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mercredi 13 mai 2020

To touch or not to touch

Nous déconfinons et sur les radios on interroge : la "distance sociale" ça vous fait quoi ? Chacun de se récrier, il va respecter mais quand même c'est bien embêtant de ne pas pouvoir se toucher. On aime ça quoi ! Quid de la poignée de mains, de la bise et autres façons de s'accueillir, de faire entrer dans notre petite aire de respiration l'autre, éventuellement porteur de mort.
J'ai pensé avec d'autres que me voilà débarrassée de cette bise obligatoire même quand on ne connaît pas la personne,  mais comme il  se trouve au milieu de ceux qu'on embrasse familièrement, d'autres qu'on ne connaît pas, refuser de leur tendre la joue correspond à un affront. On sait que ces rituels d'accueil sont totalement culturels, qu'ils varient d'un pays à l'autre et d'un continent à l'autre. L’anglo-saxon est réputé plus volontiers distant que le Latin et en France selon qu'on est originaire de telle ou telle région, le nombre de bises varie d'où quelques embarras comiques qui valent quelques frottements de museaux inopinés.
Que va changer cet épisode à ces mœurs légères auxquelles on ne réfléchit pas dans le courant de la vie ordinaire  et qui soudain font obstacle. Il va falloir réfréner mais pas s'en tenir là et commenter  le fait qu'on ne le fait pas mais "que le cœur y est", compenser des gestes par des mots sans le secours même du sourire enfoui sous nos masques obligatoires.
Nous pourrions nous inspirer des Asiatiques, par exemple des Népalais qui saluent en joignant les mains sur leur poitrine, se penchent en avant avec déférence et prononcent  "Namasté", qui signifie "puissent nos esprits se rencontrer".


Ou porter notre main droite vers notre coeur en l'absence de la poignée de main qui va avec.
Remplacer le "bonjour" par "que la paix soit avec toi". N'avons nous pas pris l'habitude de conclure nos mails par "prenez soin de vous", ce qui ne nous serait pas venu à l'esprit avant que cela prenne le sens que la pandémie lui a donné. Il va être amusant de répertorier les substituts inventés pour se toucher à distance. Il serait bien dommage que cette période induise une ère de glaciation dans les relations humaines. Chacun chez soi et les virus seront bien gardés.

Ecoutant les commentaires de passants interrogés dans les rues déplorer que les gestes d'amour se trouvent figés en attendant le dégel des mesures actuellement assez férocement répressives, j'ai repensé à une scène qui m'avait profondément émue en Afrique. Nous visitions une forêt primaire sur les bords du lac Tanganika, en compagnie d'un ingénieur dépêché sur place pour en inventorier la faune et la flore. Nous sommes tombés par hasard au milieu d'une cérémonie paysanne d'un minuscule village en lisière. Après avoir parlementé pour nous faire admettre, notre ingénieur nous a introduit dans le rituel qui s'opérait sous nos yeux. Il s'agissait d'un groupe de jeunes gens qui dansaient une sorte de parade amoureuse sans se toucher. Ils ondulaient au rythme des tambours, s'éloignaient puis se rapprochaient et lorsqu'ils étaient au plus près, leurs têtes venaient au plus proche puis se retiraient avec un mouvement serpentin de leurs cous d'une très grande sensualité. C'était d'autant plus étonnant que le rythme était très rapide et que ce chassé croisé exigeait une belle maîtrise.
J'ai pensé que nous allions peut-être revenir vers une chasteté justifiée par le risque de la maladie mais qui permettrait de redonner au désir toute sa puissance après une période de gabegie consommatrice.
Ces gestes que nous faisions machinalement vont sans doute reprendre leur poids de gravité et leur rareté leur donner l'intensité qu'ils ont perdue.
Envie d'être optimiste aujourd'hui.