lundi 14 mai 2012
Beauté fatale.
Je viens de passer quelques jours à Paris. Mon séjour a comporté quelques séquences pour lesquelles ce titre est ajusté.
Vu le dernier film de Tim Burton, Dark Shadows, les sorcières et les vampires ressuscitent éternellement et leurs amours à la vie à la mort itou. Tim Burton en profite pour nous présenter le visage de l'Amérique du capitalisme à tout crin en la personne d'Angélique (la très belle et très vénéneuse Eva Green), une sorcière vengeresse qui faute d'obtenir l'amour de Barnabas Collins poursuit depuis deux siècles sa famille en la ruinant. Lorsque Barnabas (Johnny Depp, of course) se trouve libéré après deux siècles d'enfermement dans un cercueil cadenassé, l'affrontement reprend et fantômes, sorcières et vampires se déchainent. C'est du Tim Burton grosses ficelles. On peut aimer ou bailler. J'ai alterné.
"Les liaisons dangereuses" au Théâtre de l'Atelier , mise en scène de John Malkovich, celui là même qui fut Valmont à l'écran. Le texte n'a en effet pas pris une ride et l'idée de faire jouer toute la pièce en présence de tous les protagonistes qui entrent et sortent simplement en quittant ou rejoignant le siège qu'ils occupent pendant que les autres sont en action est très puissante. Malkovich a recruté de jeunes comédiens, tous très talentueux dans une mise en scène inventive et sensuelle. Le jeune Yannik Landrein, tout juste sorti du conservatoire d’art dramatique de Paris campe un Valmont très actuel, séduisant et cynique à souhait. La Merteuil est interprétée par Julie Moulier sur un mode très masculin, féministe revanchard. Tous les autres sont excellents et l'énergie ne faiblit pas pendant les deux heures et demi que dure le spectacle. On sort avec l'envie de relire Choderlos de Laclos.
Lu dans le train qui me ramenait vers ma colline le livre de Mona Chollet "Beauté fatale. Les nouveaux visages d'une aliénation féminine". A l'aide de références nombreuses, aussi bien d' ouvrages sociologiques que d'extraits de journaux féminins (Elle est abondamment cité) ou d'autobiographies de mannequins, Mona Chollet déconstruit le discours de la société de consommation qui réduit les femmes à l'obsession du paraître, fondé sur le vieux postulat rationaliste d'une maîtrise du corps, véhicule gouverné par l'esprit et dans le cas des femmes, si possible sans autre gouvernance que les injonctions de l'industrie cosmétique et de la chirurgie esthétique.
"Le déchiffrement du monde en termes de « tendances » qu’on réserve à la lectrice, la surenchère d’articles lui signalant tous les aspects d’elle-même qui pourraient partir à vau-l’eau et les façons d’y remédier, lui disent implicitement, mais avec une insistance proche du harcèlement, que sa principale, voire son unique vocation est d’exalter et de préserver ses attraits physiques. Et de ne pas s’occuper du reste. "
Un des aspects les plus terrifiants est la mise en image de femmes poussées à l'anorexie pour devenir les "cintres" utilisés par les grands couturiers pour exhiber leurs créations. Le mythe du mannequin qui vit une vie de rêve quand elle est en fait exposée au harcèlement continu à se maintenir en état de représenter l'abstraction de la beauté féminine ( le nombre de suicides est impressionnant dans le milieu et la mort par anorexie n'est pas anecdotique), ce mythe a des effets délétères sur les jeunes filles qui, à un âge tendre, ne peuvent pas supporter la comparaison avec ces icônes et sur les femmes mûres qui voient "fondre leur capital" de séduction.
Un autre artéfact monstrueux de cette exhibition perpétuelle est de provoquer des addictions consuméristes (la paire de chaussures, le it bag, les accessoires indispensables, marqueurs d'appartenance) qui poussent de modestes midinettes à se ruiner pour tenter de correspondre à l'idéal de séduction sans cesse changeant de surcroit.
Une mention spéciale à l'épilation totale qui élimine toute trace d'animalité et oblige les femmes à exhiber des sexes de pré-pubères.
La chirurgie esthétique en découpant les femmes en morceaux pour en modifier certaines parties jugées inadéquates (les seins trop petits, le nez trop long, le visage trop ridé etc) a introduit dans l'imaginaire féminin une souffrance supplémentaire, la culpabilité de pas tout faire pour rassembler tous les attributs d'une perfection achevée. Souffrance morale doublée de souffrances physiques consenties, voire de mise en danger, quand elles finissent par se livrer au bistouri.
La perfection : voilà l’ennemi. C’est la conclusion à laquelle parviennent toutes les essayistes convoquées ici. Laurie Essig, exaspérée par la quête obsessionnelle que mènent ses compatriotes tandis que le monde s’écroule autour d’eux, aimerait les voir se soucier enfin d’une vie qui serait bonne, et non parfaite. « Depuis quand la perfection est-elle devenue applicable au corps humain ? », s’irrite Susan Bordo, qui la trouve plus adaptée au marbre des statues qu’à la chair vivante. Quant à Eve Ensler, dans The Good Body, elle fait un pari : chercher à être une femme fantastique (great), c’est bien plus excitant que de chercher à être une femme parfaite (good). Car, comme dit la femme indienne qui traverse sa pièce, « il n’y a pas de joie dans la perfection.
Ce trop court extrait ne permet pas de restituer l'extrême richesse de ce livre que je recommande à toutes les femmes, dès leur plus jeune âge afin de s'émanciper du fatras dont elles sont encombrées depuis la nuit des temps et de façon culminative en ce début de millénaire. Ce corps déserté cette éclipse, notre époque a réussi le tour de force d'en faire un idéal type. Alors que la beauté c'est avant tout le rayonnement d'un être habité.
Photo ZL, my beautiful girl en liberté.
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20 commentaires:
Dear witch, wich one is your beautiful girl, on ze left, or ze right? My eyes are worst than myself!
Il n'y a pas de joie dans la perfection. Tout est dit.
le pèrefection
Moi, si y'a pas de photos de gonzesses à poil...
@MMWH, ze left, oeuf course.
@la bacchante, oui c'est assez net.
@JEA, l'amère fection.
@Vinosse, tiens te revoilou ?
Ça en fait au moins une à gauche!
Tu m'as convaincue. Je vais offrir ce livre à ma fille.
Merci Zoë ! J'ai lu de très bonnes critiques sur les "Liaisons dangereuses", effectivement.
Le livre, je vais le zapper, non pas parce qu'il ne m'intéresse pas, loin de là, mais parce que ça fait une vingtaine d'années que j'ai laissé tomber les revues "féminines" pour cause d'ennui massif. Le désir de perfection est un leurre effroyable, dans tous les domaines ; et puis la perfection, on l'a vu aux siècles passés avec les anciens canons de beauté, est totalement subjective.
C'est le mois de mai, tissage des corps. Orlan est un modèle!
Quatre décennies d'Art charnel par Orlan en unique prêtresse de cet art à forte teneur rituelle. Photos et vidéos autour de ce corps qu'il s'agit de libérer de l'étau des contraintes esthétiques, morales, religieuses, mais aussi naturelles.
http://www.paris-art.com/img/oeuvre/CNP-Orlan-6G.jpg
Qu'est-ce que notre corps?
Qu'est-ce qui fait qu'il est ce qu'il est?
http://lcs.a-france.clg50.ac-caen.fr/~boivint/3e/references3/0_oeuvres3/orlan/orlan_omnipresence.jpg
Est-ce une question d'image?
http://www.univ-nantes.fr/88790594/0/fiche___pagelibre/
Le livre de Mona Chollet tombe à point nommé, l'aliénation du paraître dénoncée par les féministes n'a fait que croître dans notre société d'hyperconsommation.
"Les liaisons" à l'Atelier, voilà qui me rappelle Bernard Giraudeau et Caroline Cellier en Valmont et Merteuil (Christopher Hampton traduit par Jean-Claude Brisville) en... 1988 !
"Le rayonnement d'un être habité", belle définition - si bien illustrée, bravo.
Rien de neuf sous le soleil. Entre les pieds bandés, le corset à baleines et le sexe épilé, mon cœur balance...
La prose du corps et l'obsession de l'anthropométrie relèvent d'une bien ancienne pratique auxquelles on doit le nombre d'or, ne l'oublions pas.
ArD
U're my sleeping Beauty , Zoé
Belle photo, et tu n'as pas perdu ton temps à Paris.
Tu as vu que dans le nouveau gouvernement il y avait un ministère du droit des femmes ?
Mona Cholet est même lu en haut lieu...
Mona Cholet est bien lue en haut lieu, je précise...
Un de ces jours y'aura bien un ministère des chieuses...
Avec une femme ministre bien entendu.
@MMWH, 17 ministresses à gauche. On avance!
@Euterpe, bonne idée.
@Sofka, ah tu as tort, tu te régalerais. Elle a un ton très proche du tien quand tu te lances dans une diatribe contre la pub qui nous pourrit les neurones. De l'humour, beaucoup de références et de notations fortes. Enfin je dis ça...
@Versus, pardon mais je préfère laisser mon corps vivre sa vie de corps ordinaire. Les opérations d'Orlan m'épouvantent. Je peux concevoir que cela relève de l'Art, mais j'ai trop d'amitié pour mon corps pour lui infliger de telles souffrances.
@Staive, idem
@Tania, ah, j'aurais aimé voir Giraudeau en Valmont. J'aimais l'acteur et la personne.
@ArD, anthropocentrisme surtout.
@Cactus, awaken if beauty.
@DH, et encore, je n'ai pas tout dit, par respect pour l'intimité de conversations privées :-)
@Vinosse, il y a eu mais tu n'étais pas né pitêtre ?
pas un moment de perdu, chapeau !
@les cafards, c'est le temps retrouvé
Je pense que la beauté est fatale à celle qui le porte, vous êtes Zoë, l'exception qui confirme la règle. Les fils de pub, les cosméticiens des aurores l'oréal essaient d'aspirer les hommes dans la même spirale, aussi je crois utile de rappeler un point d'histoire . Adam , le premier homme qui mena une femme en bateau, il faut bien que genèse se passe, le fit parce qu'il n'était "pas que beau"....Les filles d’Ève, ayant compris la leçon, mirent les voiles.....Cela se passa Caïn Caha....histoire sans fin qui alimente le fond de commerce que la marine marchande
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