Madame, Monsieur,
Je vous adresse ci-joint le résultat d'un travail de deux ans, qui s'est trouvé entravé dans son parcours par les doutes et les inhibitions dont l'auteure est sérieusement atteinte et que nulle forme de thérapie n'a réussi à réduire.
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Tout individu un tant soit peu alerte du cerveau sait bien qu'il est dangereux de faire montre de faiblesse, d'humilité dans un monde qui n'accepte que les premiers aux concours, à savoir ceux qui ont éliminé tous les autres. Quand on ne bénéficie pas d'entregent particulier, qu'on n'a aucune référence à aligner dans sa lignée, qu'on vit éloigné des salons où l'on se pavane entre initiés, qu'on consacre la majeure partie de sa vie à en assurer la subsistance, on doit renoncer, ne serait-ce que pour fuir des tourments inutiles à commettre et soumettre ce qu'on prétend de soi à soi relever de l'art(isanat) littéraire, puisque aussi bien il est manifeste qu'on publie trop et qu'on écrit encore plus que trop.
Pourtant je l' aimais bien ce roman que j'ai renoncé à proposer à un éditeur quelconque. Les timides sont les plus orgueilleux. Minuit, Gallimard, le Seuil, Actes Sud ou rien. Donc rien.
Rien, cela ne gène personne, c'est bien commode. Sauf mes personnages qui se plaignent de l'exiguïté du placard où ils se trouvent confinés et éternuent bruyamment quelques fois pour me signifier la négligence dans laquelle je les maintiens.
Tu ne crois pas en nous, ils éructent entre leurs spasmes respiratoires.
Ce n'est pas de vous que je me défie leur dis-je in petto, mais de moi. Savez vous que désormais il ne suffit plus de vous mettre au monde, dans les affres que l'on taira ici, tout le monde s'en fout, non ça c'est la partie la plus jouissive, l'accouchement est un orgasme, ne pas l'ignorer. C'est ensuite que ça devient du sport, du saut de haies, du slalom entre les chicanes, du catch spectral, de la boxe en apnée. Non mes chéris, je vous assure . A supposer que vous passiez de mon tiroir à un vrai de vrai volume, prêt à tomber entre des mains tendres qui pourraient gentiment vous caresser le ventre, il restera encore à convaincre la déesse aux cent bouches de se saisir de son porte-voix pour que votre voyage ne se limite pas à quelques tours de gambade avant de s'achever sous le pilon. Ne serait-ce pas un sort pire encore ? Au moins, tels que vous êtes, ne peut-il rien vous arriver de bien terrible. Voyez-vous, après vous avoir donné matière il faudrait que je devienne votre camelot, que je réponde aux questions : est-ce une autobiographie ou une fiction, pourquoi votre héroïne se conduit-elle comme si elle ..., cette fin qui n'en n'est pas une..., votre style est..., il n'est pas... Que je lise les articles avec des chutes du genre « quand on referme le livre, on ne se souvient plus l'avoir ouvert ». Pire encore, que nul ni quiconque ne dise quoi que ce soit et que je reste au bord de l'asphyxie des jours et des mois à me gifler pour me donner à sentir mon sang encore circuler.
Non, mes petits chouchous, le monde s'est fait sans vous et peut continuer ainsi.
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Madame, Monsieur,
ne tenez pas compte de ces quelques lignes et ne vous donnez pas la peine d'ouvrir le petit tas de feuillets qu'elles accompagnent. Inutile de perdre votre temps. Des livres, il y en a trop et on ne sait toujours pas ce que c'est un écrivain. Alors un inconnu, que dis-je une inconnue ! Ne prenez pas le risque du ridicule. Continuez à miser sur les Mistral gagnants.
Sans rancune
Photo ZL