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vendredi 8 décembre 2017
Chère Tania
Chère Tania,
J'ai eu le plaisir de vous rencontrer lors de mon dernier passage à Bruxelles. Vous m'avez fait découvrir le MIM (musée des instruments de musique), un lieu magnifique où se trouve un restaurant au dernier étage d'où on contemple la ville en savourant des plats très gouteux. Nous avons papoté comme on dit, parlé à bâtons rompus. Nous nous sommes quittées juste après le dessert, je devais me rendre à une réunion. Tania, fragile, mais animée de ce bonheur de lecture que nous avons évoqué puisque c'est ce qui nous a réunies toutes ces années où je suis allée régulièrement lire vos chroniques et où vous avez rarement manqué un rendez-vous sous l'arbre.
Je vous dédie ces extraits (j'ai dû choisir dans la pléthore de réflexions dédiées à l'écriture et à la lecture) trouvés chez un auteur que j'aime beaucoup, parce qu'il envisage la vie avec cette modestie nécessaire pour rester ouvert à toutes les fortunes du hasard. J'utilise votre joli marque-pages.
"Les romans sont déjà une interprétation du réel, assumée, sublimée, poétisée. Nous les lisons avec notre propre pouvoir d'interprétation. Ce dédoublement (le lecteur interprète l'interprétation de l'auteur) fait diverger l'imagination vers des mondes où les faits ont une nature différente de leurs homologues réels (...) Nos meilleurs amis ou ennemis, nous les trouvons souvent dans les livres : ces "personnages de papier" ont le talent d'exister superlativement quand les gens en chair et en os n'existent qu'approximativement et, trop souvent,médiocrement. (...)
L'une des supériorités de l'expression écrite sur l'expression orale, c'est sa capacité de précision et de nuances pour approcher une idée difficile (et d'une certaine façon elles le sont toutes dès que l'on se donne la peine, ou plutôt le plaisir, de les creuser un peu), il faut avancer prudemment, avec circonspection et lenteur, examiner, nuancer et nuancer encore, démarche évidemment contradictoire avec ce que demande une bonne partie des auditeurs, voire des lecteurs. Les orateurs ont généralement tout à gagner à donner l'apparence de la certitude. Ceux qui hésitent se disqualifient eux-mêmes face à des auditoires avides d'idées faciles à assimiler et à retenir. (...)
Dans un ouvrage littéraire, l'abondance des précisions s'appelle pédantisme. Mieux vaut que l'auteur parie sur l'intelligence du lecteur pour remplir les vides qu'il a volontairement refusé de combler. Mieux vaut accorder beaucoup à l'intuition, au paradoxe, à l'humour qui ménagent le plaisir du jeu intellectuel autant que la probité d'une écriture ouverte. (...)
Quand un ouvrage au service d'une thèse ne considère jamais avec honnêteté, sinon avec une bienveillance de principe, les arguments contraires, la messe dogmatique est dite. (...)
Ce qui m'intéresse en tant que lecteur, c'est ce qui élargit mon intelligence et ma sensibilité, c'est-à-dire ce que je ne trouve pas en moi-même, ce à quoi je n'avais pas pensé. Écrivain, ne cherche pas à me convaincre ou à me plaire. N'en fais qu'à ta tête. Ne pense pas à moi quand tu écris.Si tu veux aider les hommes, engage-toi dans une association humanitaire ou en politique. Mais dans le temps de la création, fouille tes tripes et ta cervelle sans te préoccuper de savoir si tu peux être utile. Sois inutile, car c'est d'inutilité dont nous manquons le plus, de pur désintéressement."
Quoi de plus désintéressé, chère Tania, que nos aventures blogueuses ?
Bien à vous
Extraits, Georges Picard "Cher lecteur" Editions Corti, 2017
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