mercredi 20 janvier 2010
Entretien de débauche
- Puisque vous postulez pour entrer dans notre Société, permettez-moi quelques conseils utiles pour vous éviter les impasses et les chausse-trappes.
- Vous êtes bien aimable.
- Je remplis mon rôle du mieux que je peux.
- C'est très honorable.
- Merci. Donc je vous fournirai un vade-mecum rassemblant les éléments essentiels, ordonnés selon leur importance à l'heure où je vous parle, car chaque minute, que dis-je seconde, micro milliardième de seconde introduit des changements qui ne sont pas perceptibles dans l'instant, vous comprenez?
- J'essaie mais un brin d'explication ne nuirait pas.
- Notre Société a mis au point un système de réactivité à l'actualisation des données, néanmoins certaines lourdeurs persistent.
- On peut l'imaginer.
- Ces lourdeurs sont dues à l'imperfection des filtres qui perdure entre la vitesse de la lumière et la lenteur de la matière.
- La vitesse de la lumière, c'est clair pour moi, la lourdeur de la matière c'est une évidence, les filtres, ça m'échappe, les filtres ?
- Monsieur, soyez conscient que vous êtes un vecteur d'énergie. C'est en vous que se joue l'équation et vous devez la résoudre. Vous avez été engagé pour ça. Vous êtes un filtre. Pardon, mais c'est le terme.
- Un filtre !?
- Vous êtes une matière poreuse. Vous fixez ou ne fixez pas certaines émanations. Vos appétits et vos dégoûts sont des vecteurs de conduction. Nous vous avons choisi pour cela. C'est ce qu'on dénomme "compétence".
Bien entendu, vous serez inlassablement reformaté pour continuer à conduire notre fluide énergie. Toute entrave à la fluidité des flux déclenche un signal d'alarme. Les circonstances sont considérées -éventuellement- mais le plus souvent jugées inacceptables et donnent lieu à un licenciement immédiat et sans appel. Vous comprenez pourquoi je dois vous transmettre les règles de bonne fluidité pour que vous puissiez opérer en toute sérénité.
- Sérénité ? "Matière poreuse" et "licenciement sans appel" prédisposent mal, excusez-moi! Je veux bien mettre à l'essai ma modeste personne, puis-je cependant examiner vos principes.
- Volontiers, mais si cela vous était familier, faites comme dans l'avion quand on écoute les préconisations qu'on a déjà mille fois entendues.
- D'autant qu'on n'ignore pas qu'il n'y a pas de parachute, seulement une bouée, utile à la seule condition de sombrer en douceur dans un océan par temps calme.
- Revenons à notre règlement intérieur, voulez-vous ?
- Ah, oui, intérieur.
- La Société à laquelle vous appartiendrez, si votre période d'essai nous donne satisfaction, mise sur le dynamisme, un concept de mouvement ascendant. Est dynamique ce qui génère du déplacement, financier cela va de soi, vers des sommets et des records synonymes de toute puissance.
Principe premier: il n'y a de richesse que selon une appréciation monétaire, censée transmuter de la matière en immatériel et réciproquement. Notez bien le "réciproquement", c'est l'aller-retour incessant qui est dynamique.
Etre riche c'est posséder par le biais de comptes en banque un morceau de la planète. Plus on possède de morceaux en direct ou en différé plus on peut en acquérir de nouveaux c'est ce que nous nommons l'ascension. Cette fructification échoit aux meilleurs concocteurs de flux. Vous avez été recruté pour être un technicien opérateur de réseau de circulation. Votre rôle est de faciliter la fluidité.
- Oui, que ça circule.
- Bien, vous avez compris. Ce qui circule vers où, pourquoi, pour quoi faire ne vous concerne pas. Vous n'avez ni le droit, ni le pouvoir d'en décider. Votre devoir est d'examiner les courbes et d'agir en fonction d'une logique et d'une seule, l'accumulation. C'est en chiffres purs que vos services sont évalués.
Principe second : le débat sur les finalités n'est pas admis dans notre communauté. La mesure du compte en banque est la seule issue qui doit mobiliser votre vigilance. L'horizon étant une abstraction fallacieuse, sachez que nos intérêts immédiats sont confondus avec le long terme. Nous devons donc être intraitables, avoir une longueur d'avance et de toute façon le dernier mot.
Cela ne nous empêche pas d'être informés sur les drames de l'humanité, celle qui ne ressortit pas de notre Société.
- C'est tout de même une écrasante majorité, c'est un peu regrettable, non ?
- Pas du tout. Notre Société entretient des liens fort actifs, bref dynamiques avec plusieurs autres. Nos relations vont du local à l'international avec tous les échelons intermédiaires nécessaires. C'est nous qui faisons tourner le monde, ne vous y trompez pas. Nous sommes les grands ordonnateurs de la planète et les premiers présents en cas de catastrophe. Pourquoi croyez vous que nous organisons des levées de fonds ? Pour remettre en route les flux. Que ça circule. Pour les morts, on ne peut rien, mais pour les vivants tout est à reconstruire. Croyez-moi, s'il est exact que les populations souffrent, les fluidités elles, circulent, les courbes atteignent des apogées.
Bien, quand commencez-vous ?
- Je vais prendre un temps de réflexion.
- Je crains, dans ce cas, que vous ne puissiez prétendre à entrer dans notre Société.
Illustration Daumier
dimanche 17 janvier 2010
Le vent des blogs 43. De la métamorphose.
Yves est écrivain, puisqu'il ne pourrait écrire sans honte « infinie tendresse», « fusiller du regard », ou « éperdument amoureux ». De temps à autre « sommeil pesant », « traverser l'existence », « griffonner à la hâte» lui échappent. Décelant le cliché après publication, il s'en désole. Il place souvent des virgules inutiles, aussi, qu'il extermine ensuite impitoyablement. Il a trop lu pour ne pas savoir qu'écrire bien, c'est écrire mal, comme disait l'autre. Il voudrait que toute phrase lui échappe, le surprenne, que cette surprise ne s'affadisse jamais. Il se relit, s'exaspère de retrouver ses tics d'écriture. Alors, il efface la sonorité séduisante, la tournure élégante, il traque le pléonasme littéraire, détruit le rythme ternaire qui lui vient inconsciemment. Parfois, du premier jet, il ne reste rien, sinon une simple ossature. Giacometti, pour saisir le noyau de la vie, ôtait sans cesse la glaise autour du fil de fer. La langue que triture Yves Janvier est son ennemie, il la sait trop exotique et trop intime. Ses mots tentent de peindre le réel, comme des dallesrecouvrent une cour de terre battue: mais ici, là., l'herbe rebelle s'échappe. Toujours il pourrait raturer, reprendre. Il cherche le miracle, la grâce absolue, et ne la ressent que chez les autres. Il ignore si l'insatisfaction est la preuve de l'artiste. Hervé Le Tellier Assez Parlé d'amour. JC Lattès, p 54.
Un vent des blogs anémique pour cause de tête ailleurs.
Pour ne pas laisser le visiteur sur sa faim j'ai sélectionné quelques blogs qui ont eux-mêmes adopté la compilation.
Harmonia, tiens, qui m'a fait le plaisir d'une visite et de ce fait m'a donné l'envie de lui rendre la politesse. Bien m'en a pris, comme vous le constaterez, c'est un peu étouffe-chrétien, mais on peut consommer par tranches et c'est roboratif.
Je lui emprunte également un de ses commentaires adressé à l'ami Dexter.
"Tenez, je vous livre cela, exergue du bouquin de Michéa "Orwell éducateur".
"Etre humain consiste essentiellement à ne pas rechercher la perfection, à être parfois prêt à commettre des péchés par loyauté, à ne pas pousser l'ascétisme jusqu'au point où il rendrait les relations amicales impossibles, et à accepter finalement d'être vaincu et brisé par la vie, ce qui est le prix inévitable de l'amour que l'on porte à d'autres individus. Sans doute l'alcool, le tabac et le reste sont-ils des choses dont un saint doit se garder, mais la sainteté est elle-même quelque chose dont les êtres humains doivent se garder." Orwell, 1949.
Ca me va assez bien (là c'est moi qui commente). Où ai-je lu quelque chose comme (je cite approximativement) : "ceux qui donnent des leçons sont ceux là même qui les transgressent le plus férocement. ". A rapprocher d'une formule que j'utilise souvent (Christophe Bohren, where are you ?)"les héros sont fatigants".
Les assauts de compassion dégoulinante (ça ne serait pas un cliché par hasard ?) qu'on nous inflige en ce moment entrent parfaitement dans ce tableau. Entendu ce matin que des tennismen ont donné une représentation "très marrante" à Melbourne, ils se sont bien amusés (dixit Roger Federer), le produit de leur prestation ira "naturellement" à la rescousse des Haïtiens, du moins ceux qui ne sont pas partis par tombereaux dans les fosses communes creusées pour absorber tous ces tas de morts.
Mieux vaut sur la question des horreurs subies dans les Caraïbes lire l'ami charbinois, il fait parler les chiffres. C'est éloquent.
Reconnaissons qu'en ces temps sombres un peu d'optimisme ne nuit pas. Edgar Morin propose d'échanger l'appel à la révolution (elle présente l'inconvénient de mettre à bas ce qui précédait et par là-même inaugure les temps nouveaux par un nombre consistant de crimes et d'exactions ternissant d'emblée la lumière des aubes nouvelles), contre un éloge de la métamorphose
L'idée de métamorphose, plus riche que l'idée de révolution, en garde la radicalité transformatrice, mais la lie à la conservation (de la vie, de l'héritage des cultures). (...)
Aujourd'hui, tout est à repenser. Tout est à recommencer.
Tout en fait a recommencé, mais sans qu'on le sache. Nous en sommes au stade de commencements, modestes, invisibles, marginaux, dispersés. Car il existe déjà, sur tous les continents, un bouillonnement créatif, une multitude d'initiatives locales, dans le sens de la régénération économique, ou sociale, ou politique, ou cognitive, ou éducationnelle, ou éthique, ou de la réforme de vie.
Avant de refermer ce billet, vous faire partager un OVNI (objet vidéo non identifié). J'en dois la découverte à Mon Chien grand distributeur de liens dont je fais (ou non ) mon miel,(ainsi vous éviterai-je Mexico, Mexi i cooooo!).
Allez, je vais me replonger dans le livre de Le Tellier qui parle d'amour mais aussi des brontosaures et des taches de Fuchs. Vous voyez qui c'est Le Tellier ? Un des Papous, oulipien de surcroît. Restons exotique.
Photos De la métamorphose des flocons ZL
vendredi 15 janvier 2010
Déracinez avec moi l'arbre de l'esclavage.
Les propos de Toussaint Louverture dans sa déclaration du 29 août 1793 résonne (raisonne ?) terriblement en ces jours de misère superlative endurée par le peuple haïtien. C'est au sujet d'Haïti que j'entendis pour la première fois parler de mères nourrissant leurs enfants de galettes de terre. Je ne connais pas Haïti mais je suis allée en Jamaîque juste après le passage du cyclone Gilbert qui avait dévasté l'île. Cela faisait deux mois que le vent soufflant à quelques 300 km/ heure avait commis ses ravages et les scènes étaient encore apocalyptiques à certains endroits avec notamment des arbres géants qui avaient basculé en éviscérant le sol et en exhibant des racines hautes comme des immeubles. Le cyclone avait tué beaucoup de gens et la plupart des réseaux avaient été endommagés. J'étais arrivée à Kingston en même temps qu'une équipe de malabars dépêchée par les Etats Unis pour remettre en état les infrastructures. Mais le désastre n'avait rien de comparable à celui qui vient de s'abattre sur Haïti. Le cyclone avait traité les cahutes comme fétus de paille mais les immeubles plus solides avaient résisté et le gouvernement avait pu continué à fonctionner et coordonner l'aide internationale.
La situation telle qu'elle apparaît en Haïti est au-delà de l'imaginable. Cette misérable communauté n'a pas connu de répit depuis que les peuples de la Caraïbe ont eu affaire à ce cher Christophe, puis aux Anglais, Français et autres pirates, filous qui y installaient leurs bases de repli, de trafic, y transplantaient des Noirs (le père de Toussaint originaire du Dahomey). Cette maigre population (moins de 10 millions) dont un tiers dit-on vient d'être soit ensevelie, soit blessée, dépossédée, anéantie de douleur, hagarde et affamée, aura subi sans discontinuer les pires régimes de terreur, le pillage, la corruption, la dévastation de ses terres.
Tout cela est bien connu et en même temps ignoré, tenu en lisière des fondamentaux de la pensée internationale.
J'écoutais ce matin Régis Debré faire état des préconisations que la commission qu'il avait présidée avait émises et qui étaient restées, sans surprise, lettre morte. (Haïti et la France, rapport à Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, Editions de La Table ronde, 2004). Gageons que notre Sarkoman après un petit tour de piste rangera aux oubliettes ce territoire minuscule et sans grand intérêt stratégique désormais.
Comment imaginer qu'un pays déjà si indigent puisse se relever d'une telle catastrophe.
On envoie en même temps que l'aide alimentaire des garnisons pour en sécuriser l'acheminement. Il ne s'agit pas de la force onusienne, mais encore une fois de troupes américaines qui décidément sont à ce point pléthoriques qu'elles se trouvent toujours les premières sur tous les fronts (en même temps ou juste à la suite des caméras de télévision).
Pourtant les Yankees ne sont pas particulièrement chers au coeur des Haïtiens qu'ils ont tenu sous le joug d'une occupation directe de 1915 à 1934. Est-ce bien raisonnable ?
Non, on peut craindre, une fois encore, qu'à la suite du tremblement de terre, ce ne soit pas la félicité qui s'installe en Haïti.
On est vraiment mort quand il n'y a personne pour se rappeler notre nom sur cette terre. Dany Lafferrière.
Illustration Forteresse de la paix, par Préfète Duffaut (1977). Collection de Michel Monnin (Galerie Monnin).
mardi 12 janvier 2010
The sound of silence
I can't give you anything but love
Comme on ne peut rien faire dans les commentaires sur blogger, je reprend le lien d'Henri Zerdoun , son chemin de silence
dimanche 10 janvier 2010
Le vent des blogs 42. Bonne année les clowns !
L'interpellation du titre ne vous est pas adressée, chers visiteurs, elle est utilisée par Hervé Kempf qui s'adresse ainsi à une panoplie d'incompétents (selon lui, je vous laisse juges) dans un article paru dans Le Monde du 3-4 janvier 2010, que j'ai trouvé ici. Je l'ai lu à la suite de celui de Simon Charbonneau (fils de Bernard) sur l'hérésie de la LGV. Certes, il est agréable de joindre Paris en quelques heures à partir de Bordeaux ou de Montpellier, mais cet exploit se fait au détriment du développement des lignes secondaires (j'en sais quelque chose, à une demi-heure en train de Toulouse mais quand il y en a ...). Nos voisins européens ont plutôt opté pour la densification de leurs réseaux secondaires et l'établissement de connections bien articulées.
Tant qu’ à vouloir gagner du temps, les transports de proximité devraient être considérés comme prioritaires (TER, Tram etc…), car s’il y a du temps perdu, c’est bien dans les embouteillages. Mais le TGV transporte des cadres pressés alors que les TER sont utilisés par le petit peuple, alors, il faut savoir sérier les importances : faire gagner une heure sur 500 km à quelques uns et tant pis pour les ruraux enclavés dans leurs campagnes miteuses (et mitées).
Un brin de légèreté ne nuit pas. Merci à Lavande, pour la serie Mousses et Bulles . La croisière des physiciens s'amuse : au programme, bulles de savon géantes, effets d'optique, (quelques liens ne fonctionnent pas d'emblée, voir les recommandations de Lavande dans les commentaires).
Une vidéo de Ferré. Misogyne ? (les femmes sont merveilleuses mais sont des emmerdeuses, leur génie est dans leurs ovaires). Ca ne m'empèche pas d'être une grande admiratrice de l'artiste.
En contrepoint un texte de Nancy Huston, glané chez Tania en complément de son commentaire sur un opus dont je cite ici l'extrait choisi par l'amie belge.
« On me demande régulièrement : « Comme ça, vous êtes aussi à l’aise en anglais qu’en français ? » - et on croit à une boutade quand je réponds : « Non, aussi mal à l’aise. » Mais ce n’est pas une boutade. Si on est à l’aise, on n’écrit pas : un minimum de friction, d’angoisse, de malheur, un grain de sable quelconque, qui crisse, grince, coince, est indispensable à la mise en marche de la machine littéraire. »
Nancy Huston, Le déclin de l’ « identité » ? (Ames et corps) .
Le texte de Nancy Huston intitulé par provocation "on ne naît pas homme"est un renversement de perspective : les sociétés de tout temps s’acharnent à fabriquer justement des hommes - en contraignant les garçons, par la violence, les menaces et l’humiliation, à se différencier des filles. C’est tellement énorme qu’on ne le voit même pas. Elle a développé plus amplement ce point de vue dans son livre "Professeurs de désespoir".
Mais oui Léo, les femmes sont des emmerdantes, mais oui Jacques, des emmerdeuses mais oui Georges des emmerderesses. Ah quel trio !
En plus désormais, elles se mêlent de bloguer. Les blogs ont fait polémique d'ailleurs ces derniers temps, Rimbus le blog en a réalisé une petite compilation.
Pour finir en beauté, je ne sais plus qui avait mis le lien en ligne (les réclamations sont ouvertes dans les commentaires), j'aime beaucoup Tinguely et son cyclop.
En revanche c'est JEA qui m'a fait découvrir d'une part certains aspects de la vie d'Albert Londres et Mozart l'Egyptien.
Et puis, dernière minute, pendant que je rédigeais ce billet, la nouvelle est tombée comme on dit:
Mano Solo vient de mourir. Il taille sa route, il est parti rejoindre le soleil,
Photo ZL 10/ 01 /10, 16H 10.
Envoyé par mail, par un ami, le poème de Henri Michaux Clown
vendredi 8 janvier 2010
De fruits et de graines ?
Il n’est pas surprenant que tuer des êtres vivants pour s’en nourrir pose aux humains, qu’ils en soient conscients ou non, un problème philosophique que toutes les sociétés ont tenté de résoudre. L’Ancien Testament en fait une conséquence indirecte de la chute. Dans le jardin d’Éden, Adam et Ève se nourrissaient de fruits et de graines (Genèse I, 29). C’est seulement à partir de Noé que l’homme devint carnivore (IX, 3). Il est significatif que cette rupture entre le genre humain et les autres animaux précède immédiatement l’histoire de la tour de Babel, c’est-à-dire la séparation des hommes les uns des autres, comme si celle-ci était la conséquence ou un cas particulier de celle-là.
Hasard de la blogosphère, Bonne Nouvelle cite Lévi-Strauss, à partir d'un article qu'il a fait paraître en 1996 dans le journal La Repubblica.
J'ai choisi un autre extrait, mais vous invite à lire la totalité de la réflexion suscitée par l'épisode de la vache folle et d'une parfaite actualité, 14 ans plus tard.
Il me revient en mémoire ce documentaire "Au nom du progrès" (François Partant, un des grands contempteurs de la folie du développement productiviste). On y visite (entre autres) les usines à bestiaux aux Etats Unis. Un taureau énorme élevé en stabulation auquel on a placé un anneau dans le mufle est "promené" grâce à un rail qui guide la chaine au bout de laquelle l'animal quasi impotent et morne prend de l'exercice. J'ai rarement vu spectacle plus navrant. Pour l'animal et pour toute la chaine de pseudo intelligence qui a abouti à une telle stupidité.
Oui, en ce début d'année, je ne suis pas d'une folle gaité. Ca va revenir, pas d'inquiétude.
L'arbre de la connaissance Lucas Cranach, (1515-1586)
mercredi 6 janvier 2010
Plaidoyer pour un Nouveau Monde
"A Vienne, dans le trésor de Habsbourg, il y a quelques objets rapportés du Mexique par Cortès qui sont d'une beauté prodigieuse qui avait tant frappé Albert Dürer. Je me suis souvent demandé ce qui se serait passé si, au lieu de ce comportement destructeur, une sorte d'alliance s'était créée entre les seigneurs d'Espagne et les seigneurs du Mexique et du Pérou. Nous serions dans un monde qui n'aurait aucun rapport avec celui dans lequel nous vivons aujourd'hui"
Claude Lévi-Strauss, Plaidoyer pour le Nouveau Monde, Lévi-Strauss par Lévi-Strauss, Le Nouvel Observateur. Hors série, Novembre Décembre 2009.
A rapprocher d'une visite au musée des Nations Premières, à Regina, Saskatchewan, Canada, notée dans un de mes zinédits.
En compulsant les plans et diverses incitations raflées à l'hôtel nous sommes tombées d'accord pour le Musée des Nations Premières, le premier au Canada consacré à l'illustration de la culture indienne.
A l'entrée un panneau consacrait les efforts de tous les contributeurs qui avaient permis que la grandeur du peuple indien puisse s'exprimer en toute liberté entre ces murs. Les instances indiennes avaient elles-mêmes contrôlé la mise en scène de la représentation. Le contraste entre les alvéoles bétonnées, savamment mises en lumière et les scènes de la vie quotidienne qui les habitaient, accentuait l'archaïsme de gestes figés dans la cire. Un couple traversait le temps et tandis que ses vêtements se chargeaient de fourrure, le dialogue basculait. La femme et l'homme parlaient de leur subsistance. Il y avait la vie «d’avant » et celle «d’après ». La vie dans les plaines riantes et fertiles, celle dans les forêts, puis les réserves bidonvilles. Quand l'Indien se changeait en trappeur, on apprenait que la vie devenait dure, parce que le commerce de peaux faiblissait et qu'il fallait brader les fourrures à des prix pitoyables imposés par les blancs soucieux de leurs marges bénéficiaires. Puis ils glissaient vers les habitats précaires des faubourgs ou dans des réserves et chaque fois, l'homme et la femme se lamentaient : des dégâts de la dissociation entre l'être et sa spiritualité, de la souffrance du mépris infligé, du déclin inéluctable de l’espoir.
Le monde doit-il se partager en vainqueurs triomphants et vaincus humiliés. Et quelle est la vraie nature de la victoire ? La partie est-elle toujours remise ? Y a t - il moyen de ne pas jouer, de lâcher l'éponge, sans qu'on vienne vous tirer de force au milieu du ring ?
Le musée est une tombe, somptueuse certes, mais il conserve, il momifie ce que le désordre du monde engloutirait sinon pour le remplacer en formes nouvelles. Et paradoxalement en arrêtant la vie, il donne l'éternité.
Ces scènes pétrifiées et ce dialogue feutré - l'homme et la femme étaient à dessein employés à une conversation confidentielle, sur leurs gros soucis d'intendance- cette peinture à la Millet de la vie des humbles nous mettait mal à l'aise, nous nous sentions les complices de l'assassin dont nous serions en train de veiller la victime.
Heureusement la vidéo nous a tirées de la morosité qui commençait à nous vider les jambes. Il s'agissait d'un répertoire filmé des danses pratiquées dans les Pow Wow. C'était un excellent contrepoison de regarder évoluer dans le petit carré de magnifiques athlètes aux prises avec une géométrie complexe que leur corps épousait en flamboiement de plumes de couleur. Les jeunes filles accomplissaient des spirales explosant ou s'invaginant autour du tourbillonnement de leur corps. Leurs vêtements ourlés de clochettes s’accordaient dans la sinuosité de leurs gestes aux tambours et aux chants des hommes. En partant, nous avons toutes deux acheté un plaid de coton tissé de savants motifs et de subtiles harmonies. Comment un peuple qui maîtrisait les arts majeurs a t-il pu être délibérément considéré comme non humain ! La géométrie, le chromatisme, sans compter la science des plantes, autant d'évidences qui interdisaient toute hésitation et pourtant il y eut Valladolid. En dépit des descriptions admiratives des Cortés et autres envoyés spéciaux, l’Espagne ne pouvait justifier ses meurtres qu’en niant à ces hommes, que le crucifix n’impressionnait pas, les droits élémentaires prêchés par le Seigneur. Ils ignoraient Jésus Christ, bon prétexte pour les avilir et les spolier. Pourtant au Nord comme au Sud, leur art s’est transmis de génération en génération en dépit du dénuement où ils se sont retrouvés. Mais voilà, parce que les Indiens avaient opté pour une philosophie de l’Etre et non de l’Avoir, il leur manquait la marque essentielle de l'humain, l'avidité.