vendredi 7 janvier 2011

Identité notionnelle, bis répétita

(Ph. JEA / DR).

"Elle est née quelque part, certes, mais elle n'y est pour rien et même aurait préféré naître ailleurs, un goût prononcé pour l'exotisme.
Elle a grandi mais on l'y a poussé. Elle a eu beau freiner des quatre fers, elle a bien été obligée de se redresser et aussi bien, commencer à prendre langue puisque c'était décidément plus efficace que les cris et les borborygmes pour obtenir du pain et des jeux.
Elle a chanté, on a prétendu qu'elle le faisait bien. Toute musique entrant dans son oreille ressortait par sa bouche. Elle était la mémoire familiale. Comment c'est déjà, tu sais bien cette chanson ? Elle s'exécutait.
Elle a dansé, son corps souffrait de trop de raideur si elle ne lui donnait pas de l'exercice, danser lui était aussi indispensable que courir et plus compatible avec les espaces confinés.
Elle a écrit, sur le plâtre frais que son père appliquait sur les murs, il admirait la performance et haussait les épaules quand sa mère protestait. Le graffiti comme méthode, en droite ligne des cavernes
Elle a aimé les livres. Elle lisait avant de savoir lire. Elle se promenait avec un livre quand elle n'aurait pu en déchiffrer un mot. Elle harcelait son frère pour qu'il lui apprenne et quand enfin elle entra à l'école, elle considéra avec mépris ces morveux accrochés aux basques de leur môman et braillant comme à l'abattoir.
Elle a aimé l'école, ah oui, elle trouvait passionnant tout ce qu'on y apprenait. Tout, sans exception. Le monde s'ouvrait enfin, immense, et elle allait y faire une grande carrière de vivante si elle ne mourait pas tout de suite, car cette perspective l'accompagnait tous les jours. Vis comme si tu devais mourir demain.
Elle a su très tôt qu'elle ne resterait pas toute sa vie au bord de cet Atlantique dont pourtant elle aimait les rochers, les dunes, l'iode et le bruit des vagues.
Elle a désiré Paris, la ville prodige, où on peut façonner un destin, autre chose que cette province où la rumeur tenait lieu de pedigree. Paris, la joie de son immersion à peine ternie par la souffrance de ses oreilles et de ses sinus, sursaturés d'émanations, le bruit et l'odeur. Paris les quais, les lumières, les bars, les musées, la cinémathèque, les petits restaurants où elle avait ses habitudes et une ardoise, les chambres sous les toits d'où elle tutoyait les pigeons.
Elle a voulu connaître le vaste monde et s'y est risquée avec peu de moyens et les yeux plus grands que le ciel.
Elle a donné la vie après avoir longtemps hésité, parce qu'elle craignait de perdre sa folle insouciance, ce qui advint.
Elle s'est employée en harangues et gesticulations afin de faire mousser d' improbables utopies, en particulier celle d'un monde où les frontières seraient tracées au bolduc.
Elle a divorcé de la Capitale, elles ne sauraient vieillir ensemble.
Et la voici, juchée sur une petite colline, contemplant le couchant et ne sachant toujours pas si elle est ce qu'elle croit être, ou celle que les autres croient voir.
J'oubliais. Ses papiers sont estampillés d'origine contrôlée et depuis longtemps déjà, on ne les lui réclame plus."



Paru en janvier 2010 chez JEA, Mosaïques dans le cadre des Vases communicants, le texte de JEA sous l'arbre

dimanche 2 janvier 2011

Comment va La sorcière et toile à matelots


- Bonjour o' vénérable, je venais vous souhaiter une excellente année et vous demander quelques conseils pour les jours à venir.
- Je ne donne pas de conseils, je ne lis pas dans le cristal et par conséquent je ne sais rien de rien à l'avance.
- Mais pourriez-vous me dire si je dois m'inquiéter de la montée de l'intolérance. Des chrétiens assassinés, des types qui éructent un peu partout.
- Oui.
- Comment ? Mais encore ?
- Oui, vous pouvez vous inquiéter. L'horreur du monde s'est toujours adossée à ce genre de folie. Les sorcières en savent quelque chose.
- Une de mes amies se trouve en Afrique, doit-elle envisager de revenir ?
- Oui.
- Comment en être aussi certaine ?
- Je ne suis certaine de rien, sauf de l'éternel retour de la pulsion de meurtre en cheville avec l'appétit de pouvoir.
- Puis-je espérer trouver du travail cette année, je suis en fin de droits.
- Nous sommes tous et de plus en plus en fin de droits.
- Vous n'êtes pas très encourageante.
- Mais si ! Indignez-vous! Vous êtes jeune, c'est à vous de secouer ce vieux monde.
- Vous croyez encore à un monde meilleur ?
- On n'a pas besoin de croire à un monde meilleur pour se bouger, il suffit de constater à quel point celui-ci est mal foutu. Faites votre part. C'est tout!
- Oui, mais comment ?
- Vous êtes seul à savoir ce que vous êtes en mesure de faire au mieux pour le moins pire. Cependant cherchez des alliances. Il n'y a d'intelligence utile que collective. Seul l'Art peut être une recherche individuelle et encore! parce que tant d'artistes vous auront ouvert le chemin.
- Qu'allez-vous faire vous-même ?
- Titiller les étoiles, mon passe-temps favori.

Illustration Le dico des sorcières. Elizabeth Brami, Francis Délivré, Hachette Jeunesse

vendredi 31 décembre 2010

Voeux à valoir

2011


Mouais, espérons !

Mes amitiés à tous
!

mercredi 29 décembre 2010

La dispute

http://photos.blogs.liberation.fr/photos/uncategorized/2008/06/29/la_dispute.jpg


Il y avait longtemps que je n'avais visité "l'autofictif" d' Eric Chevillard.

J’ai coupé en morceaux le corps de ma femme puis j’ai mis ces morceaux dans une valise, elle a fait de même avec le mien, en sorte que nous voilà bien lourdement chargés pour les vacances.


À ne pas confondre, la brute conjugale prompte à cogner, ce crétin violent, inexcusable, ce gorille aux poings haineux, et le paisible bonhomme que sa femme habitée par le démon de l’autodestruction utilise comme gourdin, comme massue, comme couteau, répugnant sans doute à se mettre elle-même en pièces avec les ongles et les dents et préférant, toujours en quête d’un coupable, aller se déchirer sur les moindres aspérités de son compagnon, inévitablement anguleux et contondant par endroits du seul fait qu’il existe et remue, et dont le geste le plus innocent devient malgré lui un coup.

(Elle ne l’écoute plus que quand il ronfle.)

Le dernier est encore le plus terrible à mes yeux.

Illustration La dispute et un petit dernier pour la route avant d'entrer dans une nouvelle année pleine de bonheur et de joie de vivre, c'est le Prez qui vous le dit

dimanche 26 décembre 2010

Exercices de lucidité


http://www.mess.net/galleria/dix/1927baby.jpg



À l'université, mes professeurs me traitaient de dilettante, estimant dommageable pour mon intelligence de cultiver la paresse. Je plaidais coupable. Je n'ai jamais eu d'amour, mais simplement du goût pour la philosophie. Je me suis prêté à elle sans jamais m'y donner. Je potassais les auteurs officiels rarement avec plaisir, mais je me délectais de ces penseurs hors cadre, casseurs d'idéaux et de valeurs, rangés dans la rubrique «littérature », que l'on appelle les «moralistes». Ayant appris très tôt à penser dans leurs livres, je tiens depuis que philosopher ne consiste pas à enseigner à vivre ou à mourir, encore moins à nous consoler de notre finitude, mais à examiner la pertinence de notions tenues pour évidentes, à démystifier des foutaises ronflantes, à mettre un nez rouge aux idoles. En m'adonnant à ces exercices de lucidité, je ne vis pas mieux : je me divertis un peu.

Frédéric Schiffter. Philosophie sentimentale. Flammarion

Illustration : Otto Dix, Newborn Baby on Hands, 1927


lundi 20 décembre 2010

Quand les silences mentent...

Gras Photo : JEA (DR).

Quand les silences mentent
comme des arracheurs d'étoiles

en négatif
les nuits deviennent blanches

puis les aurores saignantes
au bord tranchant des réalités

des nuages épousent les fuites en avant
qui épongent le front de l'horizon

imprégnés de calmants des oiseaux
tombent lentement, calmement

quelques mots tournent en rond
et puis s'en vont sans retour

heureusement aucun arbre
n'accepte de racines carrées

il fait hier, il fait demain
le temps s'est arrêté en chemin

Photo : JEA (DR).

J'ai emprunté à Mosaïques ce poème de JEA. Je pense souvent à lui, espérant que l'icône de son blog va monter tout en haut de la liste, signifiant son retour. Que ce poème soit le prélude à un tel évènement.

samedi 18 décembre 2010

Intimités brinquebalantes


"Les tensions tramant nos fragilités ne renvoient pas qu'à des discordances temporelles, mais également à des déséquilibres dynamiques au cœur de nos désirs : entre stabilités protectrices et instabilités navigatrices, familiarités et découvertes, repères et attrait de l'inaccessible.
(...)
« Rester fidèle à ce qu'on fut, tout reprendre par le début, chacune des deux tâches est immense » Merleau Ponty en 1960 dans Signes. Deux ambitions contradictoires et toutes deux indispensables. En se percutant, nécessairement.
Vivre, penser, assumer des antinomies, une « équilibration des contraires » (...) plutôt que viser «la synthèse » définitivement bouclée.
(...)
Se coltiner des tensions, déplaçables mais non dépassables dans un tout englobant et cotonneux, c'est également tutoyer l'imprévisible.
(...)
« la ferme certitude de l'incertitude », selon les mots de l'incontournable Daniel Bensaïd dans son Pari mélancolique. (...)

Au terme d'un vagabondage lié à l'usurpation faite de son nom dans un mail que j'ai reçu aujourd'hui, je suis allée revoir certains de ses billets sur son blog "Quand l'hippopotame s'emmêle" et j'en ai extrait ces quelques phrases d'un article datant de février 2010. Si vous avez envie de remplacer les (...), cliquez sur le nom de l'auteur ci dessous
Philippe Corcuff