mardi 21 avril 2009
Complices de l'inavouable
J'écoutais ce soir, dans ma voiture chargée de cageots de légumes à destination de mes voisins amapiens* (j'étais de distribution aujourd'hui), l'émission de Kathleen Evin, L'humeur vagabonde,
Invité à s'entretenir avec l'hôtesse Patrick de Saint-Exupéry pour son livre "Complices de l'inavouable, la France au Rwanda"qui reparait aux Editions les Arènes. Ce journaliste ne décolère pas depuis 15 ans, depuis qu'il a assisté en direct au génocide des Tutsis au Rwanda, terme que la france ne parvient pas encore à valider pour des raisons extrèmement glauques, compte tenu de ses responsabilités indirectes sinon directes dans ce drame abominable.
Le Rwanda, je l'ai connu en 1982 et déjà les tensions ethniques entre Tutsis et Hutus étaient très fortes. Cette région de l'Afrique centrale, ex colonie belge était en effervescence. Des transfuges se croisaient de l'Ouganda ou Amin Dada avait furieusement sévi, du Burundi où les Tutsis régnaient après de sanglantes ponctions dans les rangs des Hutus (en 1973 notamment, environ 200000 morts) et juste le contraire au Rwanda. Sans parler des Zaïrois de la région du Kivu déjà et encore aujourd'hui en rébellion armée contre Kinshasa.
A Kigali, nous avions rencontré un jeune attaché culturel de l'Ambassade de France avec qui nous avions lié une amitié autour de la musique et du match de foot France Allemagne qui avait polarisé toute la capitale le temps d'une soirée mémorable que j'avais partagée avec C. une adorable Tutsi guère plus intéréssée par le football que je ne le suis.
Quelques mois plus tard, rentrés en France, nous apprenions que C. avait été emprisonnée dans un camp en raison de ses relations avec les Blancs, promues au rang de crime selon un décret dicté par la femme du président Habyarimana, celui qui devait mourir 12 ans plus tard dans l'attentat de son avion, évènement considéré comme le déclencheur du massacre qui s'ensuivit.
En 1982, notre ami (juif d'une famille très religieuse) était reparti à Kigali et avait épousé la sublime C. (sans en dire un mot à sa famille, une goy, noire de sucroît !) pour la tirer de son camp. Nous l'avions accueillie, elle avait eu le crâne rasé mais elle était sauve. B. et C. commencèrent leur vie de couple, séparée en toute amitié et elle trouva du travail et se mit à apprendre l'accordéon.
En 1994, nous avions organisé une fête pour saluer tous nos amis avant d'embarquer nos meubles, nos chats et nos enfants et rejoindre nos terres du Sud Ouest où se cultivent les maïs dont on gave les canards. C. avait promis d'être des nôtres. Le veille elle apprit que sa famille avait été enfermée avec plus de deux cents autres dans une église à Kibuye et qu'après la machette, c'est le feu qui avait achevé le "travail".
Une de ses soeurs avait réussi à s'échapper. C. lui obtint un visa et un ticket d'avion. Elle mourut sur la route qui la conduisait du Zaïre à l'aéroport de Bujumbura.
C. obstinée, finit par découvrir que son plus jeune frère que sa mère avait eu avec un Hutu avait été épargné. Elle finit par le retrouver, le faire venir en France, l'inscrire dans une école. Un jour, il a fugué et s'est engagé dans la Légion..
C. entre temps avait préparé un master de logistique et travaille désormais dans des ONG, elle doit être au Soudan après l'Arménie où elle a bien cru mourir de froid, la Guinée, le Tchad et d'autres que j'oublie ou ignore.
Ce soir, je ressens à nouveau le malaise et l'amertume qui me submergeaient, l'écoutant me raconter les péripéties de ses recherches, y compris lorsque au risque de sa vie elle est revenue enquêter à Kibuye. "Il fallait que je voie l'église brûlée pour y croire".
C'est la personne la plus douce, gaie, intelligente que j'aie jamais rencontrée. D'une beauté extraordinaire comme beaucoup de Tutsis. Je pense à elle ce soir. Et, oui, je crois que par notre indifférence à tout le moins nous avons été les complices de l'inavouable.
Photo Wikipedia
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11 commentaires:
Ce récit vaut bien des livres de journalistes sur ce tragique sujet.
Sommes-nous pour autant "complices de l'inavouable" ? Il faudrait alors ne pas cesser de se flageller tout au long de sa vie (à moins d'aimer ça).
La prise de conscience des malheurs du monde ne peut se transformer en repentance individuelle et permanente, sauf si l'on a été impliqué, de près ou de loin, dans leur litanie.
Chacun essaie à sa façon de lutter contre le fléau mais ne saurait en plus s'en crucifier, me semble-t-il.
@ DH. Se flageller, sûrement pas, je suis contre toute violence, à commencer par celle qu'on s'inflige à soi-même. Mais il est vrai qu'on peut être complice faute d'avoir au moins refusé d'entériner l'horreur.
Si nous étions allés en Irak, je ne me serais pas sentie complice, ayant manifesté mon opposition et participé ainsi à une prise de conscience de l'inanité de cette guerre. Il me semble que les saloperies commises en Afrique en notre nom ne nous touche pas de la même manière. Et là, nous étions en première ligne. L'entretien de Kathleen Evin (journaliste que j'apprécie pour sa rigueur, son humour, sa culture) et de P. de St Exupéry etait émouvant et m'a rappelé cette époque et ma chère amie .
Commenter de tels souvenirs ? Ils justifient pleinement le nom de votre blog, Zoë.
Une belle figure de femme s'en dégage, et la souffrance terrible devant un mal qui n'a pas de fin.
alors j'avoue , Tania a raison en te disant : " Une belle figure de femme s'en dégage, et la souffrance terrible devant un mal qui n'a pas de fin."
D.H.aussi : " Ce récit vaut bien des livres de journalistes sur ce tragique sujet."
Donc toi aussi !
Je ne l'ai pas dit mais je le pense très fort : "bravo pour cette chronique extrêmement touchante". Quelle responsabilité avons-nous dans les actes commis par nos dirigeants ? Nous ne pouvons certes pas être totalement exonérés puisque nous tolérons qu'ils restent en place ou pire que nous les avons élus... Difficile de jouer perpétuellement à l'autruche. S'il est clair qu'il faut faire le distingo entre un peuple et son gouvernement, ne serait-ce que par respect pour ceux qui s'opposent, parfois au péril de leur vie ou de leur liberté, aux actes répréhensibles commis par leur pays, il est clair aussi que les "dirigeants" ne sont pas "tombés du ciel". Dans le cas du Ruanda, je crains malheureusement que le gouvernement français ait été un peu plus qu'indifférent...
Au cas où vous voudriez planter des petits fruits, je vous connais un excellent pépiniériste !!!!!
Merci à vous Tania, Cactus, La feuille. C'est peut-être un hasard et je l'espère mais ce sujet n'a pas retenu l'attention des visiteurs, les a intimidés ? trop grave ? ou bien baisse de fréquentation générale.
J'apprend à l'instant que Mia Farrow va entamer une grève de la faim pour protester contre l'indifférence des autorités internationales à l'égard du drame du Darfour
Bonsoir
Vous êtes venus aujourd'hui sur mon blog photos...(merci)
Je viens de lire ce billet émouvant...
En tant que Belge, je connais dans la paroisse universitaire que j'ai fréquentée, pas mal de Tutsis qui ont échappé de justesse aux horreurs dans lesquelles leurs familleq ont péri. Dans des circonstances "inavouables"...
Souvent ils ne sont pas capables d'en parler. Mais les quelques mots parfois qu'ils ou elles ont dit...dépassent tout ce qu'on peut imaginer
Si la France a été indifférente, la Belgique aussi...d'une autre manière...
Il faudrait s'interroger pour savoir en quoi consiste la vraie solidarité quand nous ne sommes que des citoyens ordinaires...
On peut écrire un livre par exemple... oui bien sûr, cela va frapper l'opinion publique, l'émouvoir plutôt, pendant un temps!
Puis...il y aura d'autres livres sur le présentoir, d'autres interviews à écouter.
Depuis toujours il y a eu des génocides...l'Histoire se répète indéfiniment...
Je crois que c'est Nancy Huston dans son dernier livre qui parle du fait que la guerre intrinsèquement fait partie de l'homme...
bref je ne vais pas être plus longue...mais ce seul billet m'a touchée beaucoup
Bonne soirée à vous
les vacances Zoë , beaucoup ont posé leurs balises loin de l'HTML et sont partis danser la java sans script ! il y a du monde chez toi par rapport à mon chez moi , veinarde :-)
Lu, vu, bu... Bien.
Zoë , peux-tu être complice de l'avouable ? je dépose ici ma question : comment faire apparaître " Derniers commentaires " ? je dois être encore un peu plus con con qu'on dit que la moyenne des ouai besmasters ! merci d'avance !!!
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