La Chevalière a posté, à l'occasion de cette foutue rentrée généralement bourrée de marronniers, un petit billet, d'un humour dont elle a le secret, sur les affres subies au cours de nos scolarités.
Je complète son tableau en évoquant celles dues en particulier à l'obsession quasi militaire de réduire la singularité des élèves (qui sont aussi des enfants mais ils doivent l'oublier en franchissant le seuil sacré de l'enceinte scolaire ) au profit de l'élève modèle dont on peut résumer le profil de la façon qui suit:
- a dormi aux heures raisonnables la veille pour être frais et dispos en cours et ce après avoir accompli ses devoirs nombreux et variés, généreusement distribués (mais dans l'anarchie totale) par ses maîtres, de façon à en fournir la preuve indéfectible si nécessaire (en fait si le prof en exprime le désir).
- dispose de tout son équipement auquel il ne manque ni gomme ni rapporteur, ni les quatre couleurs, ni le cahier à spirales, ni le classeur à feuilles multicolores, ni les livres (soit cinq ou six à la fois selon les jours) en évitant de bêtement se déformer la colonne vertébrale au prétexte que c'est lourd à porter,
- écoute avec une attention soutenue et sans faille tout ce que le maître formule (même quand il ronchonne, fulmine, éructe, bredouille, marmonne, bégaie, s'engoue, tousse etc.),
- évite par conséquent de se laisser aller à quelque rêvasserie et reste con-cen-tré,
- répond quand on l'interroge, se tait le reste du temps, soit le plus souvent possible,
- n'abuse pas du défoulement récréatif pour grimper aux rideaux ou assommer ses congénères,
- porte des tenues aussi neutres que possible pour ne pas se faire excessivement remarquer,
- veille cependant à ne pas trop dévier des modes locales pour ne pas déclencher quolibets et autres avanies, obligeant ses maîtres à un exercice de régulation éprouvant,
- sait à la fois être un bon camarade secourable, attentionné et dénoncer ceux qui commettraient des exactions (facéties outrageantes à l'égard du maître en particulier),
- abandonne à l'entrée de l'école sa défroque de gamin éventuellement en proie à des trucs pas très reposants (rock and roll musclé entre père et mère, faillite et ronde des huissiers, traque des zélateurs de l'appartenance à la mère patrie etc.).
Les premiers sont bien tolérés par l'institution. Certes" ils ne font pas des étincelles" mais ils foutent une paix royale aux gardiens du troupeau, qui les oublient avec reconnaissance.
Les seconds en revanche sont les moutons noirs. "Ils ne savent pas quoi faire pour se rendre intéressants". En fait, ils savent si bien faire qu'ils le font. S'ils savent conjuguer résultats scolaires et indiscipline, ils auront quelque chance de s'en tirer (avec cependant "les sanctions qui s'imposent"). Mais les notes faibles combinées à la révolte c'est l'hallali assurée. L'institution finira par recracher ce mauvais morceau : inapte ! Seule ressource : la création, l'invention d'un chemin hors des sentiers battus. Souvent une rencontre (physique ou virtuelle) peut permettre la reconversion d'un cancre en magnifique. Mais hélas, qu'il est long, le chemin et pour être honnête, il faut ajouter qu' on ne se remet jamais tout à fait des humiliations infligées à l'enfance. Pensez-y pédagogues! Et n'oubliez pas que le sens littéral de pédagogie est "le voyage des enfants" (pas l'encasernement).
*Titre emprunté à Miguel Benassayag Résister, c'est créer, en collaboration avec Florence Aubenas (2002), La Découverte.
Voir aussi Désobéir c'est vivre et chez Nomade, et le mouton noir soi-même
Découvert aujourd'hui (vendredi un débat sur le sujet dans le nouvel obs. Edifiant.
Et un petit rappel de la Môme
Après commentaire de Dexter (29/08) un lien tutafée ad hoc
Photo Mouton noir sur l'ile des Orcades