dimanche 2 décembre 2018

Bribes de vie



Oui, cette petite chose, suspendue anime la grosse bébête
Elle est heureuse d'avoir été engagée pour  participer à l'aventure de La machine
Ci-dessous un court aperçu





La Halle / Musée où s'agite tout un arsenal de machines, grosses et petites et où se tiennent des ateliers sur cet art étonnant


Un autre jour, un ami, Mathieu Chiva a modelé en direct le visage d'un ami au cours d'une délicieuse soirée qui s'est achevée par la projection du film "L'artiste et son modèle" une merveille en Noir et Blanc et un des derniers rôles de l'immense Jean Rochefort



Un ami est parti dans ce cercueil décoré par tous ceux qui l'aimaient et nous étions nombreux.
 Un enterrement très vivant si j'ose dire


J'ai aussi beaucoup bougé. Bilbao, Paris, Barcelone


Je vous fais grâce des vues du musée Guggenheim. J'y suis allée bien-sûr et un autre jour je me suis échappée pour aller tremper mes pieds dans l'océan.


Dernière destination en date (j'en reviens) Timisoara. La ville sera ville européenne de la Culture en 2021. Elle s'y prépare en redonnant des couleurs à ses monuments hérités de son époque austro-hongroise

L''art mural y est bien développé en tout cas.


Et quel plaisir de marcher dans des rues qui ne sont pas gavées de voiture et entre des murs vierges de placards publicitaires, en s'arrêtant dans des petits cafés cosy où tourne une musique douce émanant d'un vinyle



Hier matin de ma chambre d'hôtel un spectacle d'oiseaux fuyant à tire d'ailes, mais quoi ?

samedi 27 octobre 2018

Merci Fred Vargas


Eh! Oui, encore un remerciement. Trouvé sur Facebook et transféré ici où il sera moins lu, - normal je ne publie quasiment plus- mais où il restera de façon plus permanente. Fred Vargas dit tellement bien ce que je ressasse depuis longtemps sur ce blog et ailleurs. C'est un texte qu'elle a écrit  il y a une dizaine d'années et tellement terriblement d'actualté alors que la peste noire fait encore reculer l'horizon du possible.

Aucun texte alternatif disponible.



.
''Lettre de Fred Vargas : la troisième révolution

Nous y sommes
Nous y voilà, nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes.
Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal.
Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance. Nous avons chanté, dansé. Quand je dis « nous », entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine.
Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.
On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.
Franchement on s'est marrés.
Franchement on a bien profité.
Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.
Certes.
Mais nous y sommes.
A la Troisième Révolution.
Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.
« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.
Oui.
On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis. C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies.
La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau.
Son ultimatum est clair et sans pitié :
Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse). Sauvez-moi, ou crevez avec moi.
Évidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix. On s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux. D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance.
Peine perdue.
Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais. Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille, récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés).
S'efforcer. Réfléchir, même.
Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.
Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.
Pas d'échappatoire, allons-y.
Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante.
Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible.
A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut être.
A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.
A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore''.
Fred Vargas
Archéologue et écrivain

Petit rappel et recommendation Petit traité de toutes vérités sur l'existence (2001)

mardi 25 septembre 2018

Merci Manu

 

Je viens tout juste d'achever la lecture du dernier Manu Causse

Je suis très mauvaise critique, surtout si le livre m'a troublée, émue,, angoissée (les névralgies ophtalmiques, je connais, certes pas de l'intensité dont souffre le personnage, mais j'ai une familiarité intime avec le processus) . Cette histoire de jeune garçon puis d'homme victime, c'est tellement à rebours de  l'habituel héros de roman, toujours un peu plus héros que l'ordinaire des gens "normaux". Celui-là est comme une boule de flipper, il part dans tous les sens, chaque fois qu'un joueur le prend en main.  Il ne décide rien de sa vie, obéit aux injonctions de quiconque se prend d'intérêt pour sa personne, il se sent tellement personne. Ah! Non quel jeu de massacre! Une mère archi fêlée, qui le rabaisse et le brutalise, un père disparu, mort, mais en fait pas mort, Une femme qui le méprise et s'envoie en l'air sans vergogne et ainsi de suite. Une embellie avec une femme aimante mais ces satanées crises d'hallucinations fichent tout en vrac.  On suit le périple inouï de cet infortuné qui ne semble jamais savoir ce qu'il veut, parce qu'il s'est bâti sur le déni et le mensonge. Mais, il va... Je n'en dis pas davantage.  J'oubliais un élément important, tout cela est truffé de cocasseries, blindé d'humour et finalement plutôt optimiste. Lisez Manu. Et pour vous faire connaître le drôle de bonhomme je lui ai piqué un texte qu'il vient de faire paraître dans son blog 

Je le contresigne tant il est proche de mes propres ruminations. Inquiet mais à l'affut des signes de  résilience du "bon sens", car il y en a tout de même qui scintillent dans  ce magma d'absurdités

Chanson d'automne

Combien de temps que tu n'as pas glissé, par une nuit de demi-lune, dans le jardin,
combien de temps qu'à l'écart des dormeurs tu n'as pas écrit la veille du solstice, de l'équinoxe ?

tu ne comptes plus,
plus pour rien,
Combien de temps t'es-tu contraint à mesurer tes paroles,
tes mots, tes titres, un deux trois un deux trois,
à caler un image au centre ou à gauche ou à droite,
Combien de temps t'es-tu, combien de temps t'es-tu tu

J'ai peur, ce soir, j'ai peur à n'en plus dormir, à compter mes terreurs et mes bénédictions,
j'ai peur de ne plus compter, de ne plus écrire,
j'ai peur de voir la terre s'effondrer le ciel nous fondre sur la tête les eaux monter les chars envahir les rues la rage gagner du terrain,
la guerre engendrer la guerre engendrer la guerre engendrer la paix des épuisés

déjà dans le jardin les rats gambadent,
et que puis-je y faire, je refuse de les empoisonner,

je ne peux leur laisser ronger la substance toxique qui de leurs viscères coulera
dans les fleurs
dans le sol
dans les eaux qui s'infiltrent et la pluie qui remonte,
condamnant à l'avance bien plus qu'une portée de surmulots
un écosystème

piégé par mon économie, par mon système, pris à ma propre nasse, enfermé, infirme, finissant.

J'ai peur et j'enrage.

J'avais écrit cette histoire, Arthur et les oiseaux, ce texte sans prétention qui disait "On a sauvé les oiseaux", un passé dans le futur, conditionnel en quelque sorte,
et le texte était beau, le texte allait naître
et soudain - oh tiens non, il y a déjà ici - Le ciel sans les oiseaux.

J'ai souri, magnanime, hasard de l'édition, pas un texte parfait,
mais la nuit mon coeur soudain s'étrangle - pas pour les mots, par pour l'album,
mais pour ce que je dirai à l'Arthur qui m'inspire :

- Non, on ne les a pas sauvés ?

J'ai peur je n'en peux plus de penser la planète à deux doigts de la fin, au rebord du chaos. Ça m'est impossible, je m'y refuse,
je me voile les yeux
je me perds dans le bruit, le travail et le vin,
je me perds dans ce que je projette, j'ai chaud, je climatise,
je somatise en vrac, je ne veux plus sentir

Pourquoi suis-je muet - la frayeur qui m'agite est-elle inaudible ? Se perd-elle dans le fracas des disputes futiles (oh tel polémiste a bien fait son travail en insultant une telle, tel nervi qui rêvait de flingues et de conduites américaines se fait tancer publiquement, trompettes des médias, tambour des instabooks, cliquetweets assourdissants)

ou bien ne sert-elle à rien qu'à remplir les derniers jours ?

mais la Terre, bordel, la Terre s'ouvre, la Terre nous vomit, la Terre se gratte de nos excès, s'enflamme de notre prolifération, de notre insatiable, la Terre tempête de nous supporter,

La pyramide de Maslow, la pyramide de misère, besoin, toujours besoin, besoin d'en avoir plus, de produire reproduire surproduire et détruire
pour éloigner la nuit et les vieilles terreurs

besoin de brandir haut, de tremper tromper trumper défaire,
d'agir et de gicler, de secouer
besoin d'être violent
de détruire à moi seul le bien commun

Ô reconnaître que tout ça m'appartient
me découvrir incapable
de tout arrêter
de m'arrêter
d'arrêter

demain, demain j'

Alors, quoi faire ? Désespérer ?

Ou alors écrire.
Écrire l'avenir.
Clamer le récit de la planète que nous avons sauvée. Raconter nos échecs et nos crises, nos erreurs, le passé. Raconter l'avenir, tisser les lendemains,
l'équilibre,
convaincre par la légende
rallier par la beauté.

J'aimerais bien, tu sais, te raconter
la prise de conscience, le prix de la vie
comment les hommes ont appris à écouter
aux portes de leurs rêves
comment soudain, juste au bord de l'abîme,
ils se sont arrêtés,
se sont regardés mains tremblantes
se sont souvenus des enfants, des chemins dans les plantes
des oiseaux, du silence

d'un soir d'été il y a longtemps

ont respiré
se sont souri
ont reculé d'un pas, puis d'un autre
ont cessé de croire pour décroître
pour décoller

quelqu'un lança une plaisanterie, et tous rirent de ces rires qui fêtent la fin des guerres, de ces rires aux larmes gaies

et quand ils eurent franchi l'abîme d'un coup d'aile,

quand ils eurent compris
qu'ils n'étaient pas le monde, qu'ils en étaient la fin

ils partirent se reposer et se souvinrent

du jour où ils avaient failli devenir fou
et des histoires qui les sauvèrent.


La lune est calme. Une voiture passe sur l'avenue. Un moustique tète la chaleur de la lampe.
Je vais dormir. Je vais rêver.
Je me lèverai à l'automne
pour le fêter.


Merci Manu

mercredi 18 juillet 2018

La Maison du Six


Au sein d’un local situé en centre ville, dans une petite bourgade du Tarn , la Maison du Six propose une gamme d’offres de service :
  • Une école accueillant des jeunes éloignés de l’emploi par manque de formation mais aussi d’informations sur les métiers qu’ils peuvent envisager. Pendant une année scolaire l’équipe les accompagne tout en proposant des cours leur permettant de retrouver le goût d’apprendre et une immersion en milieu professionnel, notamment au sein d’organisations de l’économie solidaire.
  • Des ateliers destinés aux personnes âgées vivant chez elles proposant la pratique libre et choisie. d’activités adaptées à leurs besoins .
  • Des espaces de co-working, une salle de réunion.
  • Une ludothèque itinérante, des ateliers d’éveil musical et artistique (sculpture, terre, voix) de maîtrise du langage (anglais, français) d'activités corporelles douces (et plus si affinités),
  • Des opportunités de conférences, de moments conviviaux et culturels.
  • Un espace de détente permettant de boire un thé, un café, de se donner rendez-vous, de consulter ses mails, ou simplement de revasser tranquillement 

l'accueil souriant de Valérie

Le projet est porté par Novetat, Institut de recherche et développement. Il a vocation à constituer une expérience pilote en milieu rural conjuguant le « mieux grandir» et le « bien vieillir », favorisant le maintien des jeunes et des personnes âgées dans leur environnement familier.


Pause café
En attendant les soutiens sollicités auprès des financeurs potentiels, l’association a besoin d’une aide au démarrage. Un appel aux dons suivra.

Le fardeau à plusieurs est une plume (proverbe africain)

dimanche 29 avril 2018

En avril ne te découvre pas d'un fil


 Mais manie le pinceau, la ponceuse, le grattoir, la serpillière et tout ce genre de choses. Fin de chantier (presque). Il fallait un sérieux coup de neuf et de propre mais ça commence à prendre forme Nous organisons un "lieu des possibles" dans notre petite ville rurale . On espère que le projet va s'épanouir. Il y a prise de risque financier. A suivre donc...



 

samedi 7 avril 2018

Frère Jacques .







Cher Jacques,
Voilà, la mort a fait sa sale besogne, elle a eu raison de ta brûlante énergie et t'a embarqué pour ce voyage qu'on dit long et qui n'est peut-être qu'un passage furtif vers le repos définitif. O' mon frère de cœur, comme c'est douloureux de savoir que tu as disparu de notre proche univers. J'aimais tellement ta voix suave, ironique, tendre et violente. J'aimais tellement tes "atmosphères" qui me donnaient de l’oxygène. Tant de souvenirs . Je t'ai rencontré la première fois. au Théâtre du Ranelagh. Ce soir là, Brigitte Fontaine nous avait insultés, nous, le public, étions l'ennemi, va savoir pourquoi. Puis c'était  aux Blancs Manteaux, un couple avait quitté la salle et tu les avais un peu houspillés, ton fils Ken était dans la salle. Je suis partie à l'étranger et j'écoutais l'enregistrement à Mogador., un triple album qui a fait mon bonheur quand je me languissais dans ce pays de sable et de  fausses richesses. J'étais responsable d'une émission de radio française dans les Emirats Arabes Unis et une veille de premier de l'an, j'avais invité les auditeurs francophones à le fêter avec ton "Champagne" ce qui m'avait valu des remarques du directeur pour apologie de l'ivresse en pays musulman (???!). J'aimais particulièrement Hold tight, l'humour!
Je suis allée t'écouter à la Villette et ton retard avait surchauffé la salle et m'avait un peu angoissée, moi qui supporte peu les phénomènes de foule. Mais tu nous avais donné un concert de trois heures joyeux et punchy. Suis allée t'écouter à nouveau à Montreuil. Tu avais fait un duo avec les Zap Mamas sur Mona Lisa klaxon qui avait duré 10 bonnes minutes.
Mes enfants ont écouté et tellement aimé "La croisade des enfants".
"J'suis trop p'tit pour me prendre au sérieux
Trop sérieux pour faire le jeu des grands
Assez grand pour affronter la vie
Trop petit pour être malheureux"

Tu as été pour moi le vrai rockeur, fou, généreux, libre, poète, dénué de forfanterie, et cependant excessif, incontrôlable (tu n'aimais pas la télé et ceux qui t'y invitais  tremblaient à l'idée des folies que tu pouvais commettre et tu ne t'en privais pas!).
Je t'ai suivi dans de plus petites salles, à l'invitation de membres de ton équipe. Je pense à Mahut qui doit être si triste ce soir et à ta fille chérie qui perd son père alors qu'elle est encore si jeune. Elle a hérité de ton talent. Bon sang ne saurait mentir.
J'ai eu la chance d'assister à ton dernier concert le 24 mai 2016 à Toulouse. Tu semblais encore en grande forme, tu m'as bluffée!
Je vais relire "Lettres d'amour d'un soldat de vingt ans" et réécouter certaines de tes très vieilles chansons. Celle-ci tiens, tellement d'actualité  "J'suis qu'un grain de poussière"
T'es pas mort, tu continues de chanter dans ma tête.

Retrospective INA

mardi 27 mars 2018

Si tu vas à San Salvador, va voir la femme...*

A Salvador de Bahia (Brésil), j'ai vu beaucoup de femmes. Le Forum social mondial s'est ouvert  joyeusement avec les danses et les chants, la capoeira et les transes, mais surtout un défilé braillard mais paisible dans des rues où se  mêlaient manifestants et quidams de la rue, les boutiques ouvertes, quelques policiers par bandes de cinq ou six qui ne semblaient pas vouloir en découdre


Résister et transformer pour une société inclusive et démocratique


Beaucoup de femmes donc dans le défilé qui chantaient et raillaient. Les femmes pour la démocratie!
Hélas on apprenait le lendemain que Marielle Franco, une jeune femme noire, conseillère municipale fraîchement nommée à la tête d'une commission d'enquête sur les violences policières dans les favelas qui devait venir au Forum,  avait été assassinée de plusieurs balles dans la tête. Énorme émoi bien-sûr. Une marche de protestation le matin même du 14 mars, le soir une veillée "Marielle présente". Il y a beaucoup de crimes au Brésil. mais c'est une première qu'un responsable politique soit exécuté de cette façon. Ce n'est pas un hasard que ce soit cette femme, noire,  lesbienne issue des favelas et qui se battait avec courage contre les violences perpétrées dans les favelas dont les jeunes font les frais Le nombre des femmes assassinées est invraisemblable.  La destitution de Dilma Roussyef et la menace d'incarcération de Lula, considérés au Forum comme un coup d'état ajoutés à ce crime odieux ont surchauffé le climat du Forum.
L'assemblée des femmes qui s'est déroulée  le lendemain sur la place Terreiro de Jésus, était emplie des harangues rageuses et des déplorations. Un homme qui s'imposait sur l'estrade pour faire des photos s'est fait insulter et a fini par se retirer sous les avanies. Les Marocaines ont envahi la scène pour s'opposer à la parole des femmes Sahraouies (comme dans tous les FSM, l'Etat marocain délègue des troupes fournies pour cet exercice d’obstruction).
Dans cette foule j'ai fait une rencontre improbable : une jeune chercheuse qui prépare sa thèse avec un de mes collègues. Je savais qu'elle était brésilienne mais c'était tout de même miracle que je me retrouve juste devant elle. Nous nous sommes un peu éloignées pour déguster un sorbet délicieux dans une boutique tenue par  un Français installé à Salvador depuis 25 ans et qu'elle m'a fait découvrir. Nous avons pu échanger des nouvelles loin des harangues.  Elle m'a décrit l'état politique du pays, peu réjouissant. Les acquis sociaux sont rognés les uns après le autres, les universités tendent vers la privatisation, la culture n'a plus de budget et tout à l'avenant. Pas étonnant qu'on ait entendu un leitmotiv lancinant Temer fora / Dégage Temer (le président actuel  crédité d'à peine 5% de légitimité, corrompu et considéré comme celui qui a destitué Dilma par un coup d’État. La réaction gagne toute l'Amérique latine après un court intermède où le voisin yankee ayant mis toutes ses forces au Moyen Orient en avait moins pour juguler les révoltes locales.

L'assemblée des femmes
Sur le site de l'université  un "cimetière " pour toutes les femmes assassinées. Un peu partout la photo de Marielle

Cette 13e édition du FSM a réuni pas moins de 60.000 personnes issues de 120 pays différents. C'était un forum très brésilien avec une représentation internationale plus réduite. En revanche, une présence très importante de jeunes et de femmes qui faisaient d'ailleurs l'objet de beaucoup d'ateliers avec en particulier le concept d'intersectionnalité dont Marielle était un symbole fort, le cumul de plusieurs motifs de discrimination : le genre, la couleur de peau, l'orientation sexuelle, la classe.  Coluche en son temps disait que pour ceux-là, c'était plus difficile.
A chaque FSM, on se demande si c'est bien utile, si ça a encore un sens, si ce n'est pas le dernier. Et il est vrai que ce n'est plus aussi convaincant qu'à l'origine. Cependant le FSM reste un lieu de découvertes de ce qui se passe un peu partout dans le monde et un lieu de bouillonnement, de prises de contacts, d'informations croisées sur l'état du monde.
On a ainsi pu entendre parler d'un projet assez fou la  Jai Jagat , une marche pour un autre monde, depuis l’Inde vers les Nations Unies à Genève, qui traverserait une quinzaine de pays avec des manifestations massives dans chaque pays. Une marche pour la paix. On aurait besoin en effet de faire la paix sur cette planète, la paix entre humains, la paix avec les animaux (le dernier rhinocéros blanc vient de mourir), la paix avec la terre et les océans.
Ce qui était évident dans ces journées, c'est que la révolution sera féministe ou ne sera pas.
Je vous fais grâce des ateliers que j'ai fréquentés dont une grande partie m'est restée obscure (je ne parle pas le portugais). L'un d'eux était important et suivi avec attention par un nombre non négligeable de participants, l'atelier préparatoire au forum mondial des économies de la Transformation prévu en avril 2019 à Barcelone et dont nous serons les organisateurs .
Je n'ai pas eu le temps d'explorer beaucoup la ville. Quelques photos qui ne sont pas d'une grande qualité mais permettent de saisir quelques bribes visuelles de "Saint Sauveur de la Baie de tous les Saints" qui fut la capitale de 1549 à 1763 et est la ville la plus noire du Brésil à cause du trafic triangulaire du temps honni de l'esclavage

Carte de la baie de Tous les Saints 
le coucher de soleil sur la baie

Le port vu de l'élévateur ci-dessous qui permet de passer de la ville haute à la ville basse


Elle est censée porter bonheur si on accroche un de ces bracelets brésiliens

Succession des façades colorées 

i

J'ai quand même réussi à prendre un bain dans l'eau claire en me levant tôt le dernier jour parce que j'avais déménagé dans la Poussada Arte Brasileira, une auberge décorée par Jacqueline une métis adorable et talentueuse et que ce lieu atypique se trouve à 5 mn à pied de la plage de Porto da Barra.
Une dernière évocation de ce voyage trop court (surtout si on considère les 17 heures d'avion pour rejoindre Salvador et autant pour en revenir) : les fruits succulents au petit déjeuner, ananas, papaye, mangue, banane, dont on découvre les vraies saveurs qui n'ont rien à voir avec celles qu'on connait en Europe

* Le titre est en référence à une chanson de Bernard Lavilliers mais il s'agit de Salvador, la capitale du Salvador alors que le FSM avait lieu à Salvador de Bahia. J'ai pensé à Lavilliers grand amoureux du Brésil qui parle d'ailleurs de Belem dans cette chanson.

mercredi 7 février 2018

L'arbre, ce géant bienfaisant

Ce titre est emprunté au beau texte de Paul, dans "La feuille charbinoise. Il y  présente  quelques ouvrages consacrés aux arbres. Cela m'a donné envie d'exhumer des photos glanées au fil des années, des saisons, des lieux. J'aime les arbres et je suis souvent tentée de les photographier. Quelques-unes de ces prises, avec leur situation, sauf quand je ne me souviens plus.

Le prunier en fleur. Maison
Vue de la grange sur l'arrière du terrain. Maison

Maison
Un jour sur la route, un petit endroit frais pour piqueniquer


 Trace d'un géant abattu. Arles (13.

Berlin, florilège de lampadaires

At home
En promenade dans le tarn
Dans le jardin d'une amie Saint- Hippolyte-du-Fort (34)

Séville Jardin de l'Alcazar (Espagne)

Dakar. Sénégal

Jardin des Doms.Avignon (84)

Arganier, région d'Essaouira Maroc

En ombre portée sur le mur du cloitre à Lagrasse pendant le Banquet du livre (09)

Le Ginkgo Biloba en automne

Les deux arbres en hiver avant que la tempête ne les sépare

Un géant échoué sur la plage de la Grande Côte (17)


"En argot les hommes appellent les oreilles des feuilles
c’est dire comme ils sentent que les arbres connaissent la musique
mais la langue verte des arbres est un argot bien plus ancien
Qui peut savoir ce qu’ils disent lorsqu’ils parlent des humains"

mardi 16 janvier 2018

Un espace de l'amour débarrassé des harceleurs

Je reproduis ci-dessous un texte de la romancière Leîla Slimani, paru dans Libération qui exprime plutôt bien ce que je pense moi-même de l'épisode "la liberté d'importuner indispensable à la liberté sexuelle"  (noter le terme indispensable) Ma propre expérience m'a démontré suffisamment que les hommes détestent être importunés quand l'importune n'a pas leurs faveurs et que cela les révulse même qu'une "moche" (entendre éventuellement une vieille) prétende les aguicher. J'ai entendu dans la bouche de mes congénère masculins les blagues les plus insultantes à l'égard de quelque malheureuse, simplement un peu insistante par ses regards énamourés. C'est dire que la liberté d'importuner se trouve clairement dans un seul camp. En revanche, si je n'ai pas rejoint le chœur des "me too" c'est uniquement parce que j'ai du mal à entrer dans ce genre de buzz et qu'en dépit de mon soutien à toutes les femmes dans des circonstances de cet ordre, je fais partie de celles qui se sont débrouillées pour ne pas tomber dans un guet-apens de cet ordre (chance ou  intuition), Pourtant ce ne sont pas les épisodes graveleux qui ont manqué, les frotteurs , les invitations insistantes, les mains baladeuses, les propositions tendancieuses etc, de même les angoisses la nuit en rentrant chez moi quand un type collait à mes pas.
Donc merci Leïla pour cette réponse tranquille et joyeuse à nos prosélytes de la drague importune. Et  on peut voir qu'elle ne fait pas partie des féministes "moches et frigides", éternelle réplique aux prises de position des femmes pour la défense de leurs droits.




Marcher dans la rue. Prendre le métro le soir. Mettre une minijupe, un décolleté et de hauts talons. Danser seule au milieu de la piste. Me maquiller comme un camion volé. Prendre un taxi en étant un peu ivre. M’allonger dans l’herbe à moitié dénudée. Faire du stop. Monter dans un Noctambus. Voyager seule. Boire seule un verre en terrasse. Courir sur un chemin désert. Attendre sur un banc. Draguer un homme, changer d’avis et passer mon chemin. Me fondre dans la foule du RER. Travailler la nuit. Allaiter mon enfant en public. Réclamer une augmentation. Dans ces moments de la vie, quotidiens et banals, je réclame le droit de ne pas être importunée. Le droit de ne même pas y penser. Je revendique ma liberté à ce qu’on ne commente pas mon attitude, mes vêtements, ma démarche, la forme de mes fesses, la taille de mes seins. Je revendique mon droit à la tranquillité, à la solitude, le droit de m’avancer sans avoir peur. Je ne veux pas seulement d’une liberté intérieure. Je veux la liberté de vivre dehors, à l’air libre, dans un monde qui est aussi un peu à moi.
Je ne suis pas une petite chose fragile. Je ne réclame pas d’être protégée mais de faire valoir mes droits à la sécurité et au respect. Et les hommes ne sont pas, loin s’en faut, tous des porcs. Combien sont-ils, ces dernières semaines, à m’avoir éblouie, étonnée, ravie, par leur capacité à comprendre ce qui est en train de se jouer ? A m’avoir bouleversée par leur volonté de ne plus être complice, de changer le monde, de se libérer, eux aussi, de ces comportements ? Car au fond se cache, derrière cette soi-disant liberté d’importuner, une vision terriblement déterministe du masculin : «un porc, tu nais». Les hommes qui m’entourent rougissent et s’insurgent de ceux qui m’insultent. De ceux qui éjaculent sur mon manteau à huit heures du matin. Du patron qui me fait comprendre à quoi je devrais mon avancement. Du professeur qui échange une pipe contre un stage. Du passant qui me demande si «je baise» et finit par me traiter de «salope». Les hommes que je connais sont écœurés par cette vision rétrograde de la virilité. Mon fils sera, je l’espère, un homme libre. Libre, non pas d’importuner, mais libre de se définir autrement que comme un prédateur habité par des pulsions incontrôlables. Un homme qui sait séduire par les mille façons merveilleuses qu’ont les hommes de nous séduire.
Je ne suis pas une victime. Mais des millions de femmes le sont. C’est un fait et non un jugement moral ou une essentialisation des femmes. Et en moi, palpite la peur de toutes celles qui, dans les rues de milliers de villes du monde, marchent la tête baissée. Celles qu’on suit, qu’on harcèle, qu’on viole, qu’on insulte, qu’on traite comme des intruses dans les espaces publics. En moi résonne le cri de celles qui se terrent, qui ont honte, des parias qu’on jette à la rue parce qu’elles sont déshonorées. De celles qu’on cache sous de longs voiles noirs parce que leurs corps seraient une invitation à être importunée. Dans les rues du Caire, de New Delhi, de Lima, de Mossoul, de Kinshasa, de Casablanca, les femmes qui marchent s’inquiètent-elles de la disparition de la séduction et de la galanterie ? Ont-elles le droit, elles, de séduire, de choisir, d’importuner ?
J’espère qu’un jour ma fille marchera la nuit dans la rue, en minijupe et en décolleté, qu’elle fera seule le tour du monde, qu’elle prendra le métro à minuit sans avoir peur, sans même y penser. Le monde dans lequel elle vivra alors ne sera pas un monde puritain. Ce sera, j’en suis certaine, un monde plus juste, où l’espace de l’amour, de la jouissance, des jeux de la séduction ne seront que plus beaux et plus amples. A un point qu’on n’imagine même pas encore.

On  espère que cette "prophétie" se réalisera.


   

mercredi 3 janvier 2018

Adieu à un ami arbre.

Quand on est comme moi une amie des arbres, c'est toujours douloureux d'assister à la mort de l'un d'entre eux, surtout quand il est une sorte de symbole.


"On va jusqu'aux  deux arbres", c'était la distance minimum à parcourir pour une petite promenade d'aération quand il faisait trop froid pour se risquer plus avant sur la route qui finit en impasse deux kilomètres plus loin, au bord d'un lac. Tout le long un paysage vallonné où alternent petites futaies, champs labourés ces jours-ci avant de se couvrir de blé ou de colza ou de tournesol et la ferme où s’ébattent les oies et les poules en toute liberté. Toujours, les deux arbres nous donnaient accès à une perspective au delà de leurs silhouettes placides.


Et voilà qu'il n'y en a plus qu'un, esseulé. Son jumeau a été abattu par les vents violents qui ont harcelé notre colline ces derniers jours. Il git, lamentable, ses énormes racines rompues, déchirées. L'autre a quelques branches en instance de rupture mais il a résisté. Il faut dire que les labours profonds qui creusent la terre alentour malmènent les racines et toute la tapisserie cellulaire qui leur permet de bien vivre. De sorte que je crains pour la survie de son alter ego.



Bien-sûr, au regard de tous les désastres qui ravagent la planète, c'est un tout petit malheur mais j'ai ressenti une profonde tristesse. La perte d'un ami.

lundi 1 janvier 2018

Une nouvelle année ? On reprend les mêmes ami.e.s et on continue


Trouvé en conclusion du dernier livre de Françoise Héritier paru en octobre 2017 soit un mois avant sa disparition*
"J'ai toujours rendu un culte à l'amitié. En réfléchissant bien, je pense être spontanément plus proche des femmes que des hommes. Du côté masculin, j'ai cependant deux amis à qui je peux pratiquement tout dire pour des raisons et sur des sujets différents (...) Il n'y a guère de plus grande satisfaction que celle d'avoir passé quelques heures dans une conversation à bâtons rompus , pleine de vivacité , de renversements , de tête-à-queue, de retours en arrière, de mots d'esprit, de fous rires, de mines offusquées... avec une amie. Ce sont des moments de grâce et de grande vérité; On écoute, on admire, on compatit, on se confie, on fait confiance, on s'abandonne, on rit de bon cœur, on se moque gentiment, on dit: "tu te souviens du jour où...?" C'est délicieux. Cela dure toute la vie. je ne recherche rien tant que cette simple amitié-là, sans arrières-pensée, sans chausse-trapes, sans ambiguïté, simplement parce que c'est nous et qu'on s'aime. Montaigne avait su trouver les mots justes pour le dire." 

Je vous souhaite une année pleine des riches heures amicales

*Françoise Héritier, Au gré des jours, Paris, Odile Jacob, 2017.Prix spécial du jury, Femina 2017 .

jeudi 21 décembre 2017

Exercices d'admiration

 Pour introduire ce dernier billet de l'année, un peu de musique, justifiant en soi son titre



J'ai emprunté le titre à Cioran, que j'ai lu il y a fort longtemps et pas relu  depuis, sauf aujourd'hui pour me remémorer le contenu dont j'avais du moins retenu que Cioran n'y pratiquait pas une exécration comme à son accoutumée, mais une dissection fine des auteurs qu'il avait choisi d'élire pour cet opus. Bien-sûr sa sélection rassemble une belle brochette de tourmentés.. En sautant de Michaux à Fondane, je m'arrête au très bel hommage du Roumain à Maria Zambrano,  qui me donne furieusement envie de la lire. "Qui autant qu'elle, a le don, en allant au-devant de votre inquiétude, de votre quête, de laisser tomber le vocable imprévisible et décisif, la réponse aux prolongements subtils? Et c'est pour cela qu'on aimerait la consulter au tournant d'une vie, au seuil d'une conversion, d'une rupture, d'une trahison, à l'heure des confidences ultimes , lourdes et compromettantes, pour qu'elle vous révèle et vous explique à vous-même, pour qu'elle vous dispense en quelque sorte une absolution spéculative , et vous réconcilie tant avec vos impuretés qu'avec vos impasses et vos stupeurs".

Une de mes admirations va à  Françoise Héritier qui vient de mourir et on n'a pas sorti drapeaux et cérémonie officielle, toutes choses qu'elle n'aurait sans doute pas souhaitées. Elle est surtout connue pour ses thèses sur la domination masculine.


Mais c'est un autre de ses talents que je voulais honorer ici.  Après "Le sel de la vie, (Odile Jacob 2012), elle avait publié  cette année, une sorte de suite "Au gré des jours" que je lis en ce moment  à petites goulées et j'aime l’honnêteté de ces propos qui livrent par bribes des temps forts, enfouis sous l'épaisseur des jours,  et qui sont autant de petites secousses de plaisir, tant ils activent nos propres minuscules émotions ou nos émerveillements,  un mélange savoureux, entre anecdotes dérisoires et notations profondes.

 Mini florilège :"allier vitesse et prestesse pour attraper une mouche sur la table mais rater quand même piteusement son coup (:50),(...) avoir modérément apprécié une remarque de Lévi-Strauss à son propos: "Vous  avez un esprit d'homme" tout en sachant qu'il y voyait un compliment, mais avoir révéré et aimé cet homme au sage regard d'éléphante matriarche (j'adore ndr), surtout de profil, et qui ressemblait aussi parfois -quand il quittait en douce le laboratoire, courbé en deux, le corps un peu de travers, le pas pressé et le regard un peu en coulisse, notant tout, ne voyant rien - à l'illustre et génial Groucho (:56) (...) se refuser frileusement à tout idée de piercing, de tatouage, de ce qui marque définitivement le corps dans la souffrance acceptée (:59) (...) s'effrayer du nombre de fautes d'orthographe ou de syntaxe relevées dans les mails et les lettres reçus d'étudiants, de gens de lettres et même d'universitaires (60), user de borborygmes affreux et de grimaces au lieu de propos articulés quand on veut empêcher un gamin inconnu de vous importuner davantage qu'il ne le fait dans un train ou ailleurs (: 62). Je conseille cette lecture le matin pour se donner du cœur à l'ouvrage ou le soir pour entrer en toute sérénité dans  la nuit;

Pour conclure quelques pépites tirées d'un de mes philosophes préférés (qui ne se prend pas  sérieusement pour tel et c'est aussi son humilité qui me séduit), Georges Picard. Un très sympathique opus dédié à l'a lecture / écriture., "Cher lecteur" Corti, 2017


Là encore, tout le livre est un délice.:
"La manie d'encenser ou de flinguer un ouvrage en dix lignes ou en deux phrases est insupportable; malheureusement, les choses ne s'améliorent pas avec Internet où les éjaculations critiques des livres sont trop souvent d'une indigence et d'une sottise spectaculaires"..
Aïe, ne suis-je pas précisément en train de commettre ce forfait? En fait je ne publie jamais de critiques négatives à l'égard de livres ou de films. Ce ne sont chaque fois que des exercices d'admiration et tant pis s'ils sont maladroits 
 Les titres des livres de Picard, (tous publiés chez Corti, donnent à eux seuls l'esprit de leur auteur qui use d'une langue à la fois libre et rigoureuse. Un régal.
  •  Brèves Nouvelles du monde, 1986.
  • Variations sur le réel, 1988 (réédité par Corti en 2009).
  • Histoire de l’illusion, 1993.
  • De la connerie, 1994 (essai).
  • Du malheur de trop penser à soi, 1995.
  • Le Génie à l'usage de ceux qui n’en ont pas, 1996.
  • Tout m'énerve, 1997.
  • Pour les yeux de Julie, 1998.
  • Petit Traité à l’usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, 1999.
  • Le Vagabond appoximatif, 2001 (essai).
  • Crème de crimes, 2002.
  • Tous fous, 2003.
  • Le Bar de l'insomnie, 2004 (roman).
  • Du bon usage de l'ivresse, 2005.
  • Tout le monde devrait écrire, 2006.
  • Mais dans quel monde vivez-vous, 2007.
  • Le Philosophe facétieux, 2008.
  • Journal ironique d'une rivalité amoureuse, 2009.
  • L'Humoriste, 2010.
  • L'Hurluberlu ou la philosophie sur un toit, 2012.
  • Penser comme on veut, 2014.
  • Merci aux ambitieux de s'occuper du monde à ma place, 2015.
  • Le sage des bois, 2016.
  • Cher lecteur, 2017.
Revenons pour finir à Cioran qui conclut ainsi son livre Exercices d'admiration. Essais et portraits
(...) j'aurais dù choisir n'importe quel autre idiome, sauf le français, car je m'accorde mal avec son air distingué, il est aux antipodes de ma nature, de mes débordements, de mon moi véritable et de mon genre de misère. (...)Or c'est précisément à cause de cette incompatibilité que je me suis attaché à lui (...)
Aujourd'hui que cette langue est en plein déclin, ce qui m'attriste le plus c'est de constater que les Français n'ont pas l'air d'en souffrir. Et c'est moi, rebut des Balkans, qui me désole de la voir sombrer. Eh bien, je coulerai, inconsolable, avec elle !   

dimanche 10 décembre 2017

Adieu à notre idole bling bling




Je respecte l'être humain qui vient de rendre son dernier soupir et qui est pleuré par ceux qui l'aimaient. J'aurais moins d'empathie à l'égard de l'énorme mise en scène mélodramatique orchestrée à l'occasion de ses funérailles
Un héros Jojo ? Une icône certes mais de ces années de gabegie consumériste dont il a été en effet un parfait laudateur, un exemple flamboyant. Il a introduit le rock'n'roll en France ? Euh ! Il l'a mièvrisé oui, rendu populaire parce qu'il a collé des mots français sur une musique qui ne l'était pas. Il a ainsi favorisé l'entrée du cheval de Troie de « l'american way of life » dans une culture qui tordait le nez sur les ambitions de lucre, sur des valeurs de m'a-tu vu, de possession ostentatoire d'objets rutilants. Toute sa vie l'idole aura mis le feu, élaboré des shows clinquants qu'il animait de son style de toréador, le pubis tendu vers la foule, la démarche chaloupée du tombeur, pendant que la conquête des mœurs de ces Européens vieillots par tout le nouveau du nouveau d'outre atlantique leur tombait sur le râble, avec le culte de l'efficacité et tout le tremblement, qui n'en finit plus d'ébranler le modèle social construit au fil du temps.
Sur les ondes, on s'est extasié sur sa vie de « famille recomposée », cinq mariages dont des petites filles prises au berceau (19 ans pour Laeticia, la dernière en date, qui a résisté contre vents et marées, alors qu'on lui prédisait une éclipse rapide), sur ces transgressions qu'il a éventuellement revendiquées (la cocaïne), sur cette insouciance d'homme libre qui fait tout ce qu'il désire parce qu'il en a les moyens. Il a incarné au plus haut ce personnage de western , de lonesome cow boy (alors qu'il était rarement seul, poursuivi par tous ceux qui venaient chercher auprès de lui quelques poussières de paillettes) d'^homme puissant en dépit ou grâce à la fêlure fondamentale d'une enfance malmenée
Je suis mauvaise juge de l'artiste qu'il fut, son style trop éloigné de mes goûts, je ne connais que les chansons qui ont fait sa popularité et encore n'en retiendrai-je qu'une poignée dont Diégo (même si je préfère l'interprétation de France Gall). De plus je ne suis idolâtre de personne. j'ai des admirations mais je n'irai certainement pas m'agglutiner à une foule pour saluer le départ de qui que ce soit.
En revanche, je reconnais la puissance de « la bête de scène ». En cinquante sept ans de carrière (1960-2017) 184 tournées, 27 rentrées parisiennes et plus de 28 millions de spectateurs. Rien qu'en France, 696 représentations dans la capitale, dont  266 à l'Olympia, 144 au Palais des Sports, 101 à Bercy (dont huit avec Les Vieilles Canailles) et 78 au Zénith de Paris, deux fois au Parc des Princes (sept représentations) et trois fois au Stade de France (neuf concerts).
Johnny Hallyday s'est produit 2 813 fois en France et a donné plus de 3 256 représentations au cours de sa carrière, durant laquelle, il a chanté dans quarante pays différents. Chapeau l'artiste ! Quelle marathonien ! Il faut bien qu'il ait eu du talent pour traverser le temps en restant infailliblement en haut de l'affiche.
Il était le symbole de l'homme venu du « tiroir du bas « ( comme dit Bernard Tapis, un autre tycoon en proie aux métastases) qui parvient aux sommets de la gloire et  pour tous les gens modestes dont les vies sont insignifiantes au regard d'une époque intoxiquée de médiatisation wharolienne, incarne tous les possibles. Ses  chansons sont une consolation pour affronter les vents mauvais d'un quotidien besogneux. Johnny c'est la revanche des pauvres aussi bien que l'alibi des riches. Il a inauguré cette ère de la poudre aux yeux, des sommes exorbitantes versées aux saltimbanques de la scène ou du stade quand les petites mains qui traînent le matos ou nettoient les vestiaires ont à peine de quoi vivre. Il est arrivé juste après la guerre en pleine insouciance et inconscience des trente glorieuses qui voyaient débarquer les bagnoles rutilantes , le téléphone pour tous, la télé dans chaque salon et, bon an mal an l'espoir d'un avenir meilleur. Années 60 où les femmes étaient outrageusement maquillées et traitées comme des quiches sans cervelle et uniquement orientées vers la conquête du Prince charmant. Et Johnny, il avait tous les attributs pour faire rêver les midinettes. 


Hélas, on a dû déchanter, les nouveaux donjons se sont installés, les nouveaux maîtres du monde ont réaffirmé l'empire et toute une génération est passé directement du statut de saltimbanques à celui de princes, déclenchant par là-même un appétit de consommation savamment entretenu par les sirènes publicitaires, pendant que la planète commençait à tousser (1970, le club de Rome alerte et préconise la décroissance du modèle consumériste). Certains se sont tenus à l'écart de ce grand bastringue. JH lui a joué le jeu à fond, apportant son soutien à nos présidents de droite, cherchant le paradis fiscal. Il était généreux le zèbre parait-il, de cette générosité qui a ramené régulièrement sur les planches des Enfoirés pleins de compassion de circonstance mais accumulant par ailleurs les propriétés, les hochets de la frime, encourageant cet esprit typiquement américain du droit à un mode de vie non négociable.
J'ai un peu regardé les images de la cérémonie de la Madeleine. J'y ai vu un spectacle démoralisant, des dinosaures qui pleuraient surtout leur jeunesse enfuie, la fin d'une époque révolue qui va s'engloutir en même temps qu'eux qui l'ont cyniquement incarnée. C'est certain, il n'y aura plus de Johnny, la planète n'a plus les moyens de cette gabegie, inaugurée après Hiroshima et qui sombre au rythme des tweets de Trump.
Bon voyage, Jojo, tu étais sans doute un bon bougre mais vraiment, pardon pour cette dernière torpille lèse majesté, un terrible songe creux !


vendredi 8 décembre 2017

Chère Tania



Chère Tania,
J'ai eu le plaisir de vous rencontrer lors de mon dernier passage à Bruxelles. Vous m'avez fait découvrir le MIM (musée des instruments de musique), un lieu magnifique où se trouve un restaurant au dernier étage d'où on contemple la ville en savourant des plats très gouteux. Nous avons papoté comme on dit, parlé à bâtons rompus. Nous nous sommes quittées juste après le dessert, je devais me rendre à une réunion. Tania, fragile, mais animée de ce bonheur de lecture que nous avons évoqué puisque c'est ce qui nous a réunies toutes ces années où je suis allée régulièrement lire vos chroniques et où vous avez rarement manqué un rendez-vous sous l'arbre.
Je vous dédie ces extraits (j'ai dû choisir dans la pléthore de  réflexions dédiées à l'écriture et à la lecture) trouvés chez un auteur que j'aime beaucoup, parce qu'il envisage la vie avec cette modestie nécessaire pour rester ouvert à toutes les fortunes du hasard.  J'utilise votre joli marque-pages.

"Les romans sont déjà une interprétation du réel, assumée, sublimée, poétisée. Nous les lisons avec notre propre pouvoir d'interprétation. Ce dédoublement (le lecteur interprète l'interprétation de l'auteur) fait diverger l'imagination vers des mondes où les faits ont une nature différente de leurs homologues réels (...) Nos meilleurs amis ou ennemis, nous les trouvons souvent dans les livres : ces "personnages de papier" ont le talent d'exister superlativement quand les gens en chair et en os n'existent qu'approximativement et, trop souvent,médiocrement. (...)
L'une des supériorités de l'expression écrite sur l'expression orale, c'est sa capacité de précision et de nuances pour approcher une idée difficile (et d'une certaine façon elles le sont toutes dès que l'on se donne la peine, ou plutôt le plaisir, de les creuser un peu), il faut avancer prudemment, avec circonspection et lenteur, examiner, nuancer et nuancer encore, démarche évidemment contradictoire avec ce que demande une bonne partie des auditeurs, voire des lecteurs. Les orateurs ont généralement tout à gagner à donner l'apparence de la certitude. Ceux qui hésitent se disqualifient eux-mêmes face à des auditoires avides d'idées faciles à assimiler et à retenir. (...) 
Dans un ouvrage littéraire, l'abondance des précisions s'appelle pédantisme. Mieux vaut que l'auteur parie sur l'intelligence du lecteur pour remplir les vides qu'il a volontairement refusé de combler. Mieux vaut accorder beaucoup à l'intuition, au paradoxe, à l'humour qui ménagent le plaisir du jeu intellectuel autant que  la probité d'une écriture ouverte. (...) 
Quand un ouvrage au service d'une thèse ne considère jamais avec honnêteté, sinon avec une bienveillance de principe, les arguments contraires, la messe dogmatique est dite. (...) 
Ce qui m'intéresse en tant que lecteur, c'est ce  qui élargit mon intelligence et ma sensibilité, c'est-à-dire ce que je ne trouve pas en moi-même, ce à quoi je n'avais pas pensé. Écrivain, ne cherche pas à me convaincre ou à me plaire. N'en fais qu'à ta tête. Ne pense pas à moi quand tu écris.Si tu veux aider les hommes, engage-toi dans une association humanitaire ou en politique. Mais dans le temps de la création, fouille tes tripes et ta cervelle sans te préoccuper de savoir si tu peux être utile. Sois inutile, car c'est d'inutilité dont nous manquons le plus, de pur désintéressement."

Quoi de plus désintéressé, chère Tania, que nos aventures blogueuses ?
Bien à vous

Extraits,  Georges Picard "Cher lecteur"  Editions Corti, 2017