
Nous avions passé une quinzaine de jours en vacances dans les Pouilles chez nos amis italiens : baignades matinales, repas délicieux préparés à tour de rôle (nous étions sept adultes et quatre adolescentes , mais elles comptaient pour du beurre question main à la pâte), siestes, promenades, musique, longues conversations à l'apéritif, diners prolongés arrosés de ces vins cuivrés du Sud. Au retour, après une halte à Rome, nous devions
absolument aller à la rencontre du Jardin des Tarots. "Ma prof d'art plastique adooore Niki de Saint Phalle, elle m'a dit, tu vas en Italie ? Quelle chance!Tu dois
absolument aller voir ce magnifique jardin". Elle n'avait pas eu à nous passer la plante des pieds au chalumeau notre fille, surtout moi. La Niki, je la kiffe depuis longtemps. Regardez cette merveille.

Je ne ferai pas le panégyrique de la dame mais je vous conseille de
mieux la connaître si ce n'est pas encore fait. Juste rappeler qu'elle est autodidacte, n'a fait aucune école d'art même si elle a fait des études, a eu deux enfants, puis a divorcé du père de ses enfants pour vivre avec Tinguely une des grandes aventures amoureuses et artistiques du siècle précédent. Et surtout que cette grande artiste s"est préoccupée de défendre des orientations politiques telles que la défense des femmes, la lutte contre le sida, l'éducation des défavorisés et bien d'autres encore.
Ainsi, après nos retrouvailles avec Rome nous avons filé vers Grosseto aux alentours duquel se situe à Capalbio le
Jardin des tarots. C'est extrèmement difficile de s'y rendre et jusqu'à sa lisière, il n'est pas fait mention de l'existence de ce lieu. A Grossetto où nous cherchions une indication, les gens en avaient vaguement entendu parler, mais ne savaient guère ou le situer. Les ressources internet actuelles n'existaient pas à l'époque, bref nous avons mis un temps certain à le découvrir, après un dépassement de cinquante kilomètres du point de bifurcation.
Que dit Niki de Saint Phalle

(...)
Marella Agnelli Carlo et Nicola Caracciolo (...) liberté totale (...). Aussitôt que j'ai commencé le jardin, j'ai réalisé que ça serait une aventure périlleuse et que je rencontrerais un grand nombre d'épreuves sur mon chemin (ce jardin a été fait avec beaucoup de difficultés, d'amour, d'enthousiasme fou, d'obsession et plus important de tout, rien n'aurait pu m'arrêter".
La relative
discrétion qui entoure ce chef d'oeuvre (inspiré de Gaudi mais aussi du Facteur Cheval deux maîtres chéris de Niki) évite l'invasion
et on peut arpenter le lieu selon une logique qui appartient à chacun qui fera stationner à proximité du Soleil ou de la Lune ou s'attarder dans le ventre de l'Impératrice qui fut le logis de l'artiste pendant une partie des travaux. Le corps de la grande déesse, reine du ciel abrite un espace de vie entièrement décoré de miroirs colorés enrobant les commodités ordinaires d'une vie quotidienne.
"J'ai vécu pendant des années dans cette mère protectrice. Elle m'a servie comme centre pour mes rencontres avec l'équipe. C'est ici que nous buvions notre thé et café. Elle exerce sur tous une attraction fatale"
Les deux gamines (notre fille et son amie
) étaient enthousiastes
, riaient abondamment, montaient et descendaient les escaliers qui menaient d'un niveau à un autre et filaient sur les sentiers distribués entre les vingt deux monumentales figures du Tarot.
Nous nous étions donné un rendez vous de secours pour ne pas entraver notre libre déambulation.
J'ai pour ma part stationné longuement devant la Justice réalisé par Tinguely.
"Jean Tinguely a piégé l'injustice à l'intérieur de la justice et a fermé la porte à clef" Ces mots sont gravés dans le sol jouxtant l'installation qui émet d'incessants grincements. La justice est une machinerie rouillée aux entrailles compliquées.
Vingt ans consacrés à l'édification de cette oeuvre collective car si Niki était l'architecte, elle a embarqué à ses côtés des ouvriers et des complices. Le jardin a ouvert le 15 mai 1998. Elle continuera a travailler à une multitude de projets jusqu'à sa mort en 2002.
"Rester conscient de la mort est une manière de ne pas être pris par les vanités de la vie "dit-elle dans son commentaire de la carte n°XIII, qu'elle figure comme la cavalière d'un beau dextrier azur constellé d'or et d'argent.
Nous avons habité pendant quelques heures ce joyau, perdu au milieu de nulle part, niché au creux des collines de la Toscane, qui est comme l'extrême pointe d'un mirage. Le mur qui l'enclôt est aussi sobre et dépouillé que l'intérieur est exubérant et hénaurme. On le quitte à regret comme on le fait d'un rêve qui nous a visité avec douceur et force dans notre sommeil.
Le soir, nous dormions à Pise.
Illustrations tirées du livre dont la couverture présente l'impératrice, la pièce la plus monumentale de l'ensemble