vendredi 15 janvier 2010

Déracinez avec moi l'arbre de l'esclavage.

Forteresse de la paix - Préfète Duffaut

Les propos de Toussaint Louverture dans sa déclaration du 29 août 1793 résonne (raisonne ?) terriblement en ces jours de misère superlative endurée par le peuple haïtien. C'est au sujet d'Haïti que j'entendis pour la première fois parler de mères nourrissant leurs enfants de galettes de terre. Je ne connais pas Haïti mais je suis allée en Jamaîque juste après le passage du cyclone Gilbert qui avait dévasté l'île. Cela faisait deux mois que le vent soufflant à quelques 300 km/ heure avait commis ses ravages et les scènes étaient encore apocalyptiques à certains endroits avec notamment des arbres géants qui avaient basculé en éviscérant le sol et en exhibant des racines hautes comme des immeubles. Le cyclone avait tué beaucoup de gens et la plupart des réseaux avaient été endommagés. J'étais arrivée à Kingston en même temps qu'une équipe de malabars dépêchée par les Etats Unis pour remettre en état les infrastructures. Mais le désastre n'avait rien de comparable à celui qui vient de s'abattre sur Haïti. Le cyclone avait traité les cahutes comme fétus de paille mais les immeubles plus solides avaient résisté et le gouvernement avait pu continué à fonctionner et coordonner l'aide internationale.
La situation telle qu'elle apparaît en Haïti est au-delà de l'imaginable. Cette misérable communauté n'a pas connu de répit depuis que les peuples de la Caraïbe ont eu affaire à ce cher Christophe, puis aux Anglais, Français et autres pirates, filous qui y installaient leurs bases de repli, de trafic, y transplantaient des Noirs (le père de Toussaint originaire du Dahomey). Cette maigre population (moins de 10 millions) dont un tiers dit-on vient d'être soit ensevelie, soit blessée, dépossédée, anéantie de douleur, hagarde et affamée, aura subi sans discontinuer les pires régimes de terreur, le pillage, la corruption, la dévastation de ses terres.
Tout cela est bien connu et en même temps ignoré, tenu en lisière des fondamentaux de la pensée internationale.
J'écoutais ce matin Régis Debré faire état des préconisations que la commission qu'il avait présidée avait émises et qui étaient restées, sans surprise, lettre morte. (Haïti et la France, rapport à Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, Editions de La Table ronde, 2004). Gageons que notre Sarkoman après un petit tour de piste rangera aux oubliettes ce territoire minuscule et sans grand intérêt stratégique désormais.
Comment imaginer qu'un pays déjà si indigent puisse se relever d'une telle catastrophe.
On envoie en même temps que l'aide alimentaire des garnisons pour en sécuriser l'acheminement. Il ne s'agit pas de la force onusienne, mais encore une fois de troupes américaines qui décidément sont à ce point pléthoriques qu'elles se trouvent toujours les premières sur tous les fronts (en même temps ou juste à la suite des caméras de télévision).
Pourtant les Yankees ne sont pas particulièrement chers au coeur des Haïtiens qu'ils ont tenu sous le joug d'une occupation directe de 1915 à 1934. Est-ce bien raisonnable ?
Non, on peut craindre, une fois encore, qu'à la suite du tremblement de terre, ce ne soit pas la félicité qui s'installe en Haïti.

On est vraiment mort quand il n'y a personne pour se rappeler notre nom sur cette terre. Dany Lafferrière.

Illustration Forteresse de la paix, par Préfète Duffaut (1977). Collection de Michel Monnin (Galerie Monnin).

16 commentaires:

Harmonia a dit…

Joli tit article Zoë :o)

Sinon, chiantman is back...
C'est Régis Debray ;o). Les Debré père fils neveu cousin oncle, c'est aut'chose... Bon week-end

L.............................uC a dit…

Occasion inespérée de refaire un beau palais au président...
Il n'a (presque) plus de maison le pôvre... (Et il ne savait pas où il allait dormir le jour du séisme...)

Anonyme a dit…

Y peuvent toujours continuer à prier...

Anonyme a dit…

Misère qui s'acharne et les puissants, impuissants.

renato a dit…

Eh oui ! la misère et la prière, triste duo.

JEA a dit…

Chronique de Paul Hermant :
- "Ce matin, la deuxième édition des "Etonnnants Voyageurs" à Haïti aurait dû proposer des rencontres entre des romanciers et des poètes - parmi lesquels, Muriel Barbery, Serge Bramly, Lionel Trouillot, l'immense Dany Laferrière, mais aussi Kossi Efoué dont je vous parlais lundi - avec des lycéens de Port au Prince, dans une vingtaine d'écoles. On pense ici à cette lycéenne, avec sa jupe quadrillée, que l'on a vu courir hébétée dans la rue; à cette autre allongée sur le sol, avec sa jupe à carreaux aussi. Car on va à l'école en uniforme à Haïti. C'est l'élégance suprême des pays fort pauvres. Il va falloir leur dire aux lycéennes en uniforme : les écrivains ne viendront pas.
On se dit, ça n'a peut-être pas beaucoup d'importance un festival littéraire annulé pour cause de tremblement de terre. Les mots se retirent devant les morts, ils les suivront plus tard, si on a le temps de mettre un peu de mots sur beaucoup de morts. Mais dans les tremblements de terre, il y a aussi des mots qui disparaissent. Hier, par exemple, on est resté longtemps sans nouvelles de Dany Laferrière, le plus important des écrivains haïtiens contemporains, il a remporté cette année le prix Médicis pour "L'énigme du retour". Il a fini par donner de ses nouvelles. Mais d'autres écrivains de Port au Prince manquent à l'appel. On pense au jeune Bonel Auguste. Dans un texte donné pour ces Etonnants Voyageurs, il écrivait : "Je vais souvent au petit bar de la rue Capois où la bière est très fraîche, à un prix spécial, moins pour boire que pour m’enivrer du regard. Je contemple avec avidité la vieille maison en bois qui se situe juste en face. J’ai l’étrange sensation que se dessine entre elle et moi une complicité, une fraternité et qu’en la regardant, je me vois du dedans".
On se demande ce qu'est devenu le petit bar de la rue Capois, à Port au Prince. On se demande ce qu'est devenue la vieille maison en bois juste en face où l'on se voit du dedans. On se demande ce qu'est devenu Bonel Auguste. Et on se dit : est-ce que dans les maison qui tombent, aussi, on se voit du dedans ?"
(14 janvier, RTBF, Matin première)

Dominique Boudou a dit…

Encore un peuple maudit. Quand il n'y aura plus personne là-bas, les multinationales construiront des villages de vacances aux normes sismiques pour les retraités californiens...

Sophie K. a dit…

Est-ce que quelqu'un sait si Préval est un président correct ? (J'avoue que tout ce que je sais d'Haïti sur le plan politique, c'est qu'une corruption endémique mine le pouvoir de génération en génération, hélas.)

Zoë Lucider a dit…

@Harmonia, ah vous l'appelez comme ça? ca lui va comme un gant, en effet:-)
@L...c, oui le pôbre! On peut parier que dans l'ordre de reconstruction, le Palais sera prioritaire
@Anonyme ?
@Kouki, au moins pour une fois les puissants n'ont pas été totalement épargnés. Tous égaux devant la mort.
@Renato, il faut dire que ça finit par paraître surnaturel l'acharnement du sort.
@JEA, sans les mots, on ne se souviendrait plus du nom du bar perdu.
@Dominique Boudou,ça c'est pour Saint Domingue, non Haïti pourrait devenir un nouveau Cayenne où casser des cailloux.
@Sophie K, il a l'air plutôt d'un personnage falot, il a été lié à Aristide et a déjà été président avec semble-til une tentative d'améliorer le système éducatif et le respect des libertés publiques.

Anonyme a dit…

Papa Doc,
Baby Doc,

Docs.

D. Hasselmann a dit…

Dans "Le Monde" papier de ce soir (daté 17-18 janvier), témoignage en "une" de l'écrivain haïtien Dany Laferrière. Et supplique : "De grâce, cessez de parler de malédiction !"

Il est vrai que dans le même journal, quelques jours avant (lemonde.fr du 14.1.10), on pouvait lire un article à tendance "historique" et titré : "Haïti : la malédiction".

Or ce mot ne figurait nulle part dans le texte du journaliste.

Comme on le sait, Sarkozy se méfie du vaudou.

Anna de Sandre a dit…

Je ne peux pas commenter un tel évènement.

Anonyme a dit…

Catastrophe naturelle. Pas de malédiction dans l'affaire.

chantal serrière a dit…

Hélas!
Et quelle splendide illustration!

Zoë Lucider a dit…

@Dom A, d'ac,
@DH, je ne parle nulle part de malédiction mais bien de l'oeuvre inlassable de la piraterie des hommes quelque forme qu'elle ait pris.
Mais les médias ont repris ad nauséam la terminologie biblique, c'est bien commode.Ils ne sont pas honteusement exploités, ils sont maudits
@Anna de Sandre,c'est commenter que de le dire
@Anonyme, naturellement
@Chantal Serrière, art haïtien

L......................uC a dit…

A chaud et au risque de me répéter:
http://www.luclamy.net/blog/?p=4048