longue liste de ses prestations au thèâtre, au cinéma, à la télévision. Il a obtenu le Molière  2022 du seul en scène. Mérité !

Vu le film  "Sur l'Adamant" réalisé par Nicolas Philibert, sorti en 2023 et Ours d'or à la  73 Berlinale.


 

l'Adamant, centre de jour situé Quai de la Rapée dans le 12e arrondissement de Paris, on accueille sur une péniche des adultes souffrant de troubles psychiques. On y pratique la psychiatrie institutionnelle : tournant le dos aux pratiques d'enfermement, cette approche s'appuie sur la dynamique de groupe et la relation entre soignants et soignés. Patients et soignants sont filmés pendant sept mois" (Présentation wikipédia). On reconnaît la délicatesse qu'on avait pu apprécier dans les précédents films de Philibert, pour approcher au plus près mais sans violence les délirants qui viennent sur la péniche pour trouver bienveillance et bonne humeur et s'y ressourcer. Tous les patients sont des fracassés mais leurs propos ne sont pas insensés. Au contraire ils résonnent avec nos terreurs secrètes qu'ils mettent à jour sans filtre. Sur l'Adamant, ils fabriquent, ils créent, accompagnés par des soignants qui ont tombé le costume médical et sont simplement des humains à l'écoute qui les connaissent et accueillent joyeusement leurs saillies tonitruantes, respectent leurs obsessions, encouragent leur vaillance. Hommage mérité !   

Ma fille, au nombre de ses multiples engagements se produit actuellement dans un spectacle de marionnettes qui met en scène la vie quotidienne dans un EHPAD 

J'étais un peu circonspecte quant au sujet. Vu le spectacle en sortie de résidence c'est à dire à peine rodé.  J'ai été émue par ce que ces vieux accompagnés par les trois jeunes femmes qui sont leurs soignantes (et manipulent leurs vieux corps fourbus) expriment de la douleur de vieillir mais aussi rient de leur résistance à encore vivre. Belle performance des comédiennes qui prennent tour à tour les voix chevrotantes de leurs marionnettes et leurs voix de femmes surchargées de travail, harcelées par le quotidien. Pour en savoir plus  

Vu à la télévision "Sale race". Tania de Montaigne propose de regarder enfin le mot "Race" en face. Sous forme d'une fausse conférence orchestrée par Stéphane Foenkinos et teintée d'une drôlerie cruelle, "Sale Race" invite à un voyage au coeur des préjugés où s'entrecroisent la petite et la grande Histoire.Un spectacle vivant à la croisée du théâtre et du documentaire, mêlant interaction avec le public, archives et lectures de textes fondateurs par huit invités : Sophia Aram, Hugo Bardin aka Paloma, Théo Curin, Amir Haddad, Lucien Jean-Baptiste, Valérie Karsenti, Paola Locatelli et Liliane Rovère. (présentation France TV)


 

On (re) découvre les textes publiés il n'y a pas si longtemps qui dépeignent le Noir sous des propos méprisants et méprisables. La majuscule est ce qui crée la frontière entre eux et nous et englobe en une même entité des singularités encamisolées dans le stéréotype et le préjugé.   Tania de Montaigne porte un nom qu'on lui refuse comme légitime, ce n'est pas un nom d'Africaine ! Comme si tous les gens de couleur sombre étaient Africains, comme si l'Afrique formait un continent homogène sans distinction de langues, de cutlures, d'histoire.  Et comme si être née en France, de parents nés en France n'était pas suffisant pour être admis.e dans la communauté nationale. On examine le cas dess Asiatiques, des Juifs, des Roms qui subissent eux aussi discriminations et rejets. Un mode de mise en scène qui permet d'aborder un sujet grave de façon accessible.  A voir en replay sur France TV. 

Dernier en date "Le problème lapin" "Une conférence débridée et follement jubilatoire sur l’Anthropocène (nouvelle ère géologique de la terre) dans une dérive du raisonnement jusqu’à l’absurde. Absolument réjouissant ! (Présentation Scène nationale d'Albi Tarn)

Drôle, pédagogique, militant et surtout un moment de dilatation des zygomatiques. Un duo Frédéric Ferrer / Hélène Schwartz, excellent.  

Vive le théâtre, le spectacle vivant, même quand il est diffusé par le média filmique !

Et ne pas oublier "La voisine" Zoë Lucider, Editions Pelandra. A commander en librairie.

lundi 24 avril 2023

La voisine sort de ses limbes

La voisine sort enfin de son confinement après une longue attente. Entamé, il y a plus de 20 ans son parcours a été semé d'embûches et entravé par le peu de disponibilité de son auteure. L'absence d'éditeur dans la liste de ses contacts pourtant très fournie mais pas du tout dans le domaine de la mise au monde d'un ouvrage classé littérature romanesque ne l'a pas encouragée à poursuivre. La voici enfin prête à prendre son envol, grâce à une jeune maison d'édition, rien ne remplace le contact direct. Elle est donc de sortie le 2 mai, juste après les grandes manifestations prévues pour persister dans le harcèlement de nos élus, sourds même aux concerts de casseroles. La voisine  n'est pas très activiste à rebours de son autrice, elle serait plutôt en retrait du monde, au point de disparaître après avoir changé d'identité.

Longtemps restée stockée dans la mémoire de l'ordinateur, elle a été revue par une ancienne agente littéraire, donnée à lire à (très) peu d'amis (il est si difficile de donner un avis à un.e ami.e en toute honnêteté).  Envoyée à une dizaine d'éditeurs qui l'ont honorée de réponses banalisées. Bref, elle n'espérait plus accéder au statut de vrai livre que des lecteurs peuvent se procurer en cliquant sur ce lien, . Il sera possible de le commander en librairie à partir de mai.

Bien-sûr, l'auteure n'espère pas vivre de ses ventes, seulement permettre au jeune éditeur, qui a accepté d'inaugurer sa collection avec cet ouvrage, de couvrir ses investissements. Si vivre de son écriture était vraiment possible, il n'y aurait pas autant d'écrivain.e.s de talent qui seraient contraint.e.s de se livrer à d'autres activités plus lucratives (enfin "lucrative" au moins permettant de vivre), ainsi qu'en a témoigné Bernard Lahire

"Acteurs centraux de l'univers littéraire, ils sont pourtant les maillons économiquement les plus faibles de la chaîne que forment les différents " professionnels du livre ". À la différence des ouvriers, des médecins, des chercheurs ou des patrons, qui passent tout leur temps de travail dans un seul univers professionnel et tirent l'essentiel de leurs revenus de ce travail, la grande majorité des écrivains vivent une situation de double vie : contraints de cumuler activité littéraire et " second métier ", ils alternent en permanence temps de l'écriture et temps des activités extra-littéraires rémunératrices".

Quand ces activités "rémunératrices" sont excessivement "time consuming" (pardon pour l'anglicisme qui me vient spontanément parce que je travaille très souvent en anglais) le temps d'écriture personnelle est lui même réduit à peau de chagrin (terme o'combien approprié en l'occurence).   

C'est donc le premier roman qui vient enfin au jour (il y en a d'autres qui attendent, déjà écrits mais...) Vous qui me suivez fidèlement, merci de lui faire bon accueil.  Si vous l'aimez, dites -le moi. Sinon, vous pouvez aussi le dire. Toute critique est utile à condition qu'elle soit aimablement formulée.

 



 

mardi 28 mars 2023

Mélancolère

 "Ecrire. Verser avec rage toute la sincérité de soi sur le papier tentateur, si vite, si vite, que parfois la main lutte et renâcle, surmenée par le dieu impatient qui la guide... et retrouver, le lendemain, à la place du rameau d'or, miraculeusement éclos en une heure flamboyante, une ronce  sèche, une fleur avortée". Colette La vagabonde .  


Il y avait si longtemps que j'avais lu Colette, avec gourmandise et jubilation. J'avais seize ans et sa Claudine m'ouvrait des passages vers mes propres émois. J'avais par la suite lu le Blé en herbe, Chéri, et quelques autres mais j'étais plus âgée et en dépit de cette écriture foisonnante, sensuelle, attachée à restituer le goût et les odeurs des choses de la vie, je cessais de la lire. On lui rend hommage ces derniers temps  à l'occasion du 150 ème anniversaire de sa naissance et j'ai eu envie de la relire. 

La vagabonde est le roman d'une femme qui a dû trouver du travail pour vivre après son divorce. Elle pratique la pantomime dans un cabaret en compagnie d'un complice qui la bouscule avec tendresse et au milieu d'artistes qui sont tous comme elle dans la dèche. Renée, c'est son nom, ne veut plus entendre parler des hommes et lorsqu'un admirateur énamouré la poursuit, elle le dissuade jour après jour. Mais la tenacité de l'amoureux finit par la convaincre et elle s'abandonne au plaisir d'être aimée par un homme, fortuné de surcroit. Hélas, lorsque le bel amant veut devenir le vilain mari, l'attachement est au prix de la liberté et Renée  choisit de rester vagabonde.     

On sait que Colette a en effet travaillé dans des music halls après avoir divorcé de Willy. Non seulement celui-ci l'employait à écrire des livres qu'il signait de son nom mais collectionnait les conquêtes. La vagabonde décrit avec humour le petit peuple des coulisses avant son passage sur scène. Le roman est un témoignage de cette époque, entre les deux guerres où on aimait le caf' conc' et où le monde interlope se frottait aux bourgeois dans ces lieux de plaisir.  Je vais poursuivre avec Le Pur et l'Impur méditation agréablement agrémenté d'exemples sur  le plaisir amoureux . Mais auparavant j'ai d'autres livres à lire impérativement.

Le premier livre de Pauline Hillier. "A vivre couché". Je vais le  lire à la suite de son dernier  qui m' a beaucoup impressionnée et émue . À l'issue d'une manifestation, Pauline, jeune Française, est arrêtée et conduite à La Manouba, la prison pour femmes de Tunis.


 C'est en effet une quintescence d'humanité qui habite ce livre. On y découvre des destins de femmes entravées qui n'ont souvent pas eu le choix de vivre en marge, de débrouille, de petits délits, voire de se débarrasser du monstre qui leur infligeait coups et humiliations. Le livre est tout sauf un long sanglot. Il est drôle et surtout pas manichéen et il donne à voir les conditions indignes dans lesquelles les femmes survivent et les formes de solidarité qui s'inventent pour y résister.

Comme chaque année, je suis allé marcher avec les femmes, le 8 mars. C'est une sorte de marronnier de ce blog. Chaque fois je capture quelques slogans qui m'amusent. Je zoome de façon à préserver le droit à l'image des porteuses de pancarte qui sont toutes de ravissantes jeunes femmes. Elles assurent la relève sont plus virulentes et assurées que nous pouvions l'être.

  




"Mélancolère", c'est un mot valise du poète Romain Noèl cité par Marielle Macé dans son ouvrage "Sidérer. Considérer. Il correspond bien à l'état d'esprit dans le quel je me sens actuellement; 

Pour créer une autoroute, l'A69 devant relier Castres à Toulouse, ne présentant aucune utilité réelle, sauf celle d'implanter des péages sur un parcours dont il suffisait d'élargir la nationale actuelle qui ne croule pas sous le trafic, on abat des arbres un peu partout sur le parcours, on saccage des terres agricoles, on exproprie des gens. Ce projet vieux de 25 ans qui a été repoussé par plusieurs recours est imposé en force. A l'heure où il s'agit de sauvegarder tout ce qui peut lutter contre le réchauffement climatique, cette absurdité va se réaliser. Des activistes courageux jouent les écureuils dans les arbres pour freiner l'avancée des machines avant la date du 31 mars après laquelle il est interdit d'abattre les lieux de nidification des oiseaux. Ils sont bien entendu sous haute surveillance.

Je suis allée à leur rencontre samedi dernier. Il fallait se faufiller entre les camions bleu marine. Une fois dans le groupe, c'était joyeux mais rempli de "mélancolère". Où iront les oiseaux ensuite ? Et cette belle architecture lentement élaborée par la patience de la sève, sera déchiquetée en quelques minutes.

 



     Je ne dirai rien des manifestations contre la réforme des retraites  sauf peut-etre cela glané jeudi à Paris

 


Et pour conclure, cela, affiché dans un tiers-lieu proche de la Bastille où après une table ronde bien paisible, suivie d'un apéro dinatoire, nous sommes sortis environnés de camions de CRS et de BRAV-M 


Chacune des bribes rassemblées ici mériterait un développement plus long, mais le blog n'est pas le lieu des  approfondissements, c'est un calepin où on consigne de petites notes pour ne pas tout à fait oublier. 


mardi 31 janvier 2023

Ca ne s'arrange pas !

 

 HCE - Rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France

 9 femmes interrogées sur 10 affirment anticiper les actes et les propos sexistes des hommes et adoptent des conduites d’évitement pour ne pas les subir. Ainsi elles renoncent à sortir et faire des activités seules (55 %), à s’habiller comme elles le souhaitent (52 %), veillent à ne pas parler trop fort ou hausser le ton (41 %), ou encore censurent leur propos par crainte de la réaction des hommes (40 %). Près d’une femme sur 5 (18 %) a des difficultés à prendre la parole au sein d’un groupe. 8 femmes sur 10 ont peur de rentrer seules chez elles le soir.
Ces contraintes constituent comme une seconde « charge mentale » pour les femmes alors qu’elles doivent déjà subir celle, « classique », de l’addition des tâches professionnelles, familiales et ménagères.
Cela induit une perte de confiance en soi des femmes et entraîne des conséquences concrètes sur leur vie quotidienne et leur parcours professionnel : par exemple, 35 % des actives n’ont pas osé demander une promotion ou une augmentation, et cette proportion atteint 44 %, soit presqu’une femme sur 2 pour les CSP moins. Les situations sexistes au quotidien peuvent donc fonctionner comme des trappes à bas salaire et expliquer pour partie la persistance d’inégalités salariales sur le marché du travail.
Nouvel enseignement de l’étude : 15 % des femmes ont déjà redouté voire renoncé à s’orienter dans les filières / métiers scientifiques ou toute autre filière / métier majoritairement composé d’hommes, surtout par crainte de ne pas y trouver leur place ou de s’y sentir mal à l’aise, mais aussi par peur du harcèlement sexuel pour 18 % d’entre elles. Un taux qui s’élève à 22 % pour les 25-34 ans.

 

Beaux Arts, Cour Bonaparte

A 18 ans, je suis arrivée de ma province à Paris et je me suis inscrite aux Beaux Arts, en Architecture. J'étais émerveillée de faire mes études à Paris. L'atelier où on était admis en préparatoire  portait le nom d'un Maître reconnu, tous les niveaux s'y côtoyaient dans la grande salle. Les "nouveaux" avaient un atelier plus petit et étaient soumis à la corvée dite de "Masse", une fois par semaine. Elle consistait à se mettre à la disposition des anciens, soit pour aller leur acheter des clopes ou des bières, à changer leur disque de stationnement (oui,ça existait encore, les parcmètres n'étaient pas encore inventés) ou encore à "gratter" pour eux sur un de leurs travaux, c'est à dire à tirer des lignes au Rotring rapidograph, épreuve épouvantable en ce qui me concernait. Nous n'étions pas nombreuses, quatre ou cinq, deux nouvelles, dont moi, et trois anciennes mais qu'on ne voyait guère, sauf les jours d'exposition des travaux, que le Maître parcourait arborant un nœud Pap du plus bel effet. C'était la joyeuse époque des  bizutages avec moult enfarinages et autres stupidités plus violentes. Pour moi, c'était le harcèlement qui m'était difficile. J'avais fini par ne plus traverser la salle des anciens pour me rendre à la bibliothèque ou aux amphithéâtres. Je descendais les quatre étages vers le quai Malaquais, remontait la rue Bonaparte pour rejoindre la cour d'où j'empruntais l'escalier (plus monumental) pour rejoindre la bibliothèque évitant ainsi, les lazzis, les allusions à mes seins et mes fesses et les mains qui se tendaient pour les tâter en toute impunité. Mais comme je ne pouvais échapper aux jours de masse, selon les zigotos présents, c'était éprouvant, humiliant, détestable. J'ai vite compris que ce métier était destiné essentiellement à des mâles, issus de familles fortunées, qui avaient les moyens de maintenir  en apprentissage, pendant de longues années, les futurs génies de la pierre. Je vivais avec un de ces rejetons qui a continué ses études, sans moi. J'ai bifurqué vers l'Université des Sciences Humaines où les mœurs étaient un peu moins cyniquement machistes (quoique). Et j'ai pu constater que les estrades étaient toujours occupées par des hommes même si la population estudiantine était là en grande majorité féminine. J'ai gardé un goût certain pour le bâtir, qui m'a été utile au moment de la rénovation des lieux que j'habite. J'ai cessé de dessiner (envie parfois de m'y remettre). j'ai mis un certain temps à oser prendre la parole en public et même si je suis très entrainée désormais, je subis encore très souvent l'interruption ou l'ignorance quand je parle. Je me suis parfois demandé si j'aurais persisté si le milieu n'avait pas été aussi violent à l'égard du féminin. Je pense tout de même que ça a changé et que les jeunes hommes sont un peu moins crétins. mais le rapport du HCE n'est pas très encourageant. "Du sexisme quotidien, dit « ordinaire », jusqu’à ses manifestations les plus violentes, il existe un continuum des violences, l’une faisant le lit des autres" (...) une situation qui s’aggrave avec l’apparition de phénomènes nouveaux : violence en ligne, virulence accrue sur les réseaux sociaux, barbarie dans de très nombreuses productions de l’industrie pornographique, affirmation d’une sphère masculiniste et antiféministe.

Que les femmes osent s'émanciper, ça enrage les fortiches de la suprématie, d'autant qu'on avait réussi à leur faire croire à ces "dindes" qu'elles étaient des incapables et qu'elles prouvent non seulement qu'elles ont beaucoup de talents mais elles exhument désormais les oubliées de l'histoire, les scientifiques qui ont trouvé mais se sont fait voler leur découverte, les artistes ignorées qui ont pourtant créé des œuvres magistrales et les écrivaines nobelisées. 

On espère que ce sont les derniers soubresauts et que nous allons enfin pouvoir établir des relations dégagées de toutes les scories d'un patriarcat devenu obsolète. On espère...

    

     

jeudi 29 décembre 2022

D'images et d'eau fraîche

J'ai eu envie de partager quelques unes de mes photos publiées sur le blog défifoto,  qui vit peut-être ses dernières heures faute de combattants. Le premier du mois une photo selon un thème  sélectionné après propositions puis votations.

Thème photo retravaillée.

 Ce désir m'a été inspiré par
le titre du très beau livre de Mona Chollet qui est paru en septembre, magnifiquement illustré des captures qu'elle collectionne sur Pinterest dans une sorte de monomanie dont elle livre le détail. 

Elle débute son ouvrage en citant Rezvani, un auteur qu'elle révère et je ne peux que m'identifier. "Les années lumière" et l'histoire d'amour avec sa Lula m'avait si fortement touchée. Le bel amour  n'a pris fin qu'à la mort de Lula après 50 ans de vie à la Garde Freinet, dans le Massif des Maures où le couple s'était installé, fuyant la Capitale. Rezvani vient de faire paraître à presque quatre vingt quatorze ans "Beauté, j'écris ton nom".

Venise, hiver 2015

Mona Chollet analyse son "addiction" à l'image,  collection compulsive, une évasion quotidienne qui lui permet d'échapper à l'actualité anxiogène. D'une certaine façon, c'est essentiellement cela le rôle du web, fournir à chacun une échappatoire.

Denis Grozdanovitch   dans son livre "La gloire des petites choses " note que " le soir venu, le moindre hameau perdu parmi les bois et les prés (...) littéralement partout, jusqu'aux fenêtres des fermes les plus délabrées, palpitent les lueurs des écrans censés nous relier au monde de nos contemporains et qui n'aboutissent pourtant qu'à créer cet étrange phénomène oxymorique de plonger le monde entier dans une gigantesque solitude collective. L'ultramoderne solitude que chante Souchon.

 

Effilochés (Nuages)

Dans un monde de l'utilité mesurable en espèces trébuchantes, Mona Chollet interroge la relation équivoque que nous entretenons avec la rêverie, le plaisir de la contemplation. Elle cite Susan Sontag "une société capitaliste exige une culture assise sur des images. Elle doit fournir de la distraction en grande quantité afin de stimuler la consommation et "d'analgésier les blessures de classe, de race et de sexe". Le philosophe Michel Foessel s'oppose à cette vision  "Jouïr dans un monde injuste trahirait toujours une compromission" en affirmant : "le plaisir fait avec ce qui est là (...), mais dans ce "faire" l'avenir cesse d'être seulement espéré, il commence ici et maintenant"

Mona Chollet nous offre en partage toute une série de vignettes et commente les appariements qu'elle a fait avec des images de son enfance, des lectures, des rencontres. Elle créé des albums selon des thématiques  qu'elle affectionne et note que la profusion qu'Internet et le numérique ont introduite permet de ne plus choisir entre l'appropriation et le partage".

C'est le propre de la connaissance, de la culture : donner ne signifie pas perdre mais au contraire s'enrichir du plaisir partagé. Son livre est un recueil réjouissant de réflexions et d'illustrations à offrir ou s'offrir. 

Mona tenait une sorte de blog  Périphéries dont je vous conseille les archives.

Silhouettes d'amies, La Rochelle


 Denis Grozdanovitch  se demande comment nous en sommes venus à négliger la poésie (au passage il n'est pas tendre pour René Char, ce qui m'a un peu troublée). Il rend hommage à un photographe que j'ai découvert, Bernard Plossu qui "nous aide à percevoir le charme inégalable de l'anodin et du familier". J'ai pensé à Henri Zerdoun dont je suis le travail depuis de nombreuses années. Il publie sur Facebook des photos magnifiques selon des thèmes. En ce moment il s'agit de la pluie. DG termine son livre (un bijou d'intelligence, d'humour, de culture) par une série de citations de poètes et notamment d'haïkus. Je souscris pleinement à son propos : la désaffection pour la poésie véritable, si criante aujourd'hui, nous la devons principalement au pragmatisme économique qui a envahi le monde avec l'avènement du productivisme industriel, indifférent, voire hostile à la marche discrète des mouvements infimes.  

Alcôves maritimes

Dans les alcôves maritimes

Nos fiancées se languissent

Serons nous bientôt des hommes  

Aimants à leurs côtés ?

Ou des mutants à genoux

Implorant sans espoir la manne matérialiste

Qui jamais n'étanchera nos soifs d'absolu

Guillaume Lashi Manifeste poétique de la terre en feu. Editions Pelandra


Vers où aller ?  


Y'a une route (Manset)


Photos ZL