Affichage des articles dont le libellé est Lydie Salvayre. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Lydie Salvayre. Afficher tous les articles

samedi 6 avril 2024

Voler au dessus des choses

 
 « La légèreté n’est pas la superficialité, elle permet de voler au-dessus des choses sans avoir de poids sur le cœur ». Italo Calvino

 Depuis toujours nous aimons les dimanches - 1

Vous qui me suivez savez que je ne rate jamais la sortie d'un livre de Lydie Salvayre. Que dire, sinon qu'avec son humour et sa férocité elle dézingue le système organisé par ceux qui vantent les vertus du travail, qu'elle appelle "les apologistes du travail des autres". Elle y oppose avec tendresse et drolerie tout le plaisir que nous procure le "faire niente". Nous aimons vaquer dans la maison, en chaussons éventrés et pyjama informe. et ce total insouci du paraître nous est à lui seul, une délectation.  
Elle nous livre un éloge de la paresse non sans citer les précurseurs dont une certain Horace "Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain".  Car la paresse n'est pas mollasserie poisseuse (et toute une litanie de synonymes dont elle a le secret) mais un art subtil, discret et bienfaisant, ni plus ni moins qu'une philosophie. "En ce monde furieux et plein de turbulences le recours à sa grâce nous est une bonté".
Elle fustige ces "apologistes du travail des autres" qui commencent à s'inquiéter, constatant que la fameuse "valeur travail " a du plomb dans l'aile et que perdre sa vie à la gagner (c'est moi qui cite Vaneigem) enchante de moins en moins. Tout le livre est une défense de ce droit à la paresse qui offre à chacun le loisir de penser et de se livrer aux activités qui lui tiennent à coeur. Citant abondamment écrivains et poètes elle apostrophe les apologistes avec cette verve dont elle est coutumière en y ajoutant une défense du rire. Une illustration parmi les nombreuses dont elle orne son propos. "Savez-vous messieurs que le paresseux, alias Bradypus tridactylus linnaeus est le seul animal au monde qui sourit tant sa vie est un enchantement".
Ce livre est lui-même un enchantement et devrait être mis en priorité entre les mains des plus jeunes pour qu'ils se sentent libres de ne pas se soumettre aux impératifs de consommation qui sont le début de l'esclavage et qu'ils cherchent à trouver une activité qui les exonère du tripalium.   
 



Le printemps est enfin là. Je découvre avec bonheur le jardin qui était totalement grillé quand il est devenu le mien. En particulier deux somptueuses pivoines arbustives. Mais ça bourgeonne à tout va et s'est ajouté un pommier, un pêcher, deux kiwis, des framboisiers et beaucoup d'autres plans qui prendront quelque temps avant de s'épanouir pleinement et de remplacer certains arbustes souffreteux. 
 
Vu ce film qui a sucité 5 millions d'entrées en Italie et on comprend pourquoi. Le sujet : le sort des femmes au sortir de la guerre, le machisme et la violence des hommes et l'accession des femmes à la citoyenneté. Noir et blanc semblable à celui du cinéma néoréaliste
 
 Il reste encore demain - photo

 Avec son premier long métrage C'é ancora domani, de son titre original, l’actrice et réalisatrice Paola Cortellesi a fait mouche en octobre dernier (...). Une gifle. Autant au sens figuré qu’au sens propre. Car c’est par une énorme baffe que s’ouvre le film : celle que se prend Délia, chaque jour au réveil, par son mari autoritaire et violent, avant de vaquer à ses occupations de mère de famille (elle n'est plus que ça aux yeux du monde) dans l’Italie d’après-guerre. Un geste qui donne d’emblée le ton du récit : dénoncer les violences conjugales par l’absurde, ridiculiser la brutalité pour n’en garder que l’emprise, jusqu’à transformer une scène d’agression en tango à deux.(Première)

Il reste encore demain est un film à recommander aux jeunes femmes pour une lecture avertie de ce qui les guette éventuellement quand le prince charmant devient le vilain mari. On a envie de leur chanter la chanson écrite par Boris Vian et chantée par Michelle Arnaud "Vous mariez pas les filles"

 


Lui, c'est Benjamin Tholozan, un comédien extraordinaire qui conte dans une épopée familiale et historique les affres de l'obligation de perdre son accent occitan et parler pointu (le titre du spectacle) pour pouvoir entrer dans le cercle des comédiens de theâtre. Il nous fait vivre la croisade des Albigeois, l'invention de la grammaire française, l'imposition de la langue française au détriment de toutes les autres parlées dans l'hexagone -et dans les terres colonisées-. Tout cela sur un mode truculent et en empruntant plusieurs accents y compris le quebecois. Un régal d'humour pour un propos pédagogique tout compte fait . 
Et encore la promesse de l'aube  adaptation du livre de Romain Gary. J'y suis allée un peu inquiète, j'ai tellement aimé ce livre que je craignais d'être déçue. En fait l'acteur, Frank Desmedt  incarne tous les protagonistes de cette autobiographie  et en restitue l'humour et le tragique avec justesse. Romain Gary est totalement respecté et pour qui a lu le livre, il y a un vrai boheur à retrouver la mère adulatrice de son ffils et le fils désespérément fidèle à ses attentes.

C'est une chance de pouvoir aller au théâtre sans pour autant aller à la ville. Je m'en réjouis chaque fois.
 
Il y a eu aussi le nouveau spectacle de ma fillote, mais j'en parlerai une autre fois plus en profondeur. Dire seulement qu'il est malin et drôle, tout en proposant une réflexion sur les stéréotypes, les préjugés. Mais tout est dit ici
 

mardi 9 novembre 2021

Pas de liberté sans courage

Il m'est décidément difficile de tenir le rythme que je m'étais proposé d'un billet par semaine.
Alors, n'en parlons plus. Je viendrai sous l'arbre aussi peu souvent que cela se présentera, évoquer ce qu'il me viendra en tête sans souci de chronologie. J'aimais beaucoup la rubrique que tenait la Feuille charbinoise le bric à blog qui a disparu elle aussi semble-t-il, le dernier numéro date de 2017. Ici ce sera le bric à brac, un mélange plus ou moins bien concoté.

Les derniers mois se sont faits sous le signe des anniversaires. 

Le mien fin août en réunissait plusieurs, outre le mien, celui  de l'amie Malika et celui de l'engagement collectif du groupe qui a fondé un habitat participatif "Les amarres" où s'organise la construction d'une dizaine de maisons écologiques autour d'une maison  commune préalablement retapée qui accueille les réunions, comporte une cuisine collective, des chambres pour gens de passage et des ateliers de diverse nature.

Quelques uns de ceux qui se sont lançés dans l'aventure des "Amarres"

Anne et Thomas nous ont honorées d'un joli récital
   

En septembre nous avons fêté les dix ans du RIPESS, ce réseau qui m'occupe principalement. Dix ans et un bilan plutôt positif et en tout cas une joyeuse assemblée de quelques activistes qui s'échinent à faire advenir un monde moins désespérant.

Il y a là des ressortissants d'une bonne quinzaine de pays. 

Autre anniversaire et cette fois très émouvant pour moi, les 20 ans du Master dans lequel j'ai enseigné. L'occasion de revoir les étudiants et d'apprendre qu'ils se sont orientés sur telle ou telle piste, qu'ils ont eu des enfants -ou non- et en l'occurence qu'ils souhaitent relancer l'association des anciens étudiants. J'ai passé une journée délicieuse sur le campus qui a tellement changé puisque l'université a été totalement rebatie.

Toutes les promotions n'étaient pas représentées mais il y avait néanmoins une fameuse bande 



Autre anniversaire, celui d'une Christine qui chante et vit très chichement de son talent. La fête a rassemblé les amis que j'ai rencontrés  grâce à une amie retrouvée en arrivant dans le village, heureux hasard.  

Une des raisons qui m'a éloignée de ce blog, c'est bien-sûr ma translation dans un nouveau lieu (deux déménagements en trois mois c'est un peu absurde) et le temps consacré à réinvestir un nouvel espace.

C'est à peu près stabilisé maintenant bien que sans cesse remanié parce que tableaux et objets doivent se trouver un  nouvel équilibre dans une configuration très différente même si certaines constantes demeurent.

Mon nouveau spot se situe à égale distance de trois villes dont une, Gaillac, présente l'avantage entre autres d'un cinéma dont les films correspondent à mes attentes et une librairie où je trouve tous les livres que je cherche. Je jouis donc d'une campagne paisible à 10mn de toutes les commodités. Autre bonheur, une cheffe de choeur fameuse vient d'ouvrir un nouvel atelier à Rabastens, à 10mn également. J'ai donc retrouvé le bonheur de chanter. Mon village actuel possède une gare qui me permet de me rendre à Toulouse sans prendre la voiture, ce qui était une des raisons de mon choix.

Mes amis sont venus me rendre visite et nous sommes allés visiter les bastides de Castelnau de Montmirail et de Puycelsi, très jolis villages perchés dans le nord ouest du Tarn.

Je m'aperçois que mon texte prend le tour d'une  rubrique "feelgood". Pas envie sans doute de rendre compte des moments plus difficiles. Et pourtant! Je suis allée à Royan pour récupérer quelques objets dans la maison familiale. Elle est vendue, je n'irai plus. C'est l'année des grandes séparations...

Heureusement, ma soeur habite juste à côté, je pourrai toujours aller m'emplir les poumons d'iode. J'ai fait une ballade le long de la côte en découvrant le plaisir du vélo électrique prêté par ma soeur (le plaisir sans la souffrance). Je vais m'en procurer un et laisser ainsi plus souvent ma voiture à l'arrêt.

Une des villas de la côte que les bombardements ont laissée intacte


      Pendant que je rédige ce post, j'écoute Love song Melody Gardot et Ibrahim Maalouf .

J'ai lu durant ces quelques mois notamment "Rêver debout". 

 

Voici un extrait de la quatrième de couverture :" Convoquant ainsi l'auteur  de toute une époque pour mieux parler de la nôtre, l'autrice de Pas pleurer brosse le portrait de l'homme révolté par excellence, animé par le désir farouche d'agrandir une réalité étroite et inique aux dimensions de son rêve de justice".

 J'ajoute la dernière partie de l'ouvrage "Don Quichotte est notre frère. Notre frère rêveur en un monde brutal, notre frère insurgé en un monde avachi, notre frère indocile, rageur, intempestif, tumultueux, incandescent et qui dit non (un non désespéré parfois), qui dit non à l'insupportable injustice, comme à l'indifférence blasée ou au consentement mou à ce qui pourrait un jour nous mener cap au pire. (...) c'est grâce aux brèches ouvertes par le Quichotte et les allumés de son espèce dans les murs qui nous cernent, que notre monde reste encore vivable et encore désirable. Monsieur de Cervantes, merci

Et merci Lydie Salvayre de nous le rappeler "pas de liberté sans courage"

vendredi 14 août 2015

Des vivants et des morts

Qu'on se rassure, si ce blog semble dans le coma, ce n'est pas pour cause de maladie ou de disparition par enlèvement de sa rédactrice mais parce qu'elle n'a eu ni le temps -ni le goût sans doute- de s'y consacrer.
D'ailleurs si je consulte la liste des blogs que je suivais régulièrement je constate qu'à part quelques héroïques et vaillants résistants, beaucoup de ceux qui publiaient journellement se sont calés sur une vitesse de croisière qui frôle l'immobilisme voire sont en cale sèche.
Au nombre des multiples raisons qui m'ont tenue éloignée de mon écran (visite d'amis, présence des jeunes acteurs de la troupe de ma fille qui ont fait résidence à la maison) la dernière en date est mon rituel passage (écourté) à Lagrasse pour le Banquet du livre.
Le thème de cette année "ce qui nous est étranger" réunissait une belle affiche dont Lydie Salvayre et Olivier Rolin qui me sont chers comme le savent ceux qui fréquentent l"arbre.
Lydie venait présenter Pas pleurer (j'en avais parlé à sa sortie  ici avant qu'il n'obtienne le Goncourt), Olivier Le météorologue. Je me permets la familiarité du prénom parce que je connais un peu Lydie sur un mode amical et que Rolin m'est comme un frère, je ne sais pourquoi.
Lydie a perdu sa chevelure flamboyante (chimio) et m'est apparue avec une sorte de duvet d'argent au-dessus de son bel ovale, je l'ai trouvée magnifiée. Nous n'avons pas eu beaucoup de temps d'échange, elle devait repartir (contretemps imprévu lié aux soins qu'elle continue de recevoir) et était bien-sûr accaparée par tous ceux et celles qui l'admirent et sollicitaient un autographe. Il n’empêche, "je me croyais inoxydable, m'a-t-elle dit et j'ai bien dû admettre que ce n'est pas le cas. Humilité radicale. Sa conférence était orientée sur les vertus du ressourcement de la langue par les parlers populaires et les fantaisies qu'y introduisent les collisions entre les langues comme c'est le cas pour le fragnol, terme qu'elle utilise pour désigner le langage de sa mère acclimatant des termes espagnols au sein d'un continuum francophone. Hélas, le langage aseptisé des médias a éradiqué cet humus naturel. La langue s’ankylose.
Une personne délicieuse m'ont dit les amis qui la découvraient.
Quant à Rolin il nous a fait partager une réflexion "crépusculaire" (dixit) sur la disparition programmée de la littérature, le vocabulaire se désertifiant au profit d'une sorte de globish. Il vient de faire paraître une somme imposante Circus I et II  qui rassemble ses écrits de 1980 à aujourd'hui. Il a un regard critique sur son entreprise d'auteur et bizarrement s'est étonné qu'on méprise les prix (était-ce parce que Lydie était présente?) alors qu'on le sait, il a professé à une époque l'abolition du système de façon radicale. Dans son dernier roman, la biographie d'un homme "ordinaire" broyé par le système stalinien, il soulève la question qui n'aura jamais de réponse : que serait devenue la belle utopie communiste si un tyran ne l'avait ensanglantée de ses crimes. Après Staline, l'avenir radieux s'est définitivement assombri et le Grand Capital règne en maître absolu, chosifiant les êtres aussi bien que toutes choses et reléguant bientôt la littérature au rang des lettres mortes. Oui, il n'était pas gai l'ami Rolin et les quelques mots que j'ai échangés avec lui m'ont semblé ceux d'un homme dépressif. Vieillir n'est pas facile décidément.
Pour le dérider, je lui ai conseillé d'écouter La Tordue, la vie c'est dingue . Un petit enfant scande d'une voix fluette chaque couplet d'un refrain "le plus important c'est d'être pas mort". Hé oui, pas mieux.
Hélas, Sólveig Anspach (Queen of Montreuil, Lulu femme nue) s'est fait manger par le crabe  mais Jean Rochefort lui est bien vivant. *
Tiens bon Jean, le plus important c'est d'être pas mort.
Et c'est valable pour ce blog...
On aura remarqué que pas une photo n'illustre mes propos. Afin de vous permettre tout de même de respirer un peu, en voici une, prise au bord d'une rivière, lors d'un pique-nique improvisé, sur la route qui me conduisait vers les Cévennes pour fêter les 75 ans d'un ami, en pleine forme. Que les Dieux des forêts le protègent.

* puisqu'on parle de langue, de littérature et de Jean Rochefort, je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager Madame Bovary"résumé" par JR en "boloss  

mercredi 19 novembre 2014

Carnet de bord elliptique

Image insolite. Une exposition temporaire de photographie au jardin d'Albert Kahn où je suis passée dernièrement. Vous l'aurez compris, il s'agit d'un hommage aux jeunes gens ratiboisés au cours de la grande boucherie dont on a tant parlé à l'occasion du centenaire de son avènement. Ces visages plantés comme autant de stèles d'un cimetière en Normandie sur les lieux de la Seconde, encore plus folle et dérisoire. Enfin, vous savez tout ça.

Très heureuse que Lydie Salvayre ait obtenu le prix Goncourt. Il m'a semblé qu'elle le contemplait comme une poule un couteau (chère Lydie !) mais qu'elle en est heureuse "le désir de tout écrivain est d'être à la fois exigeant et populaire".

Tellement désolée par la mort d'un jeune homme pour rien, victime de la militarisation de nos gardiens de l'ordre (et non de la paix, comme jadis) et qui du coup déclenche une énorme vague d'indignation.

Fatiguée par l'actualité et ses tombereaux d'ignominie : lapidations, décapitations, turpitudes et détournements de fonds, y compris de façon légale.

Toujours aussi peu disponible. En partance dans quelques jours vers Zaragossa.

A bientôt 

lundi 8 septembre 2014

Montserrat Monclus Arjona, dite Montse.


Je lisais le dernier livre de  Lydie Salvayre quand j'ai eu l'occasion de visiter les lieux de la Retirada dont j'ai fait un billet précédent. C'était pure coïncidence mais cette visite a donné au livre une résonance d'autant plus intense.

Je ne résumerai pas le livre, très bel hommage à sa mère, Lydie Salvayre le fait beaucoup mieux que je ne saurais le faire.
Plutôt dire l'émotion qui court et couve dans ce livre.  Celle que Lydie éprouve à la lecture du livre de
Bernanos, un écrivain pourtant aux antipodes de ses propres convictions (et des miennes donc) qui entre dans la guerre civile espagnole du côté de Franco mais constate avec une horreur croissante les exactions commises par les Nationaux dans l’ile de Majorque.
 Assassinats, tortures, terreur, les hommes qui se pensent justiciers sont les plus dangereux et la guerre est l'occasion pour les plus barbares de donner toute la mesure de leur folie. Et ce qui est plus encore insupportable pour l'écrivain, fervent chrétien, c'est l'attitude complaisante voire activement complice des sommités ecclésiastiques. "Aucune imposture aux yeux de Bernanos n'égalait celle-ci. Il serait accusé, pour l'avoir écrit de faire le jeu des communistes contre les nationaux que ses anciens amis soutenaient".

<i>Les Grands Cimetières sous la lune</i>, le roman de Georges Bernanos (1888-1948), a inspiré Lydie Salvayre pour écrire son nouveau livre.

Le témoignage de Bernanos est tissé en alternance avec celui de Montse, la mère de Lydie, âgée de 15 ans en 1936 et qui à 90 ans, a tout oublié de sa vie sauf la parenthèse enchantée de l'insurrection libertaire qu'elle découvre aux côtés de son frère en allant à la ville, petite paysanne émerveillée de la liberté qui règne alors à Lérida comme dans certains villages et villes d'Espagne. LS restitue la langue inventée par Montse, ce Fragnol  concocté en arrivant en France en 39 après une longue marche qui clôture le livre et m'a bouleversée. Le plaisir de lecture doit beaucoup aux trouvailles de Montse que sa fille reprend sans cesse (vieille habitude du temps de la honte de ce langage peu orthodoxe et qu'elle réhabilite désormais).
Je vous laisse découvrir la vie romanesque de Montse, la figure solaire et tragique de son frère ardent libertaire violemment opposé à Diego, le communiste rationnel qui va devenir l'époux par défaut de Montse puisque l'amour fou rencontré en une nuit extraordinaire disparait à jamais. Parmi les Républicains, les libertaires, les Anarchistes vont être plus sûrement éliminés par les Rouges que par l'ennemi commun. Un scénario fraticide que l'histoire aura répété ad nauséam.
Lydie Salvayre souligne que Bernanos écrit pour le futur, ses mots résonnent comme un écho des temps actuels. L'aveuglement et la lâcheté, les guerres pour le pouvoir, l'ambition "nationale" servant d'étendard, tout ce qui a conduit l'Europe à quelques dix ans de massacres et menace encore et toujours.
La Retirada, mot pudique dit Lydie pour ce qui fut une débâcle et l'effondrement des espoirs de justice et d'illumination du monde, le triomphe des puissances d'argent contre le peuple.
"Elle fut malgré sa jeunesse dans une fatigue sans nom, mais elle continua chaque jour à mettre un pied devant l'autre, ADELANTE! l'esprit uniquement occupé à trouver les moyens de survivre, se jetant à terre ou dans un fossé dès qu'apparaissaient les avions fascistes, le visage écrasé sur le sol et son enfant contre elle, terrifiée de peur et suffocante à force de pleurer, son enfant à qui elle murmurait Ne pleure pas ma chérie, ne pleure pas mon poussin, ne pleure pas mon trésor, se demandant en se relevant couverte de terre si elle avait eu raison de faire subir cette apocalypse à sa fillette."
Combien de mères sur les routes actuellement, serrant contre elles leur enfant pour le protéger des tirs meurtriers des hommes en furie et murmurant " pas pleurer mon amour, pas pleurer".

Dernière minute (ajouté mardi 9/09) et parce que le fascisme prend divers visages et qu'on ne le voit pas toujours venir à temps. Si on ne peut faire davantage, au moins relayer, signaler à quel point ils sont devenus fous et où se trouvent les résistants de notre glorieuse époque : la ZAD du Testet . 

 

jeudi 20 juin 2013

Pas pleurer

"Quelques êtres ne sont ni dans la société ni dans la rêverie.  
Ils appartiennent à un destin isolé, à une espérance inconnue.
Leurs actes apparents semblent antérieurs à la première inculpation
du temps et à l'insouciance des cieux.  
Nul ne s'offre à les appointer.
L'avenir fond devant leur regard.  
Ce sont les plus nobles et les plus inquiétants."
René Char
 

Vendredi, Lydie Salvayre présentait son dernier livre à la librairie Ombres Blanches (Toulouse). "Sept femmes ", "sept allumées pour qui l'écriture n'est pas un supplément d'existence, mais l'existence même."
Elles ont en commun d'avoir eu un destin plutôt malmené sauf Colette qui a su mener sa barque et vivre sa liberté sans trop d'entraves. Comme Lydie, j'ai aimé, à 16ans, l'écriture flamboyante et la vie joyeusement iconoclaste de Colette. Puis j'ai cessé de la lire. Lydie , l'exprime ainsi : "son côté popote m'insupporte".
Les autres ont eu toutes les pires difficultés pour être reconnues de leur vivant. Le cas le plus désespéré est sans doute celui de Marina Tsvetaeva qui est considérée désormais comme l'un des plus grands poètes russes du vingtième siècle,mais a trouvé porte close auprès de nos gens de lettres lorsqu'elle était en exil à Paris. Elle a entretenu avec Pasternak (son grand amour) et Rilke une correspondance magnifique où elle décrit les conditions de misère qu'elle affronte avec ses deux enfants. Elle  finit par se suicider en 1941, alors qu'elle n'a plus nulle part où aller dans cette Russie en proie à la guerre et qu'elle avait fuie pour tenter d'échapper à la sinistrose que le stalinisme répandait dans sa folie meurtrière.
Elles partagent ces femmes le destin douloureux d'artistes qui n'ont pas de place dans un monde (la littérature) dominé par les écrivains masculins. Et même si Virginia Woolf ne subit pas les assauts de la misère qu'affrontent Tsvetaeva ou Djuna Barnes (qui elle, finit sa longue vie -90 ans- en recluse), elle doit se battre contre cette maladie qu'on nomme la bipolarité qui fait succéder à des périodes d'euphorie de graves dépressions.
Elles ont également en commun un goût farouche de la liberté, de l'indépendance, à une époque où les femmes étaient censées dépendre d'un mari à qui elles devaient obéïssance. Lorsque Emilie Brontë ose faire paraître "les Hauts de Hurlevent" et son Heathcliff, héros romantique, sombre, possédé par un amour impossible, et tenaillé par le désir de vengeance, le livre fait scandale, "les critiques sont horrifiés (...) jugent l'histoire invraisemblable, les personnages ignobles, les passions débridées, le tout écrit en l'absence totale de morale et dans un style des plus grossiers, voire répugnant". Comment cette jeune fille qui a si peu vécu a-t-elle si bien reconnu en l'être humain les puissances du mal
Je connais moins Sylvia Plath   et pas du tout Ingeborg Bachmann.   La première obtiendra le prix Pulitzer à tire posthume en 1982,  (elle se suicide en 1963). Thomas Bernhard qui s'y connaissait en noirceur avait dit de Ingeborg Bachmann : "Elle avait comme moi, trouvé très tôt déjà l'entrée de l'enfer, et elle était entrée dans cet enfer au risque de s'y perdre prématurément ". Ce qu'elle fit.

Lydie Salvayre parle de ces femmes avec toute l'empathie qu'elles lui inspirent et l'admiration qu'elle leur voue. Des vies consacrées à l'écriture au risque de leur propre vie. "La postérité a justifié la passion de leur engagement, célébré leur talent et patenté leurs oeuvres". Ses "admirées" sont "d'un autre temps, d'avant Goldmann Sachs et d'avant le storytelling, mais dont les mots parlent encore dans nos bouches pour peu que l'on consente à les tenir vivants"

Comme quelqu'un lui demandait pourquoi ce titre "Sept femmes"Lydie nous a confié que ce n'était pas son titre initial. Celui qu'elle avait choisi était "Pas pleurer", une injonction qui vaut pour toutes qui refusaient le pathos ( pas assez vendeur...). C'est d'ailleurs le paradoxe de ces destins. Car ces femmes qui   aimaient la vie, l'amour,(...) détestèrent la maladie autant que la douleur et se moquèrent de leur abject recyclage littéraire, vécurent presque toutes un destin malheureux.
Et ce pour quoi Lydie Salvayre qui déteste elle-même, de façon instinctive, (comme je la comprend), le goût du malheur,  leur voue une admiration totale (et je la suis, au moins pour celles que je connais), c'est"leur puissance poétique", "la grâce de leur écriture, le retournement qu'elles opéraient  sur les forces de mort et leur pouvoir de conjuguer l’œuvre avec l'existence".
C'est aussi pour cela que j'aime Lydie Salvayre, l'écrivain et la personne, une belle personne.

Photo ZL 19 juin 2013 
 

jeudi 25 août 2011

Le jour H



"le cri que lança Hendrix en jouant The Star Spangled Banner à Woodstock, le 18 août 1969, à 9 heures du matin, ce cri me bouleverse tout comme au premier jour (...) j'ai le sentiment que je n'entends plus aujourd'hui de cri qui ait, comme le sien, ce souffle à arracher les arbres"
(...) Un cri plus fort que tous les mots, un cri d'effroi devant la vie menacée par la folie guerrière et d'espoir increvable devant la beauté.
Un cri qui déchira l'espace, un cri aux accents inconnus, un cri qui était comme une incantation aboyée dans un monde infernal; comme un sanglot terrible.
(...) Le cri de Hendrix fit tomber en un instant, ce matin du 18 août 1969, à Woodstock, des murs entiers d'indifférence et d'amnésie.
(...) Où entend-on aujourd'hui une conflagration de cette ampleur qui nous alarme aussi abruptement sur la démence du monde et qui nous interroge aussi abruptement sur notre maintenant?"

L'écriture fiévreuse et somptueusement baroque de Lydie Salvayre à la rencontre de Jimi Hendrix, génie humain, trop humain, qui incendia la musique grâce à sa prodigieuse dextérité et son engagement absolu dans une exigence artistique sans faille.

Hélas, il fut un des premiers à devenir cet objet commercial que son manager vendit sans vergogne dès lors que de parfait inconnu il se transforma en star, (257 concerts rien que pour l'année 1967!), "alors que la seule chose qu'il souhaitait, c'était de s'enfermer dans un studio,(...) obsédé par l'idée d'inventer la guitare, de lui donner un son absolument neuf et d'avancer plus avant dans l'inconnu".

Hymne est un magnifique hommage à cet homme aux sangs mêlés (noir, blanc, indien), navré par la trivialité du monde, entravé tel l'albatros par ses ailes de géant, infirme dans un monde ordinaire où les pires dérives de l'adulation du veau d'or ont installé durablement un nuage ankylosant et mortifère, celui de la bêtise, base essentielle pour la prolifération des profits.

Extrait de l'Express
Lu par Lydie Salvayre