mercredi 16 décembre 2009

Eloge de la conversation


« Une plaisanterie fuse, un mensonge solennel se perd dans un éclat de rire, et la parole s’élance hors de la routine quotidienne, dans les champs infinis de la nature, joyeuse et réjouissante comme de jeunes garçons à la sortie de l’école. La parole seule nous permet de connaître notre époque et de nous connaître nous-mêmes. Bref, le premier devoir d’un homme, c’est de parler ; voilà sa tâche principale dans l’existence ; et la conversation, qui est l’échange harmonieux entre deux personnes ou plus, est de loin le plus accessible des plaisirs. (...) Le piment de la vie, c’est la lutte ; même les relations les plus chaleureuses impliquent une forme de compétition ; et si nous ne voulons pas passer à côté de tout ce que l’existence peut nous apporter de bon, il nous faut sans cesse affronter quelqu’un, les yeux dans les yeux, et combattre corps à corps, que nous soyons amis ou ennemis. Et c’est encore par la force physique et la puissance du tempérament ou de l’intelligence que nous atteignons des plaisirs dignes de ce nom. Les hommes et les femmes s’affrontent dans des joutes amoureuses comme des hypnotiseurs rivaux ; les gens actifs et adroits se lancent des défis dans les sports physiques ; et les sédentaires s’assoient pour faire une partie d’échecs ou converser. »

(...)

« Toute conversation à bâtons rompus est un feu d’artifice d’ostentation ; et suivant les règles du jeu, chacun accepte et flatte la vanité de son interlocuteur. C’est pour cette raison que nous prenons le risque de nous dévoiler autant, que nous osons faire preuve d’une éloquence si chaleureuse, et que nous acquérons aux yeux les uns des autres une telle envergure. Car les causeurs, une fois lancés, dépassent les limites de leur être ordinaire, s’élèvent jusqu’à la hauteur de leurs prétentions secrètes et se font passer pour ces héros, courageux, pieux, charmeurs et sages que, dans leurs moments les plus glorieux, ils aimeraient tant être. Ainsi érigent-ils en parole un palais de délices qu’ils habitent l’espace d’un moment, un temple doublé d’un théâtre où ils contemplent le cercle des grands de ce monde, festoient avec les dieux et goûtent aux plaisirs exquis de la gloire. Et quand la discussion s’achève, chacun va son chemin, ivre de vanité et d’admiration, traînant encore derrière soi des nuées de gloire ; chacun descend des sommets de ses bacchanales idéales, progressivement et en douceur. (...) L’effervescence d’une bonne conversation se ressent encore longtemps après dans le sang, on en garde le cœur battant, l’esprit en ébullition, et la terre danse autour de vous, dans les couleurs du soleil couchant. »

Robert Louis Stevenson, « Causerie et causeurs I », Une apologie des oisifs

22 commentaires:

Claire a dit…

Merci pour ces extraits percutants, très parlants et joliment illustrés.

dominique boudou a dit…

N'étant pas capable de causer à bâtons rompus, j'ignore ce jeu subtil de la conversation. Moi, je parle avec une gomme.

Anna de Sandre a dit…

Moi je suis la gomme qui écoute Boudou.

claire a dit…

Merci pour ces extraits percutants, très parlants et joliment illustrés.
J'envie ceux qui connaissent cette griserie conversatoire; moi je parle avec une image, un poisson- poison que je déchire souvent et que je reconstruis parfois.

JEA a dit…

aux archives : éloge de la conservation...

Sophie K. a dit…

"Conversation"... Un mot étrange, en soi, qui fait penser qu'on se déverse sur un autre, sur d'autres, et qu'on les enrobe de soi. Mais malgré tout, les vrais artistes de la conversation sont ceux qui savent mettre l'autre en valeur, et ceux qui savent la relancer (la conversation, donc) avec art. C'est assez sportif, au bout du compte...
:-)
Merci pour ces beaux extraits, Zoë.

Tania a dit…

Deux très beaux extraits, jubilatoires, qui me font noter ce livre à lire et me donnent envie de rouvrir "L'âge de la conversation" de Benedetta Craveri, un autre essai allègre sur le sujet (dans la société française aux XVIIe et XVIIIe siècles).

renato a dit…

dominique boudou & Anna de Sandre

et moi je suis ce qui reste du frottement.

Vinosse a dit…

"Deux très beaux extraits, jubilatoires"

Avec des tels mots, moi j'abrège...

jubilatoire.... non c'est pas possible.

dominique boudou a dit…

Tiens ! Voyons si mon avatar castillan apparaît !

dominique boudou a dit…

Bon, je retourne à mon effacement avec Anna et Renato !

D. Hasselmann a dit…

Steve & son : un beau duo complice dans l'art du parler-vrai.

Chr. Borhen a dit…

" Il faut que les loges de la conversation soient ouvertes et fermées. "

(Olympe de la Courge, 1969-?)

Zoë Lucider a dit…

@Claire ça percute comme un bon détonnateur
@dominique boudou, on peut gommer le bruit, mais la conversation c'est aussi les yeux
@Anna de Sandre, parce que j'avais lu ton commentaire, je n'ai pu faire cette réponse
@claire, c'est la même ou une autre claire. J'ai souvenir d'une sombre confusion sur les Claire
JEA, le plus drôle est que j'avais écrit cette inversion par étourderie, j'ai rectifié ensuite.
@Sophie K, je parie que c'est agréable de converser avec toi, de converger.
@Tania, La conférence de Cintegabelle de Lydie Salvayre contient de beaux morceaux aussi.
@Renato, je ne sais pas à l'oral, mais à l'écrit vous vous défendez bien, il me semble. Dexter a fermé son salon. Dommage.
@Vinosse, tu n'aimes pas jubiler ? Ca m'étonnerait bien.
@DB avatar castillan koikes ?
@DH, sait même parler aux ânes.
@Chr.B Vos contre pitreries tournent autour des courges. Que dois-je comprendre ?

Anonyme a dit…

Je ne sais si Chr. B. fait l'éloge de la parenthèse ou de la courge.
Il préfère sûrement les tirer, ou les tirets.

ArD

Zoë Lucider a dit…

@ArD Mouahahah!J'aime beaucoup.

Chr. Borhen a dit…

ArD, la prochaine fois je vous précèderai.

Qui suis-je ? a dit…

Qu'ourges ? Qu'entends-je ? Ma qué sé mon pote y marron ! (Paris, c'est comme l'alcool, ça abime quand même )

Sophie K. a dit…

Zoë, j'espère que tu vas mieux !
(Figure-toi qu'il m'arrive de papoter avec moi-même, et parfois, j'ose même me couper la parole...)
:-)))

Zoë Lucider a dit…

@Chr.B, charmant petit cheval blanc
@Kitétoi, bas les masques! L'air parisien vous a gâté les neurones en effet. Reprenez votre job médème.
@Sophie K, moi c'est pire, je suis la seule personne que j'agonis d'injures à voix haute.Pôvre conne, spice d'idiote toussa...:-)))

Sophie K. a dit…

T'es pas la seule, je ne me rate jamais non plus...

:-)))

Cactus , ciné-chineur a dit…

Réveillon , le web !
pas trop tard ni blues trop tard , Zoë , sortez votre stylo , je sors mon pipeau , d'autres sortiront le sexe , hooooooooooo ou vice versa et aloe vera , sévice versa ?!
dernière chance ??????????
continuez à nous faire vibrer , , ma soeur perdue en ses rateliers psys , Lacanisée à ses souhaits avec ou sans fouet !
:-(((((((((((((((

zoyeuses fêtes moi tout !