vendredi 12 février 2010

Cartes postales rétroactives 11. Porto.

Peinture les toits de porto

On parle beaucoup voyages en ce moment chez Fredaime, chez Dexter, chez Sophie K. Ca m'a incité à extraire d'un de mes zinédits (Le voyage des enfants), ce texte de saison, avant de reprendre un train de nuit. Bon voyage.

Spéciale dédicace à Jennifer qui fut ma délicieuse compagne de voyage en de multiples occasions

"L'hôtel était confortable mais pas folichon, situé dans un quartier qui à première vue n'était pas très animé. Après avoir mis la main sur une carte, repéré le port, nous nous sommes lancées à la découverte de Porto. Nous enjambions des tranchées, escaladions quelques barrières, nous avions fait le tour d'une place qui devait nous ouvrir une avenue, nous nous placions dans les ronds de lumière pour vérifier. L'avenue repérée, il nous fallait négocier le virage dans une de ces petites rues qui sur le plan conduisaient vers les rives. Nous avons louvoyé entre boutiques et églises enluminées. Il faisait doux et nos gros manteaux exhumés à Helsinki se sont retrouvés sur nos bras, d'autant que nous en étions à descendre puis remonter des ruelles, le front sur les vitrines, ou levé vers les cloches. Nous sommes passées devant l'imposante gare d'où Jennifer devait prendre un train pour Lisbonne le surlendemain. L'éclairage des rues plus faible que dans les avenues que nous avions abandonnées donnait à la ville des couleurs brugheliennes. Il faisait doux, nous étions dans le Sud, là où la vie reprend à la tombée de la nuit, mais Porto est une ville industrieuse, on s'y lève tôt. Nous ne croisions plus que de petits groupes clairsemés, quelques individus pressés filant vers leurs affaires, un rassemblement paisible d'adolescents occupés à leurs palabres. J'écoutais chanter la langue, ses chuintements sensuels, ses diphtongues plaintives.

Je ne suis pas une voyageuse organisée. Je débarque le plus souvent sans avoir compilé guides et récits. Absence de curiosité ? Fainéantise culturelle ? Non point, j'ai lu Pessoa avant de mettre le pied sur ses terres, fredonné cette langue sans la connaître lorsque Amalia est devenue internationale, j'ai des amis portugais qui m'ont ouvert leur âme.

Je préfère toujours aborder le lieu une fois que j'y suis et glaner ce que j'ai envie d'en savoir selon une humeur qui fluctuera au gré de mes rencontres avec les murs et les murmures. Le regard des autres contraint la spontanéité du mien. Outrecuidance ? Infernale fatuité ? Comme si on découvrait une ville en deux jours sans être expressément "bussé" dans un labyrinthe défriché par l'office du tourisme, les yeux au garde à vous à chaque spéculation spectaculaire ! Je passe "à côté », scrutant du non répertorié, exposée au hasard, boudant la jet set culture, fouinant dans les travées anonymes, regardant sous les jupes de la ville.

Nous avons fini par nous trouver au niveau zéro de la colline, sur un quai sombre où de petits établissements jetaient leurs lames de couleur. Perplexes, nous étions. L'environnement immédiat ne prêtait guère à l'hésitation. Quelques rares voitures rôdaient. Des groupes d'hommes posés sur des caisses discutaient, les yeux distraits de leur conciliabule par notre arrivée saugrenue. Nous avons choisi une tache de couleur à l'étalage et obliqué vers une perspective espérée et soudain tenaillante d'y dénicher un menu. En rôdant au bord des petites fenêtres, des portes entrouvertes, nous frôlions des chaudrons qui séchaient appuyés sur les murs, nous dérangions des chiens enroulés sur des seuils, croisions quelque gamin jailli d'une travée entre les façades étroites. Les salles enfumées, électrocutées au néon, saturées de quelques tablées d'hommes sombres ne nous engageaient qu'à pousser plus loin nos investigations. Au bout d'une dizaine de fuites, nous en étions à regretter notre entreprise. D'Helsinki aux rives du Douro, une seule journée, un bond galactique, des semelles de plomb, un broyeur fou au creux du ventre, une vague inquiétude de proie humant l'effluve du prédateur.

Justement, nous croisions un agrégat de jeunes fauves qui se mettaient à feuler et à dérouler leurs membres engourdis par l'inaction dans la fraîcheur de la nuit. L'un d'eux est venu vers nous, encouragé par sa cour rivalisant de railleries et d'injonctions. Jennifer et moi, entre les dents : "oh, oh, urgence !". En même temps nous avons repéré dans la rythmique des tranches de lumière, une toute dorée et rose, en rupture sur la fluorescence verdâtre. Nous avons lâché notre porte-à-porte pour filer directement vers la source de cette voluptueuse langue flammée. Nos lionceaux continuaient de miauler, leur éclaireur suspendu dans sa traque, forçait un peu sa voix pour rattraper la distance que nous nous appliquions à assurer entre leur désir de jouer de la papatte et nos âmes épuisées.

Stupeur, il y avait bien un restaurant mais, il était français. Tant pis pour la couleur locale. Une jolie jeune femme officiait. Elle était Portugaise, avait vécu en France et revenue au pays récemment, avait ouvert ce petit restaurant. Nous étions installées les coudes sur une nappe à carreaux rouges et blancs, dans un décor transposé des clichés de la bonne franquette, à la tiédeur rose, avec des œillets dans des vases et quelques couples se mangeant des yeux. Nous avons eu un fou rire hoquetant qui a duré suffisamment pour amuser le regard de notre hôtesse. Le menu prometteur n'excluait pas la gastronomie portugaise. Nous avons mangé du lapin, spécialité de la maison, bu du vin conseillé par la jeune femme comme le meilleur cru de sa cave. Elle était manifestement heureuse d'avoir des cousines étrangères, dont une française, toutes deux d'excellente humeur et prêtes à accueillir le premier ragoût comme la chair et le sang du Christ. "

Peinture barque sur le douro


Illustrations Isandro

10 commentaires:

Dexter a dit…

bonjour Zoë, un voyage sur les terres de Pessoa, c'est très beau.
J'ai corrigé toutes vos fautes et je me suis permis de rajouter une petite musique, le saudade...

JEA a dit…

@ "les coudes sur une nappe à carreaux rouges et blancs..."

D. Hasselmann et moi, vous remercions vivement d'avoir veillé à ne pas gâter le vrai plaisir de vous lire
car vous auriez-pu écrire : "les coudes sur une nappe en toile de vichy..."

Zoë Lucider a dit…

@Dexter, merci de vos bons soins.
@JEA, oui , c'est curieux, ça ne me vient pas à l'esprit

Anonyme a dit…

j'aime beaucoup l'image de regarder sous les jupe de la ville ... c'est ce que je voudrais faire toujours

Frédérique M a dit…

Amusant ces coïncidences. Voyages, voyages... Tu prends le train pour où ?
Et sinon, c'est le week end et la pauvre Sophie K est inaccessible. A sa place je ferai la peau à son hébergeur.

renato a dit…

Bonjour Zoé.

“Je préfère toujours aborder le lieu une fois que j'y suis et glaner ce que j'ai envie d'en savoir selon une humeur qui fluctuera au gré de mes rencontres avec les murs et les murmures. Le regard des autres contraint la spontanéité du mien.”

Pourquoi “outrecuidance” ? Je ne connais pas d’autres façons de découvrir un lieu, le langage du lieu ; ou alors l’on est des touristes : on ne loupe rien et on a tout loupé.

“Infernale fatuité” ? là je ne vous crois pas car vous donnez ici la démonstration du contraire ; toutefois bon, les critères qu’on prends lorsqu’on interprète notre action ne sont peut-être qu’une manière pour tenir la vanité à bonne distance. En ce sens infernale je comprends, mais c’est un peu distors.

D. Hasselmann a dit…

@ JEA : mais une nappe plus contemporaine... avec des oeillets rouges nous aurait mis du baume au coeur !

Jolie promenade de Zoë, en tout cas (j'ai juste buté sur le mot "bussé", ça m'a rappelé "on s'est mussés", expression du Nord, je crois).

La Feuille a dit…

Porto, nous y étions en septembre dernier et nous avons beaucoup aimé la ville et l'impression d'authenticité que l'on a en se promenant dans les vieux quartiers du centre qui sont restés largement populaires. Certes les rues "piétonnes" ont fait leur apparition avec leur cohorte de boutiques standardisées, mais il est encore largement possible de leur échapper et de découvrir de jolies boutiques bariolées, nettement plus aguichantes que les "Benetton", "Bouygues Telecom" et autres porcheries fluorescentes. Par contre, il est clair que de nombreux quartiers seraient à réhabiliter avec un minimum de doigté et de respect pour les populations en place. Les baraquements sur le bord du fleuve font de jolies photos sur les appareils des touristes, mais ne présentent qu'un charme fort limité pour leurs habitants. Le même problème se pose dans toutes les grandes villes du Portugal. Rêvons un peu à une remise en état qui, pour une fois, ne consisterait pas à déplacer les habitants vers les barres de béton d'une banlieue lointaine, mais consisterait simplement à remettre à un niveau de confort et d'hygiène satisfaisant leur cadre de vie habituel...

Anonyme a dit…

A Porto, on boit un p'tit verre de Martini ?...

Zoë Lucider a dit…

@tous, pas pu vous lire ni répondre. Y reviendrai