vendredi 5 février 2010

Sur le bla bla et le chi chi des philosophes




Ce titre provocateur est celui d'un petit ouvrage paru en 2002, que j'ai retrouvé dans ma bibliothèque et embarqué pour le voyage en train vers la capitale où je viens de passer quelques jours à écouter parler de fort intelligentes personnes. Je ne dirai rien de ce qui s'est échangé, trop particulier. Juste pour tempérer le sérieux, dire que le bla bla continuait sur un mode plutôt rigolo au cours de repas savoureux et arrosés. Peu de temps pour la promenade en blogosphère et c'est bien aussi de s'éloigner du virtuel pour le tangible.
Comme je n'ai pas eu l'esprit à la composition, je vais donner la parole à Frédéric Schiffter qui professe une distance philosophique avec la philosophie si je puis dire et une forme d'ironie ou de sarcasme à la Cioran, dont on connait les aphorismes sur l'inconvénient d'être né. Si on en juge par le titre de ses ouvrages suivants (que j'avoue ne pas avoir lus), on s'aperçoit que cela ne s'est guère arrangé depuis :Traité du cafard, Finitudes 2007, Le bluff éthique, Flammarion, 2008, Délectations moroses, le Dilettante, 2009.
"Pyrrhon inventa un doute systématique, Descartes un doute méthodique; je pratique quant à moi un doute pathologique. Or, parvenu à ce stade inquiétant de scepticisme, je ne trouve plus en moi la force de faire vivre -comme disent les pédagogues- les auteurs et leurs doctrines. Me voilà reduit à émietter dans un pense-bête quelques sophismes pour moi-même symptomatiques de l'allergie que m'inspirent leur métaphysique et leur morale auxquelles ne me semblent plus convenir que les termes de bla bla et de chichi".
Il y aurait donc les charlatans qui s'évertuent à nous faire croire que la réalité n'est pas ce qu'elle est, qu'elle serait autre mais qu'on nous la maquille et qu'il nous faut retrouver "l'essentiel" à savoir ce qui manquerait justement. Retrouver son "être", serait une autre de ses fadaises, "ce discours retors qui tend à nous faire croire qu'il nous manque l'essentiel et que nous avons le devoir de nous en soucier est ce bla bla qu'on nomme depuis que Platon l'a inventé tantôt métaphysique, tantôt morale et qui trouve toujours, peu ou prou, un écho chez l'homme du ressentiment".

Voilà pour le bla bla dont Schiffter nous livre plusieurs exemples puisés chez les auteurs qu' il est censé faire apprécier à ses élèves (oui, il est professeur, le seul selon lui à être désabusé). Il ne peut pas se limiter à Schopenhauer, sauf à encourir les foudres de l'institution.

Pour le chi chi, il en emprunte la définition à Clément Rosset "l'inquiétude à l'idée qu'en acceptant d'être cela qu'on est, on accorde du même coup qu'on n' est que cela". Le philosophe chichiteux pour Frédéric Schiffter, c'est Diogène qui vomit les hommes et refuse de se parer des insignes d'une appartenance à l'engeance. "J'ai entrepris de nettoyer la vie humaine", aboye-t-il.

Pour se faire une meilleure idée de cette apologie deu "retrait", lire le livre, écrit avec un mélange d'analyses et d'anecdotes dans un style élégant et simple.
En revanche, on ne peut pas dire qu'il vous requinque, encore que la lucidité soit à certains égards revigorante.

Illustration Alexandre et Diogène. Nicolas André Monsiau 1818

28 commentaires:

sophie. a dit…

A tout hasard, je me permets chère Zoë, de te dire que je ne suis plus dans ta liste de liens.. je l'ai signalé dans ta section "travaux" mais bon ... et j'en profite pour te souhaiter une bonne nuit... ^^

Sophie K. a dit…

:-)
Bien rentrée, ma Zoë ?
J'adore "chichi" et "blabla", finalement, moua. Et Diogène et Platon sont mes poteaux : à l'un j'emprunte tonneau et soleil, et à l'autre grotte et oeuf.
Grazie mille !

Frédérique M a dit…

Doute pathologique, c'est grande lucidité que de le reconnaître. Pour le reste, je suis dubitative.
Dis moi Zoé, et cette rencontre avec la forgeronne, c'était comment ?
Moi non plus je n'ai pas pu me libérer pour aller à la rencontre de notre globe trotter. La prochaine fois, espérons-le :0)

D. Hasselmann a dit…

Je me suis toujours demandé comment Cioran avait fait pour ne pas se suicider, ce qui est effectivement incompatible avec la publication régulière de livres aussi apologétiques de la joie de vivre.

Vinosse a dit…

Ah voilà quéquechose qui semble me convenir...

Je suis désabusé, désabusaded... dé... quéquechose quoi...

Alors les porteurs de théories en eux, je les EMMERDE!

Les Intellos à la mord moi le neuf, les "grandes intelligences", les supérieurs en tout, épuisent la société de sa vérité...

Anonyme a dit…

Les philosophes m'emmerdent. La plupart ont eu des vies à la con et se sont suicidé, étaient misogynes ou racistes etc., bref de parfaits connards, comme la plupart d'entre nous.

Anonyme a dit…

Bonne chronique, et c'est aussi chronique chez moi, ce doute pathologique. Alors, foin des philosophes, je me repasse les Deschiens!

JEA a dit…

- "Les cyniques avaient l'habitude de demander à qui voulait devenir philosophe de traîner un poisson derrière lui ; ainsi, il apprendrait à se dépouiller du regard d'autrui."
Alex Jollien

Anonyme a dit…

moi, je traîne ma brosse à dents, çà me dépouille aussi

Anonyme a dit…

J'ai horreur de Platon mais j'ai lu tous les ouvrages de Cioran qui était un professeur de vie, et non un mec mortel comme certains l'ont présenté. Nietzsche était de la même eau.
C'est un peu difficile pour des idéologues de comprendre que l'interrogation du réel ne se fait pas seulement par des données économiques ou des chiffres de statistiques.
Tiens, Schopenhauer, c'est très bien. Et Wittgenstein, et Ernst Bloch, et d'autres qui étaient aussi des écrivains et prenaient pas la pensée pour une technique apprise sur les bancs des auditoires...
Y a plus de philosophes, y a que des remueurs de mots et de concepts poussiéreux.

Cactus a dit…

quand je pense que certains sont allés jusqu'à voter pour lui pour nous éviter l'extrême droite !

Vinosse a dit…

J'chuis d'accord avec anonyme...

Surtout sur la fin !

Que des foutriquets imbus de leur virtuosité décrédébilisante.

Pareil pour les critiques d'art.

renato a dit…

Il y a des bons et des mauvais philosophes, en tout cas après “La vie, on nous met dedans sans même nous anesthésier” de Kraus, les pessimistes n’ont plus rien à dire et ceux d’avant font piètre figure.

Intéressant à savoir : lorsque Wittgenstein écrivit le Tractatus il était en dépression (être en dépression c’est comme être à l’étranger ?), c’est peut-être pour ça qu’on le comprend bien.

claudeleloire a dit…

J'adore me plonger dans "la philosophie", des anciens, les nouveaux me rebutent un tantinet, il me semble qu'ils reprennent ce qui a déjà été dit, pensé, vécu ... et accommodent le tout à leur sauce ...
j'en retire que la philosophie est un art de vivre individuel en milieu "pluriel" ...
amitié .

Clopine Trouillefou a dit…

Bon sang de bonsoir, Renato qui affirme tranquillement qu'on "comprend bien" le tractacus logico-philosophicus. Que dieu me tripote ! C'est forcément ironique ? Ou alors, c'est juste une proposition ?

Clopine

renato a dit…

Que voulez-vous que je fasse, que je m’angoisse pour le dire ?

(Je veux bien que les Cahiers 1914-1916 ou la Note sur la logique de 1913 présentent quelques écueils, mais le Tractatus c’est transparent : un grand trans-parent. Demandez à Onfray, sans ironie.)

Zoë Lucider a dit…

Bonjour à tous, je reviens commenter plus tard, ne suis pas encore posée

Dominique Boudou a dit…

Un beau garçon ce Schiffter, looké comme un surfeur. Il a écrit dessus d'ailleurs. Cela dit, essayant de relire Kant, c'est vrai que je réduirais volontiers Critique de la raison pure à 50 pages. On parle beaucoup en ce moment d'un jeune philosophe allemand qui décoiffe. Mais je n'en sais pas plus.

Zoë Lucider a dit…

@Sophie, en effet mais je ne parviens pas retrouver le lien qund je clique sur ton lien je ne retrouve pas le site que je connaissais. Est-ce normal ?
@Sophie K Ayé, de retour sur ma colline avec une petite crève. Ah là là quel bouillon de culture cette ville, pour le meilleur (l'expo Soulages) et le pire les microbes.
@Frederique M, la rencontre? un délice mais je n'en dirai point davantage en public
@DH, on connait ainsi des gens perpétuellement malades et qui en terrent tous les bien portants. Mystère de la psyché humaine!
@Vinosse, oui ça devrait résonner comme on dit, mais il y a une part de dandysme qui devrait te défriser
@Annadesandre, meuh non, il y en a de drôles (Vaneigem, Picard par exemple)que c'est un bonheur de les lire mais ils ne prétendent pas faire système puisqu'il banissent justement toute prétention à l'ultime vérité.
@Koukistories, Les Deschiens ? Oui des philosophes enfin accessibles!
@ JEA, merci d'avoir cité cet homme étonnant. Voilà un philosophe réellement ami de la sagesse et que son infirmité n'a pas conduit ni à le dérision, ni à l'amertume.
Koukistories :-), vous lui parlez amicalement j'espère!
@Anonyme, je vous fais un bisou sur la truffe.
@Cactus ???!
@Vinosse, m'étonne pas
@Renato, une hypothèse: on devient philosophe pour essayer de continuer à vivre alors qu'on en est désespéré?
@claudeleloire,je suis d'accord, avant tout un art de vivre dont on construit soi-même la philosophie en empruntant à ceux qui nous ont précédé.
@Clopine, non le tractatus n'est pas "facile", non alors. Mais Wittgenstein est très à l'honneur actuellement.
@Renato, je me demande si la philosophie ne serait pas sexuée. Aïe, ce qu'il ne fut pas dire!
@Dominique Boudou, quand vous en saurez plus, dites nous.

Dexter a dit…

bonjour Zoë,
vous vous lancez dans la philo ?
c'est sympa.

vous savez, moi, personnellement, ma vie philosophique est rythmée par les émissions sur F. Culture de Michel O.

La première année il parlait des épicuriens, il en parlait tellement bien que je me dis banco ! va pour l'épicurisme,
ça a duré 1 an,
l'année suivant il a parlé du stoïcisme, c'était tellement bien que j'ai laissé tombé Epicure pour devenir stoïcien,
l'année suivante j'ai été cartésien,
la suivante spinoziste,
jusqu'à cette année où je suis nietzschéen ! (pour être plus précis : nietzschéen de gauche). Je le suis depuis à peu près 6 mois.
Je trouve que c'est plutôt bien, disons que je regrette pas.

Pour le moment, je ne sais pas ce que l'avenir me réserve, je veux dire je ne connais pas encore le sujet de ses cours pour cet été, nous verrons bien.

Je pense que c'est mieux ainsi, franchement je me serais pas vu resté épicurien ou stoicien toute ma vie, du coup changer chaque année je trouve que c'est plutôt sympa.

Sinon j'ai lu Rosset, je confirme c'est bien qui le dit, sur le chichi, parce qu'il considère que toute identité est une construction en soi, il a raison de soulever la question parce que comme actuellement avec le new age, nous vivons l'époque de la quête de l'identité, la quête d'être soi, la quête de soi, de trouver la véritable véritable de son moi intérieur, c'est la porte ouverte à toutes les imbécilités, pour le dire autrement les gens risquent de chercher longtemps avant de trouver quelque chose à se mettre sous la dent si vous voyez ce que je veux dire, il faut donc déconstruire la construction de soi, c'est ce que fait Rosset.
Mais d'autres avant lui l'avait fait.
C'est marrant c'est souvent fait par des philosophes qui sont mal dans leur peau, des dépressifs, in fine ils construisent une philosophie pour décompresser un peu, c'est le cas de Rosset, comme Montaigne ou Hume qui en était arrivé à la conclusion que l'identité n'existe pas en soi, elle n'est qu'un construction de l'esprit que chacun se fabrique avec ses petits outils personnels, Rosset reprend ce concept.

Cela dit je suis d'accord avec renato, sur Wittgenstein, quand il dit par exemple 'sur ce dont on ne peut parler il faut garder le silence', c'est bien vu,
je sais pas quand Onfray va s'attaquer à Wittgenstein ? peut-être cette année ? ce serait bien, je me verrais bien être wittengensteinien pour l'année prochaine.

Dexter a dit…

oupss j'ai été un peu long sur ce coup, désolé.

Sophie. a dit…

Non tu as raison Zoë, me suis crompée...

renato a dit…

Zoé,

je ne sais pas pourquoi les philosophes philosophent, je crois que chacun à ses raisons.

Mon édition du Tractatus est assez vieille (64) — avec le club théâtre dont j’étais membre lorsque j’étais étudiant, nous en avions fait une mise en scène assez bien réussite. Titre : Dehors la métaphasique !
Donc, si Wittengnstein revient à la mode ce sera tout du bénéfice. Au fait, c’est le seul philosophe dont je fréquente le travail. Avec Adorno et Benjamin c’est un peu la balançoire : hier oui, aujourd’hui non, demain on verra.

Je ne crois pas que la philosophie soit sexuée. Fut un temps l’on ne voyait que des hommes en orchestre, aux femmes était réservé quelques places comme harpiste. Aujourd’hui il y a des hommes à la harpe et des femmes à la trompette ou au basson, aux percussions même (l’une de mes amies). Pour les solistes la donne change, mais pensez au temps et à l’argent qu’il faut pour faire un/une soliste et sa devient transparent.

Bon, je coupe. Bien à Vous, r

Zoë Lucider a dit…

@Dexter, connaissez-vous Georges Picard et notamment son "Petit traité à l’usage de ceux qui veulent toujours avoir raison" chez Corti. Il devrait vous plaire et vous risquez de devenir picardien. Si vous hésitez encore je vous conseille "Le Génie à l’usage de ceux qui n’en ont pas". C'est un "philosophe facétieux"
@Sophie, tout est en ordre à défaut de luxe et de volupté
@Renato, Nancy Huston a écrit "Philosophes du désespoir". Benjamin s'est suicidé, si je ne m'abuse. Il est vrai que l'époque n'était guère réjouissante et qu'il était malade. D'où vient que les grands créateurs sont des souffrants?(Il a traduit Proust).

renato a dit…

@Zoé,

la mort de Benjamin ? il y a trois hypothèses :
1. il se serait suicidé de peur d’être reconduit en France comme le prévoirait une directive du gouvernement espagnol (qu’en réalité ne fut jamais appliquée, mais qu’avait été signée quelques jour auparavant) ;
2. il aurait été assassiné par des fascistes (David Mauas, Who killed Walter Benjamin) ;
3. il aurait été assassiné par ordre de Staline (Stephen Schwartz).

La philosophie n’y est pour rien.
C’est un peu comme les acteurs : tombe un avions et tous les passager meurent, si un acteur est à bord l’on ne parlera que de lui.

Anonyme a dit…

Picasso n'était pas souffrant.
Thomas Mann non plus.
James Joyce pas davantage.
céline pétait de santé.
Queneau s'est bien porté.
Vermeer a mené une bonne vie.
Rembrandt aussi.
Etc, etc, etc.

Cactus philosophe a dit…

désolé , je vous avais lu trop vite : confusion avec Chirac :-(
mes vieux oeufs sans doute !

Zoë Lucider a dit…

@Renato, je sais qu'il y a plusieurs versions. Une overdose de morphine, ça peut être un accident aussi.
@ Anonyme, vous mélangez tout le monde dans la même besace. Ceux que vous citez n'étaient pas des désespérés. Leur art est plutôt d'une belle vitalité. Thomas Mann était tuberculeux d'accord, mais il est mort à 80 ans. Tous ces types n'étaient pas désespérés même si la posture du dégoût.
(Céline)pouvait le laisser imaginer
@Cactus évite de marcher sur tes vieux yeux et sur tes voeux pieux