«(...) pourquoi ne pas imaginer, le 1er vendredi de chaque mois, une sorte d'échange
généralisé, chacun écrivant chez un autre ? Suis sûr qu'on y découvrirait des nouveaux
sites (...)».
François Bon et Scriptopolis ont lancé l'idée des Vases Communicants. Aujourd'hui Clopine
et Zoé lucider s'invitent réciproquement.
A toi ma Clopine
Est-ce que cela arrive aux autres ? Je pourrais formuler cela autrement : est-ce que je suis un monstre ? Chacun de nous, pour peu qu’il se mette en avant ou qu’il prenne le risque de s’exprimer, éveille chez autrui des réactions, parfois peu amènes, parfois bienveillantes, en tout cas bigarrées. Mais nos ressorts, même les plus intimes, sont aussi les plus communs. Je prends donc le pari d’être « comme tout le monde », alors même que la grande affaire de ma vie a été la souffrance née de ma singularité, ou de ce que je croyais telle.
Quand, enceinte, je marchais dans la rue, il me semblait que d’un seul coup, la ville entière était remplie de ventres ronds. Mon cerveau m’indiquait que cette sensation était vraisemblablement une illusion d’optique. Il n’y avait aucune raison particulière pour que la fécondité, en France, ait fait un bond considérable, à partir du moment où j’attendais un bébé. Y voir une relation de cause à effet aurait bien évidemment relevé de la pure mégalomanie...Mais d’où sortaient, alors, ces futures mères, devenues soudainement aussi nombreuses dans les rues de ma ville, que des serviettes de bain étalées sur une plage en été ?
Les petits vieux dans les rues, et spécialement les petites vieilles, je n’ai commencé à les « voir » qu’avec la maladie qui devait emporter ma mère. Mais là, et contrairement aux femmes enceintes, disparues au fur et à mesure que mon garçon grandissait, elles n’ont plus jamais quitté mon champ visuel. Quand j’ai lu « la vieillesse », de Beauvoir, et plus encore les carnets d’or de Janet Somers/Doris Lessing, j’ai même cherché à voir volontairement les « personnes âgées », pour parler comme un bulletin municipal, à ne pas les effacer, comme je le faisais à 20 ans, purement et simplement du pavé que nous arpentions pourtant ensemble.
Les plus touchantes, pour moi, sont celles qui, indomptables, essaient encore et toujours, malgré leur âge avancé, de ne pas ressembler à leurs mères ; celles qui bannissent le noir, qui, si elles doivent utiliser une canne pour compenser l’arthrose, la choisissent à tête de canard, ou à pommeau d’argent. Celles qui ont le cheveu raréfié, certes, mais recouvert cependant, crânement, d’un béret rose, ou vert. Celles (et j’en ai vu !) qui attachent à leur col une rose rouge, de la même nuance que leur parapluie, ouvert en corolle au-dessus d’elles... Ce n’est pas une question d’argent, ou de classe sociale. C’est une question d’affirmation de soi.
Si j’en crois les statistiques, je peux raisonnablement escompter être à l’orée de mon dernier quart de siècle, les deux premiers étant désormais révolus. J’ai toujours eu l’intuition, ou l’espoir, allez savoir, que cette ultime période m’apporterait une sorte d’apaisement. Je sais pourtant que les chagrins de toute sorte s’accumulent, au fur et à mesure que l’on avance et que les autres tombent à côté de vous. Que les chemins vont se rétrécissant, les corps s’alourdissant et les sens s’asphyxiant. Il me semble pourtant que, dans ma vieillesse, je pourrais peut-être me sentir « comme tout le monde », en osant enfin n’être comme personne. Invisible aux jeunes, je pourrais moi aussi attacher des fleurs à mon chapeau, porter des Nike et envoyer des baisers aux amoureux des bancs publics. Les autres petites vieilles ricaneront, peut-être, mais elles seront bien obligées de partager la rue avec moi, et toutes ensemble, nous la peuplerons, innombrables et cramponnées, comme les précieuses rescapées d’un invisible anonymat.
Les autres communicants (merki Anna, je l'ai pris chez toi la liste et la rajoute avec un peu de retard)
Biffures chroniques & Lephauste
Martine Sonnet & Pierre Cohen-Hadria
Anthony Poiraudeau & Michel Brosseau
Leroy K. May & Marie-Hélène Voyer
Thomas Vinau & La Méduse et le Renard
Robinson en ville & Danièle Momont
Bertrand Redonnet & Juliette Mézenc
Daniel Bourrion & Olivier Guéry
Anne Savelli & Christine Jeanney
20 commentaires:
Clo et Zoë : je pensais commencer ma réponse par :
Très chaires ClouZot mais c'est déjà épris !
( CloZo , ça faisait zozos qui zozotent et puis zut , quel Enfer , pas d'intro donc )
après avoir lu et relu un texte pavé de si bonnes intentions , je me suis fait cette ingénue réflection :
" oui oui mais un jour , sous ces pavés là , en une autre vie , la plage , j'espère , sinon la survie serait trop injuste !"
Sissi !
Ma mère disait: "quand j'aurai 80 ans, je m'achèterai un manteau rouge".
Elle ne l'a pas fait mais elle s'est quand même habillée de façon très colorée, avec en particulier des chemisiers de plus en plus gais au fur et à mesure qu'elle avançait en âge.
Et elle a, de beaucoup, dépassé les trois quarts de siècle que vous vous prévoyez Clopine!
@ "Celles qui ont le cheveu raréfié, certes, mais recouvert cependant, crânement, d’un béret rose, ou vert."
un salut, aussi, si vous le voulez bien, à celles et ceux, sans âges, qui sont en chimio...
Si tout le monde attend d'avoir 80 ans pour s'affirmer, bonjour l'ennui... Et puis, singuliers, nous le sommes tous.
vous , vous êtes si singulier au pluriel , My Dog !
vein'Art !!
@Cactus. L'auriez écrit au singulier, vous ? Me suis dit qu' j'étais pas seul(s) sur Terre.
z'êtes le roi Lear de la réplique , vous , My Dog ! ( j'ai du chaud pour vous à ciné-chiner )
Joli, Clopine... Bizarrement, moi, j'ai vu les femmes enceintes alors que je ne l'étais pas, je vois les jeunes gens (alors que je ne le suis plus) en me réjouissant souvent pour eux de leur jeunesse, et je vois aussi les gens âgés en me disant, ça va paraître étrange à certains, "ils ont de la chance".
Même si c'est pas très marrant de vieillir, c'est quand même une chance.
:-)
oui je voyais également des femmes enceintes partout quand je l'étais aussi, et ça m'arrive d'ne voir de nouveau partout les rares fois où j'en ai encore envie ! j'espère que quand je serai vieille je verrai des sages partout...
j'ai aimé lire ton ressenti vis à vis de ça, dire ce qui semble évident c'est essentiel, faut même pas hésiter à se répéter... !
amitié (c'est rare mais faut pas hésiter non plus à y croire)
cathy
Voilà une bien belle sensibilité. Quant à la vieillesse qui s'annonce, autant, en effet, lui ouvrir un peu de liberté. Mais imaginez une société où tous les vieux riraient dans la rue ! Il se trouverait bien quelques empêcheurs pour tenter de leur interdire la joie !
L'important est sans doute de ne pas avoir besoin d'une canne dans la tête et assumer, comme dit joliment ici, "les âges" - toujours commencés tôt - avec philosophie.
Très beau texte, et quel sens de l'observation. Vous êtes bonne dans la description de la comédie humaine, Clopine, vous savez ?
Ma mère (80 ans) bannit le noir aussi... elle a toujours été très coquette et dit que quand on est jeune on se fait belle pour plaire et quand on est vieille pour ne pas déplaire ! mais je la trouve magnifique !!
Belle sensibilité Clopine. Je suis d'accord avec MCA, sa singularité, il faut la porter en bandoulière le plus tôt possible. Je le répète à ma fille - ce qui aujourd'hui te semble un fardeau, demain sera ta plus belle richesse.
Et comme toujours ici, je m'emmêle les pinceaux quandil s'agit de laisser mon nom. C'est pas possible un truc pareil !
Clairvoyant et joliment dit, bravo! Et aussi, je me demande comment vous faites pour être si bien informée, collecter tous ces évènements et écrire en plus. Merci de vos partages !
Merci à Clopine pour ce texte sensile et maîtrisé, comme toujours. Dommage qu'elle ne se soit pas manifestée. L'arbre à palabres l'aura accueillie avec bonheur
Excuse-moi ZOE MERCI MILLE FOIS, et pour mon silence, c'est que je ne voyais vraiment rien d'autre à dire que ce "merci". Je ne sais pas bien mettre les liens dans les textes, et puis j'ai eu sans arrêt des trucs et des machins à faire, et en plus j'ai passé beaucoup trop de temps (comme d'habitude) chez Assouline. Tout ceci, je m'en aperçois, peut servir d'explication mais pas d'excuses...
En tout cas j'ai bien aimé l'expérience - et ton texte, si littéraire et tu avais raison, qui me va bien !
très bonne journée à toi
je continue les vases communicants le mois prochain avec Cactus
Clopine
Avec l'âge, si tout va bien, on peut se permettre quelques plaisirs différents, aussi. En quelque sorte, on "survole" mieux. Peut-être...
je prévois de m'habiller bientôt comme mes héroïnes, Mary Poppins et Dorothy. Une Mary Poppins qui aurait pris de la bouteille.
Enregistrer un commentaire