Un matin, je m'équipais de chaussures adéquates, d'une gourde (que je remplis et oubliais) de mon appareil photo (qui tomba en panne de batterie dès le premier cliché) et j'allai rejoindre un petit groupe qui, sous la houlette de Patrick Valette guide volontaire de randonnées pédestres, se rendait sur la commune de Mayronnes à la découverte du sentier sculpturel.
Une association la bien nommée Hérésies a eu l'idée de passer commande auprès de sculpteurs pour jalonner un sentier qui domine la vallée de Mardouneille. On a le choix entre un circuit court dit des "permanents" et un plus long qui accueille chaque année de nouveaux créateurs. Patrick Valette nous montre au passage les plantes de la garrigue et la distinction entre le genévrier commun et le genévrier cade, arbres de taillis et de futaie. Nous écrasons entre nos doigts des santolines ou des sauges et nous parlons du Banquet et de livres en général. Ou nous nous taisons en grimpant, sous le soleil, ce jour là intermittent, donc plus propice pour une marche d'environ trois heures. Cette année, l'ambiance du Banquet était plombée par l'absence de son initiateur Gérard Bobillier dit Bob pour cause de crabe récidivant. Le directeur (avec Colette Olive) des Editions Verdier qui sont à l'initiative en partenariat avec la librairie Ombres Blanches de Toulouse de ce rendez-vous annuel définit dans un entretien la ligne éditoriale de son équipe de la façon suivante : "des textes où la promesse de la langue ne s'énonce jamais qu'en tension avec celle de la conscience". Il n'y a rien d'étonnant à retrouver dans la programmation du Banquet beaucoup d'anciens de la Gauche Prolétarienne, puisque l'aventure éditoriale a été la façon de se reconvertir de ces militants qui renonçaient au jusqu'auboutisme révolutionnaire dont les résultats sont bien connus en Allemagne (Fraction armée rouge) et en Italie (les Brigades Rouges). Un ancien de la GP justement, c'est Olivier Rolin (lire sur ce sujet Tigre de papier). Il a succédé sur l'estrade à quelques jeunots qui ont pour vocation de dépoussiérer le musée des idées reçues en direct des vieilles bibles révolutionnaires (je vous épargne le listing). Sans compter que nous avions le fiston de Beni Lévy soi même (je me suis enfuie au bout de dix minutes de prechi precha). Jean Pierre Martin, point tout jeune, beau visage, ayant bravement mis en pratique l'enrôlement à l'usine du temps où c'était considéré comme la seule façon de faire avancer la cause du peuple, désormais universitaire à Lyon II ( bourrée de séditieux cette fac) nous a entretenus de l'insularité de l'écrivain. Entendez la nécessaire solitude. "La philosophie du dégagement s'opposerait à la dictature morale de l'engagement". Sartre professait, surtout lorsque Beni Lévy lui eut mis le grappin dessus, l'obligation d'engagement (qui lui avait un peu fait défaut à certaines périodes). BL aurait même demandé à Sartre d'abandonner son Flaubert ! Il n'a heureusement pas obtempéré. Sartre disant de Merleau Ponty "il est exilé dans le gaz pauvre de la solitude" . Le summum de cette démarche d'insularité : Orwell qui cherche un endroit absolument à l'écart pour écrire 1984. Ce sera l'ile de Jura en Ecosse. Le même Orwell dit d'ailleurs "les intellectuels sont plus portés que les gens ordinaires au totalitarisme" et Michaux "qui chante en groupe mettra quand on lui demandera son frère en prison". Olivier Rolin, enfin! Un propos sans ampoules, une adresse directe et sans affêteries. La puissance politique de la littérature c'est qu'elle donne les moyens de la liberté. Ne pas attendre de l'écrivain des vérités mais des sincérités. Choisir quant à lui de s'éloigner des certitudes pour entrer dans le domaine des incertitudes. Rolin cite abondamment. Barthes "le roman est un discours sans arrogance, il ne m'intimide pas" . Dostoievski : Don Quichotte est beau parce qu'il est ridicule. Vie et destin de Vassili Grossman, le roman du XXème siècle. Quand la politique range, le roman dérange, le discours politique ignore la moirure l'irisation. La suite des temps transforme toute oeuvre et tout homme en fragments. Et Rolin de suggérer une "théorie des ruines" qui consisterait à repérer pour chacun ce qu'il a gardé en souvenir des livres (ou des films pensai-je) qui ont jalonné son existence.
Dans la soirée, nous avons sur cette accroche devisé un long (mais trop court) moment, un verre de vin en main, puis sur Buenos Aires (que connaissait bien une banquetteuse "tanguerra" qui partageait notre table), puis sur Bacou, sa dernière escapade où il est allé vérifier si oui ou non sa mort annoncée dans un de ses livres pour 2009 à Bacou (Azerbaïdjan) l'y attendait. Après un mois passé sur place sans qu'elle se manifeste, il a suffisamment de matériaux pour son nouveau projet.
23 commentaires:
C'est mignon les sincérités de l'écrivain, plus que les vérités. Mais un écrivain sincère, je trouve ça dommage, quand l'intérêt de prendre la plume est quand même de mentir, magnifiquement, et de préférence à soi-même, sinon où est l'intérêt ? Ou bien alors, autant être diariste ou essayiste.
Dommage que Carl Barks est décédé il y a quelques années— ils auraient pu l'inviter pour ces agapes intellectuelles et ces déclarations sur l'engagement, le dégagement... Il connaissait ça sur le bout des doigts. Il en a bavé puis il a trouvé le statu quo entre conscience et prise en compte de la réalité. Je crois qu'il se fichait de la sincérité, par contre, et il mentait allègrement dans tout ce qu'il faisait, sûr que le mensonge dans son art est plus vrai que la "sincérité".
Alors, là : "des textes où la promesse de la langue ne s'énonce jamais qu'en tension avec celle de la conscience", faut l' faire Gérard ! Il se mouche pas avec un sopalin, lui, il utilise les rideaux, les draps de lit, la nappe parfois ou la robe fleurie de sa voisine. Non, pas la robe pasqu'il risque de s' prendre une baffe dans la tronche.
Gauche prolétarienne ! Gauche de mon cul, si je puis me permettre, gauche dont les prolétaires ne voulaient pas, gauche qui allait aux prolétaires comme les missionnaires allaient aux sauvages. Beurk... Gauche de rien du tout, gauche triste, petits-bourgeois prétentieux qui s'écoutaient parler. Tous ces petits merdeux ont fait chier les prolétaires avec leurs leçons de morale pendant des années et, maintenant, ils vivent de leurs crises de conscience— Rolin, Michon, et en Italie ce connard de De Luca qui va se transformer en ce curé qu'il a toujours été...
Vivent les vacances !
La philosophie du dégagement !
Excusez-moi... je ris.
Intéressée par ce que vous écrivez d'Olivier Rolin et ce qu'il dit du roman.
@L°, bien sûr qu'il s'agit de mentir. Ce qui est sincère ne signifie pas que ça s'est passé dans la vraie vie, mais que l'énergie dédiée est puisée à la sincérité du bonhomme. Rolin raconte des fantaisies d'un bout à l'autre de ses livres.
@MCA, je t'attendais. Mais oui la GP réunissait une bande de curetons laïcs qui ont joué les héros le temps de se faire peur en ratiocinant à perte de vue. Connais pas ton Carl Barks mais je vais aller voir. La sincérité c'est ta protestation, à moins que tu n'écrives ça ici pour faire le malin. Bob ne se mouche pas avec du Sopalin en effet mais sa petite entreprise reste relativement proche de ce qu'on peut espérer d'une maison d'édition, même si au final il n'édite que ceux qui lui cause dans la langue qu'il entend. On peut se gausser de "la conscience", mais alors pardon il reste quoi pour gouvernail ?
On peut aussi se tromper et vivre de ses états d'âme. Il y en a qui n'en ont pas "d'état d'âme", ça les allège sans doute ? Ils n'emmerdent personne ? Tu veux des noms ? Au final, tu as un peu raison, ils sont chiants, mais pas pour les raisons que tu dis, je dirais pourquoi (selon moi) dans le prochain billet.
@Tania, Rolin est un écrivain précis et drolatique même quand il parle de la mort.
@Zoë. Je sais. C'est pour ça que je suis venu. Sérieux deux secondes : les états d'âme, je déteste, et pour la conscience, j'ai des doutes parce qu'elle implique une âme. Donc...
Mais c'est pas l'endroit.
Le gouvernail : le Rire, Zoë.
Pour Carl Barks, faut ABSOLUMENT que tu te renseignes.
Je hais les morbides et les mortiféres.
@MCA moi zaussi je hais les mortels et les morbifères. C'est pour ça qu'on s'aime, non ?
Conscience, âme, c'est pas parce que les terreurs de bénitiers ont englué les termes qu'ils ne signifient rien. Le rire sûrement mais y'a des cjoses qui ne me font pas rire, désolée. Et beaucoup même. Allez, on ne va pas s'appesantir o'esprit allègre!
Je me souviens d'avoir vu une interview de Primo Levi a qui on demandait quel était son écrivain de prédilection et il a répondu Rabelais. Et puis, le Rire ne signifie pas qu'on rigole tout le temps. C'est autre chose.
Le sujet soulevé est passionnant, parce que justement au coeur du problème que rencontrent la gauche curetonne, les intellos perdus et les artistes sans "toits" théoriques d'aujourd'hui face à la pieuvre marchande qui, depuis trente ans, a tout pollué après avoir tout déconstruit.
C'est effectivement très complexe, tout ça. Hâte d'en lire plus, beau sujet de discussion.
;-)
Le rire est une mise à distance, simplement. Evidemment, s'agit pas de rire des autres, mais de soi. Je ne crois pas que beaucoup d'intellos franchouilles (style BHL) rient beaucoup d'eux mêmes, hélas, alors que je pense que la clef est là.
Sinon, j'adore la phrase de Michaux (j'adore l'oeuvre de Michaux, d'ailleurs), elle résume tout.
C'est marrant, mais Mon chien et Sophie ont tout dit avant moi !
La phrase que cite mon chien, je l'avais notée...
Ouais... se mouche pas avec un dail!
(dail, en charentais, veut dire faux ! )
Comme Michaux, j'ai été vacciné petit par les cantiques chantés à plusieurs...
J'aime pas l'opéra ni les chants basques ni les voix corses...
Olé !
La faulx, quoi... l'outil...
Je ne sais pas si j'aurais tenu une semaine dans une ambiance aussi torride sur le plan intellectuel, moi qui ne supporte pas qu'une journée se termine sans que j'ai fait quelque chose de mes mains. Mais le sentier avec les sculptures, j'adore. Entremêler art et nature, que ce soit par le biais du land art ou autre c'est une chose sympathique. Au Québec, à St Jean port joli au bord du Saint Laurent, patrie des sculpteurs sur bois, il y a une réalisation du même type. Il s'agit d'un parc, d'accès libre, renfermant toutes les sculptures qui ont été primées lors des concours annuels des vingt ou trente dernières années. il y en a qui restent et s'altèrent peu à peu au fil des intempéries (nous sommes au Québec, ne pas oublier) et d'autres qui sont présentées de façon temporaire. Pas de hall d'entrée, de guichet, de ticket ou de gardien à casquette... L'art à la portée de la main et de l'oeil. On peut toucher, voir, sentir, et, ce qui m'a surpris, moi français lambda, c'est qu'il y a très peu de dégradations : simplement des courbes un peu plus usées que d'autres, de petites brisures sur les pièces fragiles. Je rêve de trouver quelque chose d'aussi joli que ce que j'ai vu là-bas, pour le cacher derrière une haie, au fond de mon grand jardin... Mais de grâce, ni chérubin, ni angelot, ni Vénus du viaduc de Millau...
Mais il est beau le Viaduc de Millau ; et le pont de Tancarville aussi...
"Tigre de papier" est un grand livre de circulation. L'engagement vaut mieux que de petits crachats. L'Histoire reconnaît toujours ceux qui la méritent.
Ah ! Rolin ! Il est séducteur l'animal ! Bien, son idée sur la théorie des ruines.
Merci, Zoë, pour l'échange.
@MCA, Si c'est Primo Levi qui le dit, lui qui a fini par se suicider ...
@Sophie K "les artistes sans toits théoriques" quelle belle formule pour définir nos errances actuelles entre trop et pas assez, entre rire et colère. Rire de soi mais point trop car l'autodérision peut rapidement mener au désespoir. Ah que l'équilibre est précaire!
@ Vinosse, j'adore l'expression qui m'est familière se moucher avec un dail (une faux), l'ai entendu mille fois. Michaux, oeuf course!
@La feuille, oui c'est joli cette idée des Hérésies : gratuit, ce parc de sculptures dans les santolines, les cistes, les chênes verts. On peut y aller quand on veut. Un sentier en surplomb sur des vignes et l'humble trace de bricoleur de formes.
@shampoing, bonjour, ça mousse ?
@DH, yes old chap!
@Dom Boudou. A bientôt, vous serez l'hôte exclusif de ce lieu très bientôt. Nous l'annoncerons en fanfar(onnade)...
Zoë, je n'ai jamais dit que le rire empêchait de mourir. Mais sans cela, Levi serait mort 40 ans plus tôt. Et puis, je ne vais pas vous apprendre que nous sommes tous embarqués dans une histoire qui finit toujours mal. :D
Allez, je m'assois un peu. Merci Zoë.
Fou rire à la lecture de ces engagements/dégagements datant d'un autre âge !
La gauche prolétarienne luttant en vain contre la pieuvre marchande... Mais, c'est "Vingt mille lieues sous l'amer" !
@MCA, l'aventure finit, http://zolucider.blogspot.com/2009/07/gracias-la-vida.html.
@Chr.B, je vous offre un verre de Gaillac "Les Cailloutis".
@JC, heureuse de vous dilater la rate, ça ne peut que vous faire du bien
Des mots !
Entrelacs ! Rouillés !
Vibre aux sons des cons verts !
(un gauchiste pro-métallo)
Ben moi aussi je prends place sur le banc...
J'aime beaucoup la danse désarticulée au-dessus du vide -celle de la photo et celle des commentaires.
Il reste un peu de Gaillac?
@Dom A. Du fil à retordre ?
@La Bacchante, bienvenue sur le banc, toujours un verre pour les voyageurs de passage.
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