lundi 8 septembre 2014

Montserrat Monclus Arjona, dite Montse.


Je lisais le dernier livre de  Lydie Salvayre quand j'ai eu l'occasion de visiter les lieux de la Retirada dont j'ai fait un billet précédent. C'était pure coïncidence mais cette visite a donné au livre une résonance d'autant plus intense.

Je ne résumerai pas le livre, très bel hommage à sa mère, Lydie Salvayre le fait beaucoup mieux que je ne saurais le faire.
Plutôt dire l'émotion qui court et couve dans ce livre.  Celle que Lydie éprouve à la lecture du livre de
Bernanos, un écrivain pourtant aux antipodes de ses propres convictions (et des miennes donc) qui entre dans la guerre civile espagnole du côté de Franco mais constate avec une horreur croissante les exactions commises par les Nationaux dans l’ile de Majorque.
 Assassinats, tortures, terreur, les hommes qui se pensent justiciers sont les plus dangereux et la guerre est l'occasion pour les plus barbares de donner toute la mesure de leur folie. Et ce qui est plus encore insupportable pour l'écrivain, fervent chrétien, c'est l'attitude complaisante voire activement complice des sommités ecclésiastiques. "Aucune imposture aux yeux de Bernanos n'égalait celle-ci. Il serait accusé, pour l'avoir écrit de faire le jeu des communistes contre les nationaux que ses anciens amis soutenaient".

<i>Les Grands Cimetières sous la lune</i>, le roman de Georges Bernanos (1888-1948), a inspiré Lydie Salvayre pour écrire son nouveau livre.

Le témoignage de Bernanos est tissé en alternance avec celui de Montse, la mère de Lydie, âgée de 15 ans en 1936 et qui à 90 ans, a tout oublié de sa vie sauf la parenthèse enchantée de l'insurrection libertaire qu'elle découvre aux côtés de son frère en allant à la ville, petite paysanne émerveillée de la liberté qui règne alors à Lérida comme dans certains villages et villes d'Espagne. LS restitue la langue inventée par Montse, ce Fragnol  concocté en arrivant en France en 39 après une longue marche qui clôture le livre et m'a bouleversée. Le plaisir de lecture doit beaucoup aux trouvailles de Montse que sa fille reprend sans cesse (vieille habitude du temps de la honte de ce langage peu orthodoxe et qu'elle réhabilite désormais).
Je vous laisse découvrir la vie romanesque de Montse, la figure solaire et tragique de son frère ardent libertaire violemment opposé à Diego, le communiste rationnel qui va devenir l'époux par défaut de Montse puisque l'amour fou rencontré en une nuit extraordinaire disparait à jamais. Parmi les Républicains, les libertaires, les Anarchistes vont être plus sûrement éliminés par les Rouges que par l'ennemi commun. Un scénario fraticide que l'histoire aura répété ad nauséam.
Lydie Salvayre souligne que Bernanos écrit pour le futur, ses mots résonnent comme un écho des temps actuels. L'aveuglement et la lâcheté, les guerres pour le pouvoir, l'ambition "nationale" servant d'étendard, tout ce qui a conduit l'Europe à quelques dix ans de massacres et menace encore et toujours.
La Retirada, mot pudique dit Lydie pour ce qui fut une débâcle et l'effondrement des espoirs de justice et d'illumination du monde, le triomphe des puissances d'argent contre le peuple.
"Elle fut malgré sa jeunesse dans une fatigue sans nom, mais elle continua chaque jour à mettre un pied devant l'autre, ADELANTE! l'esprit uniquement occupé à trouver les moyens de survivre, se jetant à terre ou dans un fossé dès qu'apparaissaient les avions fascistes, le visage écrasé sur le sol et son enfant contre elle, terrifiée de peur et suffocante à force de pleurer, son enfant à qui elle murmurait Ne pleure pas ma chérie, ne pleure pas mon poussin, ne pleure pas mon trésor, se demandant en se relevant couverte de terre si elle avait eu raison de faire subir cette apocalypse à sa fillette."
Combien de mères sur les routes actuellement, serrant contre elles leur enfant pour le protéger des tirs meurtriers des hommes en furie et murmurant " pas pleurer mon amour, pas pleurer".

Dernière minute (ajouté mardi 9/09) et parce que le fascisme prend divers visages et qu'on ne le voit pas toujours venir à temps. Si on ne peut faire davantage, au moins relayer, signaler à quel point ils sont devenus fous et où se trouvent les résistants de notre glorieuse époque : la ZAD du Testet . 

 

11 commentaires:

patrick.verroust a dit…

3pas pleurer...." , l'incantation désespérée, la signification de l'impuissance face à l'horrible fatalité,les derniers mots civilisés face à l'horreur....

Zoë Lucider a dit…

@PV, la dignité face à l'ignominie.
Merci de votre fidélité

patrick.verroust a dit…

La dignité ? Je ne sais pas...L'instinct de survie qui s'exprime et qui occulte l'inéluctable , veut croire en l'improbable...La dignité est un luxe!

Zoë Lucider a dit…

@PV, la dignité est le seul luxe des pauvres

patrick.verroust a dit…

Hum! Je fais un travail sur Treblinka , la dignité , là dedans, chacun la cherche, victimes, bourreaux ,survivants, écrivains, lecteurs..... Les morts seuls l'ont peut être trouvé et encore pas tous!!

Dominique Hasselmann a dit…

Lydie Salvayre n'a pas besoin de prix littéraire pour être sur notre liste personnelle...

patrick.verroust a dit…

"Pleure pas" aide ou atteinte à la dignité de l'autre, assistance ou aveuglement, soumission ou stoïcisme face au destin , au bourreau, la maladie, la catastrophe , toutes les calamités...???

Zoë Lucider a dit…

@PV, A Treblinka il n'y avait pas des pauvres mais des proscrits. Je parle de la pauvreté ordinaire qui n'est pas la misère, des gens qui ont de la peine à boucler les fins de mois mais essaient de garder la tête haute. Ce ne sont pas les pauvres qui sont marginaux, mais les possédants.La notion de richesse (en revenu ou en patrimoine) commence en deçà du sens commun. Avec un patrimoine de 5000 euros, nous appartenons déjà aux 50% les plus riches de la planète; avec 37500 nous comptons au rang des 10% les plus fortunés; avec 340000 euros, nous appartenons aux 1% les plus fortunés. Quel sens peut-il y avoir à parler de la pauvreté comme d'un" problème" si cette situation est celle de la majorité des êtres humains"
@DH,au contraire! Quand on voit qui sont les invités actuels des médias, mieux vaut échapper à ce cirque.

Zoë Lucider a dit…

@PV, j'ai oublié de mentionner que ma tirade sur la proportion pauvres/ riches est empruntée à Paul Ariès

patrick.verroust a dit…

Zoë,
Merci de votre honnêteté intellectuelle. La précision est d'importance. Les pauvres n'ont pas de pain! Ils n'ont qu'à manger décroissant. Bon régime conte la malbouffe, ma Mie et puis ils ne seront pas saouler par la sirène FN , ventre affamé n'a pas d' oseille (c'est meilleur que les pinards, pourtant) et pas d'oreille....

christw a dit…

Merci d'insister sur le dernier Salvayre, en espérant le voir couronné par un prix d'automne, question de médiatiser son propos...
Je n'ai pu accéder à l'article de Jade Lindgaard (non abonné).