mercredi 4 février 2009

Le syndrome de Diogène

Elle n'a pas cinquante ans Régine Detambel et elle a scruté au fond des yeux et des livres les plis de la vie qui s'inscrivent dans nos corps et nos coeurs et font de nous de vieux os, de vieilles choses dont on détourne le regard . Le syndrome de Diogène. Eloge des vieillesses. Actes Sud
Florilège
"Je crois que la vieillesse arrive par les yeux et qu'on vieillit plus vite à voir toujours des vieux" jette Hugo dans Ruy Blas (11).

On ne se voit pas vieillir. Un jour, c'est un autre qui vous le dit. Le lendemain, mille autres. Alors ce n'est plus la flèche du temps, c'est un carquois bourré de piques: « Comme quelqu'un, entendant dire que j' étais souffrant, demanda si je ne craignais pas de prendre la grippe qui régnait à ce moment-là, un autre bienveillant me rassura en me disant: -Non, cela atteint plutôt les personnes encore jeunes. Les gens de votre âge ne risquent plus grand-chose. (. .. ) Et je pus me voir, comme dans la première glace véridique que j'eusse rencontrée, dans les yeux de vieillards restés jeunes, à leur avis, comme je le croyais moi-même de moi, et qui, quand me citais à eux, pour entendre un démenti, comme exemple de vieux, n'avaient pas, dans leur regard qui me voyait tel qu'ils ne se voyaient pas eux- mêmes et tel que je les voyais, une seule protestation. Car nous ne voyions pas notre propre aspect, nos propres âges, mais chacun, comme un miroir opposé, voyait celui de l'autre. Et sans doute, à découvrir qu'ils ont vieilli, bien des gens eussent été moins tristes que moi. Mais d'abord il en est de la vieillesse comme de la mort. Quelques-uns les affrontent avec indifférence non pas parce qu'ils ont plus de courage que les autres, mais parce qu'ils ont moins d'imagination. » (57,58) citant Proust

Bien avant d'être un destin biologique, dira Gorz, le vieillissement est un destin social, mais comment entrer dans cette société sans renoncer aux possibilités et aux désirs qu'on p0rte en soi (59). Il n' a que 36 ans quand il écrit "Le vieillissement", Erasme, la quarantaine quand il attaque son De senectute

Paul Valéry a dit que ce qu'il y a de plus profond ans l'homme, c'est la peau. Mais un peu plus loin, pris de repentir, il rectifia: ce qu'il y a de vraiment insondable, c'est le foie. (137).

Autant dire que le régime grec ou un autre, c'est plus efficace pour le prolongement de soi si on y tient

Régine Detambel ne nous épargne aucun détail de la dégénérescence liée à l'âge, ni du sort mauvais qu'on réserve aux vieillards qui seront en nombre croissant (croassant ?) dans les décennies qui viennent. Mais elle nous fournit également quelques formules d'élixir de jouvence et elle nous fait visiter les textes que le sujet a inspiré aux grands écrivains de Cicéron à Guyotat.
Aller les glaner au fil de ses 321 pages.

Pour ma part j'use chaque fois que faire se peut de certains des conseils délivrés par ces augustes prédécesseurs pour faire reculer la gueuse : l'immersion régulière dans une forme ou une autre de réjouissance (rire, chanter, danser). Avec l'intention ferme de conserver jusqu'au bout le désir de créer, la vie intellectuelle protège de la sénescence.

Quelle sagesse pour se rire du temps ? Celle de Colette percluse de rhumatismes qui se penche à son balcon du Palais Royal pour encore et toujours s'emparer des bonheurs du jour.

Ou celle de Gide

"La vie humaine tout entière est un art du temps que célèbrent les clepsydres, les natures mortes et la poussière des vanités. Il y a quelques heures de bonheur dans une existence: la somme des rosées, des étoiles filantes, la phosphorescence des vers luisants, quelques éclairs dans des arcs-en-ciel, bref de petits éclats parfaits et invaincus, pleinement édéniques. Même les menues infirmités du grand âge qui font d'un vieillard une créature si misérable sont encore traversées de ces lucioles de joie." (99)

Vivez si m'en croyez, vivez dès aujourd'hui.




5 commentaires:

Anonyme a dit…

Sacré Gide !

Le génial Arthur Cravan, rendant visite à l'auteur de " Paludes ", lui annonça d'emblée " Je crois devoir vous déclarer tout de go que je préfère de beaucoup, par exemple, la boxe à la littérature ", puis crut utile de noter dans ses carnets qu'il avait du coton dans les oreilles...

Anonyme a dit…

J'adore Detambel ; avez-vous lu "Le jardin clos" ?

Zoë Lucider a dit…

Loïs,
vous aussi aimez les trémas
Pas lu le jardin clos, mais la grande beune oui, votre actualité selon vos biffures. je vais explorer Detambel en commençant par celui là après Diogène. Bienvenue sous l'arbre

Anonyme a dit…

Merci de votre accueil.

Anonyme a dit…

S'appelant des temps belle, comment ne pouvait-elle pas célébrer leurs griffures, aussi vivantes parce que non liftées ?