dimanche 10 décembre 2017

Adieu à notre idole bling bling




Je respecte l'être humain qui vient de rendre son dernier soupir et qui est pleuré par ceux qui l'aimaient. J'aurais moins d'empathie à l'égard de l'énorme mise en scène mélodramatique orchestrée à l'occasion de ses funérailles
Un héros Jojo ? Une icône certes mais de ces années de gabegie consumériste dont il a été en effet un parfait laudateur, un exemple flamboyant. Il a introduit le rock'n'roll en France ? Euh ! Il l'a mièvrisé oui, rendu populaire parce qu'il a collé des mots français sur une musique qui ne l'était pas. Il a ainsi favorisé l'entrée du cheval de Troie de « l'american way of life » dans une culture qui tordait le nez sur les ambitions de lucre, sur des valeurs de m'a-tu vu, de possession ostentatoire d'objets rutilants. Toute sa vie l'idole aura mis le feu, élaboré des shows clinquants qu'il animait de son style de toréador, le pubis tendu vers la foule, la démarche chaloupée du tombeur, pendant que la conquête des mœurs de ces Européens vieillots par tout le nouveau du nouveau d'outre atlantique leur tombait sur le râble, avec le culte de l'efficacité et tout le tremblement, qui n'en finit plus d'ébranler le modèle social construit au fil du temps.
Sur les ondes, on s'est extasié sur sa vie de « famille recomposée », cinq mariages dont des petites filles prises au berceau (19 ans pour Laeticia, la dernière en date, qui a résisté contre vents et marées, alors qu'on lui prédisait une éclipse rapide), sur ces transgressions qu'il a éventuellement revendiquées (la cocaïne), sur cette insouciance d'homme libre qui fait tout ce qu'il désire parce qu'il en a les moyens. Il a incarné au plus haut ce personnage de western , de lonesome cow boy (alors qu'il était rarement seul, poursuivi par tous ceux qui venaient chercher auprès de lui quelques poussières de paillettes) d'^homme puissant en dépit ou grâce à la fêlure fondamentale d'une enfance malmenée
Je suis mauvaise juge de l'artiste qu'il fut, son style trop éloigné de mes goûts, je ne connais que les chansons qui ont fait sa popularité et encore n'en retiendrai-je qu'une poignée dont Diégo (même si je préfère l'interprétation de France Gall). De plus je ne suis idolâtre de personne. j'ai des admirations mais je n'irai certainement pas m'agglutiner à une foule pour saluer le départ de qui que ce soit.
En revanche, je reconnais la puissance de « la bête de scène ». En cinquante sept ans de carrière (1960-2017) 184 tournées, 27 rentrées parisiennes et plus de 28 millions de spectateurs. Rien qu'en France, 696 représentations dans la capitale, dont  266 à l'Olympia, 144 au Palais des Sports, 101 à Bercy (dont huit avec Les Vieilles Canailles) et 78 au Zénith de Paris, deux fois au Parc des Princes (sept représentations) et trois fois au Stade de France (neuf concerts).
Johnny Hallyday s'est produit 2 813 fois en France et a donné plus de 3 256 représentations au cours de sa carrière, durant laquelle, il a chanté dans quarante pays différents. Chapeau l'artiste ! Quelle marathonien ! Il faut bien qu'il ait eu du talent pour traverser le temps en restant infailliblement en haut de l'affiche.
Il était le symbole de l'homme venu du « tiroir du bas « ( comme dit Bernard Tapis, un autre tycoon en proie aux métastases) qui parvient aux sommets de la gloire et  pour tous les gens modestes dont les vies sont insignifiantes au regard d'une époque intoxiquée de médiatisation wharolienne, incarne tous les possibles. Ses  chansons sont une consolation pour affronter les vents mauvais d'un quotidien besogneux. Johnny c'est la revanche des pauvres aussi bien que l'alibi des riches. Il a inauguré cette ère de la poudre aux yeux, des sommes exorbitantes versées aux saltimbanques de la scène ou du stade quand les petites mains qui traînent le matos ou nettoient les vestiaires ont à peine de quoi vivre. Il est arrivé juste après la guerre en pleine insouciance et inconscience des trente glorieuses qui voyaient débarquer les bagnoles rutilantes , le téléphone pour tous, la télé dans chaque salon et, bon an mal an l'espoir d'un avenir meilleur. Années 60 où les femmes étaient outrageusement maquillées et traitées comme des quiches sans cervelle et uniquement orientées vers la conquête du Prince charmant. Et Johnny, il avait tous les attributs pour faire rêver les midinettes. 


Hélas, on a dû déchanter, les nouveaux donjons se sont installés, les nouveaux maîtres du monde ont réaffirmé l'empire et toute une génération est passé directement du statut de saltimbanques à celui de princes, déclenchant par là-même un appétit de consommation savamment entretenu par les sirènes publicitaires, pendant que la planète commençait à tousser (1970, le club de Rome alerte et préconise la décroissance du modèle consumériste). Certains se sont tenus à l'écart de ce grand bastringue. JH lui a joué le jeu à fond, apportant son soutien à nos présidents de droite, cherchant le paradis fiscal. Il était généreux le zèbre parait-il, de cette générosité qui a ramené régulièrement sur les planches des Enfoirés pleins de compassion de circonstance mais accumulant par ailleurs les propriétés, les hochets de la frime, encourageant cet esprit typiquement américain du droit à un mode de vie non négociable.
J'ai un peu regardé les images de la cérémonie de la Madeleine. J'y ai vu un spectacle démoralisant, des dinosaures qui pleuraient surtout leur jeunesse enfuie, la fin d'une époque révolue qui va s'engloutir en même temps qu'eux qui l'ont cyniquement incarnée. C'est certain, il n'y aura plus de Johnny, la planète n'a plus les moyens de cette gabegie, inaugurée après Hiroshima et qui sombre au rythme des tweets de Trump.
Bon voyage, Jojo, tu étais sans doute un bon bougre mais vraiment, pardon pour cette dernière torpille lèse majesté, un terrible songe creux !


9 commentaires:

patrick.verroust a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
patrick.verroust a dit…

Label Zoë ,

Bravo l'artiste, vous réussissez une démolition de clichés, déjà jaunis, à laquelle j’adhère, totalement...L'obscénité a atteint sont apogée quand des journaleux indécents ont comparé l'affreux jojo, flambeur paumé et macho à un "travailleur pauvre" avec son train de vie à plus de 300 000 €/mensuel ses nombreuses propriétés dans des ghettos à pailles et poutres d'or pour en jeter plein les yeux....Le travailleur pauvre est, souvent, un fan de ce gigolo..Le Johnny a l'ID courte , aux multiples Déesses, bien carrossées qu'il cassa à grand fracas de tôles comme tous ses jouets....Misère, pas très jojo, tout çà....Mais il vous a donné l’occasion d'un article splendide, une charge qui dépasse le bonhomme et le contextualise à sa juste place...Vous êtes la Déesse-phoenix des hôtes de ce bois...de justice où votre voix fait de symboliques et revigorantes pendaisons....

Zoë Lucider a dit…

@PV, merci fidèle fan :-) Cet article m'a tourné en tête toute une journée. J'ai fini par le mettre en boite.

patrick.verroust a dit…

Z...comme Zorro,

Voilà , l'idole des jeunes mise en boite au propre comme au figuré ....Je suis ébahi par le rapport à la mort dévoilé par cette pompe funèbre...Hormis les récupérations politiques qui créent une apparence consensuelle entre les tiroirs caisse du bas et les détrousseurs patentés (plutôt très tentés, en fait) qui laissent entendre qu'ils sont aussi "Johnny" comme ils sont "Charlie"..
Ce doit être important d'être inhumé à Saint Barth, face à la plage en bord de mer pour pouvoir la regarder de ce cimetière marin . la z'antille Sylvie à qui il dit "vartan avant que je me fâche"..trouve qu'il sera bien loin...Mais le Johnny s'était fait son paradis terrestre, il est logique qu'il se soit rapproché du tropique du cancer...Drôle de tropisme, tout çà...Pour ce qui me concerne, je ne souhaite pas être inhumé, je ne connais pas de cimetière marrant d'autant en emporte le vent qu'avec mon mauvais esprit, je ferai rire les macchabées...au grand dam des morts vivants, errants en quête de sens, sans décence aucune...

Hypathie a dit…

Super article très inspiré ! C'est tout à fait ça, et je ne suis pas experte en chansonnette ni en rock'n roll, même si JH fait clairement partie de la bande son de ma jeunesse et de ma vie comme on dit, mais comment aurait-il pu en être autrement ? 700 Harley Davidson ! Quel enterrement carboné tout de même :(

La Mère Castor a dit…

j'ai échappé aux (évité les) diffusions, cérémonies, émissions et autres pleurs médiatiques, merci pour ce billet bien troussé et bien inspiré.

Zoë Lucider a dit…

@PV et quelle mise en boite!
@Hypathie, enterrement à l'image de sa démesure.
@La Mère Castor, Johnny t'a attirée sous l'arbre ? :-)

Dominique Autrou a dit…

Ah mais je l'aimais bien Johnny ! À égalité avec Claude François et Raymond Poulidor.
Bah, c'est irrationnel, il faut traverser la France par les départementales pour comprendre ça...

Zoë Lucider a dit…

@DH, ce n'est pas tant Johnny que je fustige que tout le bling bling qui l'a et qu'il a suscité. Mais vous avez le droit d'aimer la France des diagonales :-)