jeudi 27 août 2009

Résister c'est créer*



La Chevalière a posté, à l'occasion de cette foutue rentrée généralement bourrée de marronniers, un petit billet, d'un humour dont elle a le secret, sur les affres subies au cours de nos scolarités.
Je complète son tableau en évoquant celles dues en particulier à l'obsession quasi militaire de réduire la singularité des élèves (qui sont aussi des enfants mais ils doivent l'oublier en franchissant le seuil sacré de l'enceinte scolaire ) au profit de l'élève modèle dont on peut résumer le profil de la façon qui suit:
  1. a dormi aux heures raisonnables la veille pour être frais et dispos en cours et ce après avoir accompli ses devoirs nombreux et variés, généreusement distribués (mais dans l'anarchie totale) par ses maîtres, de façon à en fournir la preuve indéfectible si nécessaire (en fait si le prof en exprime le désir).
  2. dispose de tout son équipement auquel il ne manque ni gomme ni rapporteur, ni les quatre couleurs, ni le cahier à spirales, ni le classeur à feuilles multicolores, ni les livres (soit cinq ou six à la fois selon les jours) en évitant de bêtement se déformer la colonne vertébrale au prétexte que c'est lourd à porter,
  3. écoute avec une attention soutenue et sans faille tout ce que le maître formule (même quand il ronchonne, fulmine, éructe, bredouille, marmonne, bégaie, s'engoue, tousse etc.),
  4. évite par conséquent de se laisser aller à quelque rêvasserie et reste con-cen-tré,
  5. répond quand on l'interroge, se tait le reste du temps, soit le plus souvent possible,
  6. n'abuse pas du défoulement récréatif pour grimper aux rideaux ou assommer ses congénères,
  7. porte des tenues aussi neutres que possible pour ne pas se faire excessivement remarquer,
  8. veille cependant à ne pas trop dévier des modes locales pour ne pas déclencher quolibets et autres avanies, obligeant ses maîtres à un exercice de régulation éprouvant,
  9. sait à la fois être un bon camarade secourable, attentionné et dénoncer ceux qui commettraient des exactions (facéties outrageantes à l'égard du maître en particulier),
  10. abandonne à l'entrée de l'école sa défroque de gamin éventuellement en proie à des trucs pas très reposants (rock and roll musclé entre père et mère, faillite et ronde des huissiers, traque des zélateurs de l'appartenance à la mère patrie etc.).
Il n'y a aucun enfant qui puisse ou désire être cet élève là. Dolto disait que les formes de résistance se trouvent soit dans l'apathie, le repli vers la position amorphe , soit dans la rebellion agitée.
Les premiers sont bien tolérés par l'institution. Certes" ils ne font pas des étincelles" mais ils foutent une paix royale aux gardiens du troupeau, qui les oublient avec reconnaissance.
Les seconds en revanche sont les moutons noirs. "Ils ne savent pas quoi faire pour se rendre intéressants". En fait, ils savent si bien faire qu'ils le font. S'ils savent conjuguer résultats scolaires et indiscipline, ils auront quelque chance de s'en tirer (avec cependant "les sanctions qui s'imposent"). Mais les notes faibles combinées à la révolte c'est l'hallali assurée. L'institution finira par recracher ce mauvais morceau : inapte ! Seule ressource : la création, l'invention d'un chemin hors des sentiers battus. Souvent une rencontre (physique ou virtuelle) peut permettre la reconversion d'un cancre en magnifique. Mais hélas, qu'il est long, le chemin et pour être honnête, il faut ajouter qu' on ne se remet jamais tout à fait des humiliations infligées à l'enfance. Pensez-y pédagogues! Et n'oubliez pas que le sens littéral de pédagogie est "le voyage des enfants" (pas l'encasernement).


*Titre emprunté à Miguel Benassayag Résister, c'est créer, en collaboration avec Florence Aubenas (2002), La Découverte.
Voir aussi Désobéir c'est vivre et chez Nomade, et le mouton noir soi-même

Découvert aujourd'hui (vendredi un débat sur le sujet dans le nouvel obs. Edifiant.

Et un petit rappel de la Môme

Après commentaire de Dexter (29/08) un lien tutafée ad hoc

Photo Mouton noir sur l'ile des Orcades

24 commentaires:

Vinosse a dit…

Mais les notes faibles combinées à la révolte c'est l'hallali assurée. L'institution finira par recracher ce mauvais morceau : inapte ! Seule ressource : la création, l'invention d'un chemin hors des sentiers battus. Souvent une rencontre (physique ou virtuelle) peut permettre la reconversion d'un cancre en magnifique. Mais hélas, qu'il est long, le chemin et pour être honnête, il faut ajouter qu' on ne se remet jamais tout à fait des humiliations infligées à l'enfance.

Je me sens visé là...

Vinosse a dit…

Ouais... très long le chemin... on n'en voit pas le bout...

Et quand on regarde derrière et qu'on voit celui parcouru... chemin au milieu de la forêt noire, seul avec ses larmes...

Pourquoi chercher une lumière, l'ombre nous va si bien...

Vinosse a dit…

Ce sujet me touche...

Vous n'auriez pas dû Zoë...

Loïs de Murphy a dit…

Ah merde, tu connais Benassayag ? Tu m'épates !
(L'ai écouté en conférence à Toulouse l'an dernier)

D. Hasselmann a dit…

La collaboration de Florence Aubenas avec Miguel Benassayag a été rien moins que logique : "La fabrication de l'linformation" la touchait aussi de près.

Sur le monde scolaire vécu, on pourrait aussi parler d'amitiés, de rencontres, d'illuminations : le tableau semble ici parfois plus noir que vert.

JC a dit…

Je garde un excellent souvenir de toutes mes classes ...
Optimisme béat ? Il vaut bien un pessimisme achevé !

La Feuille a dit…

Comme antidote je propose ce court extrait de la charte de l'école Moderne, pédagogie Freinet, article 2, charte à laquelle j'ai essayé de me conformer tout au long de ma carrière, avec parfois bien des difficultés :
ø Nous sommes opposés à tout endoctrinement. Nous ne prétendons pas définir d’avance ce que sera l’enfant que nous éduquons; nous ne le préparons pas à servir et à continuer le monde d’aujourd’hui, mais à construire la société qui garantira au mieux son épanouissement.

Nous nous refusons à plier son esprit à un dogme infaillible et préétabli, quelqu’il soit. Nous nous appliquons à faire de nos élèves des adultes conscients et responsables qui bâtiront un monde d’où seront proscrits la guerre, le racisme et toutes les formes de discrimination et d’exploitation de l’homme.»

C'est peut-être légèrement en dehors du sujet, mais pas tant que ça ! Un jour j'écrirai ce que j'ai fait dans ma classe, ou tout au moins ce que j'ai essayé de faire, mais pour l'instant, ça décante. Je laisse le temps faire le tri, atténuer les écarts entre les bons et mauvais souvenirs. Je me méfie des mots, des récits trop figés, qui embellissent à l'excès ou noircissent sans raison certaines situations vécues.
Fort intéressant Zoë ! D'ici peu "la feuille charbinoise" se branche sur Henry Thoreau et la désobéissance comme art de vivre...

Dominique Boudou a dit…

Mille fois d'accord avec ce billet et son titre.

JEA a dit…

Si les hasards et les nécessités des vies voulaient qu'au jour d'aujourd'hui, ce soit votre anniversaire, très chère Zoë, alors sachez que tous les arbres, désignés ou pas par toutes les roses de tous les vents, que tous les voyageurs se fiant à ces arbres, que toutes les pluies et tous les soleils qui s'y accrochent, que tous les papillons et tous les oiseaux totalement ou seulement migrateurs qui y reviennent, que toutes les espérances folles et tous les lendemains qui osent encore chanter, que même et surtout les étoiles qui trouvent chez vous envie de palabrer... sachez que toutes et tous vous souhaitent le plus doux des anniversaires !

JEA a dit…

Et à le demande pressante de Haendel : Ode pour vous !
(sur mon blog à défaut de pouvoir jouer au coucou musical dans votre arbre)

Chr. Borhen a dit…

Joyeux anniversaire Zoë.

Zoë a dit…

@Vinosse, normal que tutte sentes visé, ce sont tes commentaires chez Sophie qui m'ont en partie inspiré ce billet. Moi, j'admire ceux qui ont trouvé leur chemin seul en dépit des pronostics misérables qu'on leur a infligé Mais je sais la blessure.

@L°, oui moi je l'ai écouté, accompagné de Florence Aubenas, avant qu'elle se fasse capturer. J'aime bien les deux personnages.

@DH, bien d'accord, on pourrait parler des joies de l'école (moi j'ai adoré l'école, même si mon caractère rebelle m'a valu quelques heures de colle. Ici je voulais parler de l'institution. D'ailleurs j'ai vu que le nouvel obs consacrait une page débat, du coup, je rajoute le lien ce jour.

@JC, vous n'étiez sans doute pas de ceux à qui il manquait la trousse pleine...

@La feuille, je suis sûre que vous avez été excellent et d'ailleurs je n'incrimine pas les profs ou les maîtres mais une logique (compétition, sélection, infantilisation) qui fait des dégâts. Quant à Célestin, il faut avouer que le sort qui a été réservé à son génie est pitoyable. Avant qu'elle ne soit finalement rendue publique son école a été maintes fois menacée de fermeture et les instits qui s'inspiraient de ses méthodes devaient éviter de citer leurs sources. On n'aime pas les francs tireurs de la pédagogie en France.

@Dominique Boudou, on est d'accord!

@JEA, merci de ce bouquet de mots, je le respire avec émotion.

@Chr. B. à vous le temps.

Blog_trotter a dit…

Bon anniversaire madame. Et beaucoup d'autres printemps.

Vinosse a dit…

C'est vrai c't'histoire d'anniversaire ?
Si oui, alors bon naniversaire !!!!

Sinon c'était pas la St Monique ?

Zoë a dit…

@Blog trotter, et encore des printemps à la Blanche

@Vinosse, c'est gentil mais je ne fête pas les fêtes, tu me suis ?

JC a dit…

Et non, Zoë ! Tout faux !
Ma trousse était à moitié vide, mes culottes rapiécées et les pulls rêches passaient d'un frère à un autre ...
N'est pas héritier qui veut... (ça incite à s'en sortir en se bougeant le cul cette enfance heureuse mais pauvre)

Sophie K. a dit…

Oh Zoë, merci de ton lien, et très très bon anniversaire ! :-)

Tout à fait d'accord avec l'ensemble de ton billet. Je redis quand même ici que les mauvais souvenirs de l'école ne me viennent pas des profs (à part un ou deux, vieux machins, sortis d'avant guerre, qui pensaient qu'on apprenait mieux dans la terreur), mais du fonctionnement de cette machine qui vous écarte réellement si vous résistez à ses codes. La compétition, à ce que j'en ai vu, favorisait à l'époque beaucoup plus la triche, le bachotage et le rejet des différences que le désir de progresser et d'apprendre...

Zoë a dit…

@JC, là nous sommes d'accord, (et frère d'expérience) je n'ai pas dénigré le temps de l'école en soi, au contraire, je l'ai dit, j'ai adoré l'école. Je parle ici des représentations qui fonctionnent comme ligne de démarcation entre bon et mauvais élève. Croyez-moi, je travaille sur ce front là et je les vois plus que jamais à l'œuvre
@Sophie K, des profs qui pensent qu'on apprend mieux sinon dans la terreur, au moins dans le houspillement continu, y'en a encore, l'espèce s'est perpétuée en dépit de toutes les grandes études sur la "didcatique", le nom est joli non ?

Dexter a dit…

bonjour Zoë,

et bon anniversaire !
vous êtes Vierge ? comme moi !

une petite chanson, pour souffler les bougies :

We dont need no education.
We dont need no thought control.
No dark sarcasm in the classroom.
Teacher, leave those kids alone.
Hey, teacher, leave those kids alone!
All in all its just another brick in the wall.

We dont need no education.
We dont need no thought control.
No dark sarcasm in the classroom.
Teachers, leave those kids alone.
Hey, teacher, leave those kids alone!
All in all you're just another brick in the wall.

Zoë a dit…

@Dexter, sur cette excellente suggestion je vais ajouter à ce billet un lien vers la vidéo des Pink Floyd. Attention tout de même, ce petit film pourrait laisser croire que "insurrection vient".

Anonyme a dit…

http://www.youtube.com/watch?v=N89gb2KcdSc

Zoë a dit…

@Anonyme Vous n'avez pas un petit nom ?
Merci pour le lien

Sophie K. a dit…

Zoë, continuons à faire des trous dans les murs !
(Yeepee !)
:-)))

mon chien aussi a dit…

Dolto a dit des tas de conneries. Dans son genre, c'était une belle matrone étouffante elle aussi. Pour l'école : un merdier en ce qui me concerne— des exclusions en veux-tu en voilà, des profs à chier, des bagarres avec les derniers nommés, des errances, des "incivilités" comme on dit aujourd'hui, des cafouillages, des abandons, des faims terribles, des colères, des menaces administratives, et tout le reste en plus...