À l'université, mes professeurs me traitaient de dilettante, estimant dommageable pour mon intelligence de cultiver la paresse. Je plaidais coupable. Je n'ai jamais eu d'amour, mais simplement du goût pour la philosophie. Je me suis prêté à elle sans jamais m'y donner. Je potassais les auteurs officiels rarement avec plaisir, mais je me délectais de ces penseurs hors cadre, casseurs d'idéaux et de valeurs, rangés dans la rubrique «littérature », que l'on appelle les «moralistes». Ayant appris très tôt à penser dans leurs livres, je tiens depuis que philosopher ne consiste pas à enseigner à vivre ou à mourir, encore moins à nous consoler de notre finitude, mais à examiner la pertinence de notions tenues pour évidentes, à démystifier des foutaises ronflantes, à mettre un nez rouge aux idoles. En m'adonnant à ces exercices de lucidité, je ne vis pas mieux : je me divertis un peu.
Frédéric Schiffter. Philosophie sentimentale. Flammarion
Illustration : Otto Dix, Newborn Baby on Hands, 1927