samedi 11 avril 2015

Osons rester humain. Les impasses de la toute puissance.

C’est en plongeant les masses dans le chaos que les élites peuvent aspirer à la stabilité de leur position… (Léo Strauss).

Cette citation ne fait pas partie de celles mises en exergue par Geneviève Azam dans son dernier ouvrage Osons rester humain. Les impasses de la toute puissance, mais elle correspond au fond de l'air du temps. Geneviève s'inscrit en résistance à la dominante  délétère qui régit nos sociétés, le désir de toute puissance, impliquant évidemment des stratégies de mise en coupe réglée du monde et de la majorité des humains qui l'habitent par une minorité possédant le savoir et les moyens de l'exercer.


 
Geneviève Azam est porte-parole d'Attac, membre du Conseil scientifique et très investie dans la lutte contre le réchauffement climatique ou encore contre les traités en négociation actuellement (TAFTA et autres joyeusetés).
Son essai est une analyse fine des différentes stratégies que l'humanité (du moins celle qui gouverne) met en œuvre pour échapper à sa fragilité intrinsèque. Les hommes refusent la mort (même s'ils l'infligent par ailleurs sans vergogne) et non seulement ils cherchent à la contrecarrer (ce qui est dirons-nous de "bonne guerre") mais ils tentent par les procédés "cyborg" d'ajouts de fonctionnalités de remplacement  (le cœur artificiel par exemple) et surtout de capacités supplémentaires aboutissant à "l'homme augmenté", de déjouer les mécanismes naturels, limites et finitude.
Le soubassement de ces stratégies est bien entendu l'illusion de la maitrise sur la nature qui a régi depuis l'avènement de l'ère industrielle le formidable développement machinique permettant de transférer sur des outils perfectionnés la charge de travail, physique dans un premier temps, et mental avec l'avènement de l'électronique tout en générant des surplus extraordinaires. Le transfert permet même désormais de se passer du travail humain comme le niveau de chômage le montre actuellement dans les pays développés. On peut produire plus en travaillant moins mais les gains de productivité ne se soldent pas par un allègement du travail mieux réparti mais par l'éjection des travailleurs du circuit de production.
Par ailleurs, la croissance à tout va   trouve ses limites, la nature ne se laisse pas si aisément manipuler et les déprédations qu'elle subit ont un effet boomerang fâcheux sur la vie humaine. Pollutions de l'air, de l'eau, changement climatique,biodiversité en régression, maladies induites autant de résultats qui mettent à mal la foi dans le progrès. D'autant que l'avidité des "maîtres du monde" résulte en une montée exponentielle des inégalités et des troubles sociaux  contingents.
Le désir d'échapper aux effets de notre appartenance à la nature conduit même à rechercher les solutions pour créer la vie en dehors des voies naturelles. L'individu cyborg, n'aurait plus à se préoccuper de procréation. Fécondation in vitro, voire clonage (le rève des egos boursouflés)  et utérus artificiel feraient bien l'affaire. Les femmes "enfin libérées" de  leur rôle de pondeuse pourrait "enfin" espérer à l'égalité parfaite avec les hommes.
Geneviève Azam cite quelques auteures que cette perspective séduit, voire enchante. Pour ma part, je me range à ses côtés quand elle refuse la vision  du "corps prison" qui serait celui des femmes contraintes par leur rôle biologique ( souffrir pour accoucher,) quand on peut au contraire le considérer comme un privilège. Quiconque a accouché, par les voies naturelles, sait bien que la douleur n'est rien au regard de l'émotion d'accueillir un petit cosmonaute de l'infini. Encore faut-il aimer le monde dans lequel on lui fait prendre pied.
"Le pouvoir de vie a été occulté dans la tradition occidentale alors que nombre de recherches ethnologiques montrent qu'il est l'objet de l'envie des hommes, exprimée souvent  dans des rites d'initiation, dirigés par des hommes, faisant renaître les jeunes gens après les avoir symboliquement tués. Pourquoi alors la persistance de l'assignation des femmes à un manque fondateur"  (p146).
Évidemment, ces perspectives représentent des marchés juteux. Après avoir considéré la nature comme un objet inerte qu'on pouvait manipuler en toute impunité, l 'économie s'empare de la vitalité même pour la marchandiser . Brevetabilité du vivant par exemple : on décrète que telle espèce devient propriété privée dès lors qu'on a mis en évidence ses vertus et qu'on a décidé de les mettre en marché. On crée un marché des échanges carbone, on évalue et mesure les services rendues par la nature. Enfin et surtout la biogénétique offre des perspectives immenses dès lors qu'on cherche à "améliorer" donc sélectionner, redimensionner, les  données génétiques. 
Heureusement des résistances s'organisent. Au délit de toute puissance s'oppose la recherche d'alliances pour inventer des coalitions de chercheurs du "bien-vivre" En fait, la période actuelle place en état d'urgence l'humanité, elle tente de se donner un autre modèle de comportement à l'échelle planétaire
"Ce livre est traversé à la fois par l'accablement devant le déchirement du monde et le réconfort tiré des milliers d'utopies concrètes qui font face aux catastrophes en cours. Nous sommes dans un entre deux, entre un monde qui se défait et des mondes qui s'inventent". 
Oser rester humain c'est accepter notre fragilité et refuser le délire de toute puissance qui en réalité aboutit à une forme de fascisme basé sur l'illusion d'un surhomme, produit de manipulations génétiques et d'adjonctions de mécanismes exogènes et son corolaire, l'exclusion de tous ceux qui ne correspondent pas à ce modèle.
Le livre de Geneviève Azam, clair, précis, documenté, est un magnifique plaidoyer pour la sauvegarde de notre fondamentale  humanité.
     

mardi 31 mars 2015

Tunis Forum Social Mondial 2015. Aperçus


Ci-dessous des extraits d'un article de Christophe Ventura
"Cette fois-ci, le FSM a jeté l’ancre dans un pays endeuillé par les attentats djihadistes du musée du Bardo et mis à mal par les multiples crises – économique, sociale, politique et géopolitique – qu’il affronte. (...)
Dans ce contexte, le bilan quantitatif du FSM est positif. Le choc du Bardo ne semble pas avoir affecté – ou peu – la participation à l’événement. C’est une victoire en soi. Être présent après les dramatiques évènements constituait un acte de solidarité politique et un test pour la crédibilité collective du FSM et du mouvement altermondialiste. Il est malaisé d’annoncer des chiffres vérifiables quant à la participation finale, mais celui de 50 000 personnes provenant de 125 pays circule et est largement repris (...)
le FSM ouvre un espace favorable au développement de liens, d’échanges et de transactions entre des mondes éloignés mais connectés, en recherche de complémentarités et de construction de relations profitables durables. De ce point de vue, il s’agit donc d’un espace utile. Utile, il l’est également parce qu’il est le seul disponible au niveau international.
Pour autant, le FSM ne constitue pas un pouvoir de la « société civile », et il évolue désormais dans des conditions historiques distinctes de celles qui ont présidé à sa création. (...) Il constitue ce moment où un « tout diversifié » conflue avant de se redéployer au travers des flux. (...)
"aujourd’hui, au FSM ou dans nos pays, le fait qu’il n’y ait pas de traduction politique de nos idées et de nos propositions aboutit à une nouvelle situation : nous produisons de la frustration ! »

Sans autre commentaire car je ne saurais mieux dire et après une semaine immergée dans les assemblées et une journée consacrée à ma seule personne (visite de Sidi Bou Saîd, je vous en reparlerai), je dois éplucher une avalanche de mails et autres délices. 

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Pour les détails et ceux que ça intéresse voir ici
Les gaz de schiste en Algérie et une manif d'enfants tunisiens ici

dimanche 15 mars 2015

Bêtes de foire

"A ceux qui restitueront sa poésie à la vie quotidienne, rien ne résistera." Raoul Vaneigem, (trouvé sur le Journal de Jane)

Hier, j'ai eu le plaisir de découvrir Bêtes de foire, un spectacle délicieux. Un petit chapiteau (jauge de 130 spectateurs). Au centre   une  piste où les deux artistes engagent le spectacle en nous fixant au travers d'énormes loupes de sorte que leurs bouches ou leurs yeux sont  monstrueux.
Cirque décalé, qui se moque de lui-même. Alternance de jonglage farfelu, de numéros de marionnettes - un fildefériste en métal, des danseurs étroitement enlacés-, un numéro de chien dressé absolument hilarant -le chien refuse toute injonction et se traine sur le ventre pour rejoindre son tabouret où il s'endort illico. Lui, Laurent Cabrol dégingandé au visage keatonnien se déplace en biais. Son numéro de jonglage buccal est extraordinaire - visage déformé par les balles de ping pong qu'il envoie ensuite en l'air à l'aide du souffle. Elle, Elsa De Witte, installée derrière une machine à coudre trifouille et manipule des morceaux de tissu et rythme avec le prix de la machine les péripéties de son partenaire. Les numéros se succèdent sur un mode foutraque alors qu'ils sont calés au millimètre. Pour conclure, Elsa apparait affublée d'un curieux justaucorps boursouflé, elle se plie en deux et deux marionnettes surgissent de sa métamorphose qui entament un fox trot endiablé.
Bref, à voir avec ses enfants et ses papys. Une belle tranche de rire et de poésie   


Bêtes de Foire - petit théâtre de gestes est le fruit de la rencontre entre Laurent Cabrol, circassien et Elsa De Witte, costumière-comédienne. Après avoir fait ses classes auprès d’Annie Fratellini, Laurent cofonde les cirques Convoi Exceptionnel et Trottola, tout en multipliant les rencontres artistiques : Raphaëlle Delaunay, cirque Romanès, Théâtre du Rugissant dans lequel il retrouve Elsa. Elle, elle vient de compagnies de théâtre de rue : Cie Babylone, les Alama’s Givrés et cultive son amour pour les histoires simples et populaires, tout en approfondissant un travail sur le détournement de matériaux usés, qu’ elle recycle et embellit.
Le spectacle est à l’image de leur parcours, un mélange de cirque, marionnettes, théâtre et danse. (extrait de la  présentation ici)

 

lundi 9 mars 2015

Le Sel de la Terre

Je n'avais pas encore vu le documentaire de Wim Wenders, "Le sel de la terre". Il passait aujourd'hui dans mon petit cinéma provincial à 14h30 et malgré le soleil resplendissant qui m'invitait plutôt à m'occuper du jardin, je ne voulais pas manquer cette découverte.
 Wim Wenders a rencontré Sebastião Salgado par une de ses photos, celle d'une femme touareg aveugle.

Wenders va entreprendre plusieurs années plus tard, en duo avec le fils du photographe Juliano de réaliser un documentaire - hommage à cet homme qui "aime les êtres humains et, après tout, ce sont les êtres humains qui forment le sel de la terre".
Le film débute par les images effarantes de la mine d'or de Serra Pelada au Brésil. Des cohortes d'hommes remontent sans fin des sacs de terre où git peut-être la pépite qui va les projeter dans une nouvelle vie. Il donne à voir cette concentration de "fourmis humaines" et la vie qui s'organise entre les 50000 hommes et femmes qui s’agglutinent autour de l'énorme trou. 

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Puis le beau visage de Sebastião Salgado émerge du noir et commente les images qui sont  des moments forts de sa vie de photographe mais aussi et surtout d'être humain frotté à des vies qui sont toutes faites de labeur (la main de l'homme) ou de malheur (Exodes) Le montage du film où alternent les photographies commentées par leur auteur, celles prises par d'autres qui le montrent, beau jeune homme avec sa femme Lélia  et les vidéos tournées par son fils, respecte la chronologie des ouvrages tirés de ses périples. 
Les prises de vue des pompiers canadiens tentant d'éteindre les puits de pétrole incendiés par Sadam Hussein au Koweit sont absolument inouïes.

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De l'Ethiopie aux côtés de Médecins du monde, du Congo, du Rwanda ou de la Yougoslavie, il photographie l'insoutenable. La mort provoquée par la famine organisée, la guerre, la folie des hommes,  « on est un animal féroce, notre histoire, c’est celle des guerres ». 
 
Au milieu des débâcles, dont il capture l'horreur surréaliste, il parvient à saisir les instants de tendresse entre un bébé et sa mère.
De cette période 1993- 1999, et particulièrement du génocide au Rwanda il sort malade, psychiquement et physiquement. Il a perdu toute espérance en l'espèce humaine.

C'est sa femme qui va lui redonner goût à la vie en lui proposant de reboiser les terres autour de la ferme parentale qui se sont délitées sous la sécheresse. C'est le projet de l'Instituto Terra
Il va se relancer dans la photographie mais cette fois pour aller à la rencontre des peuples et des animaux qui vivent en harmonie avec la nature ce qui donnera le magnifique "Génésis" 

En commentant la photo d'une d'une vieille tortue des Galapagos il fait l'hypothèse qu'elle a rencontré Darwin
  
tortue
Et constate la troublante ressemblance de la patte de l'iguane et celle des chevaliers du Moyen Age bardés de cottes de mailles

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Un des épisodes drôles du film est celui de  de la reptation pour contourner un ours blanc qui barre la route vers les phoques qu'il faut approcher suffisamment pour en tirer un portrait aussi puissant.

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Ce film est plus qu'un documentaire, il est l'hommage d'un artiste à un autre artiste qui écrit avec la lumière , un langage universel qui peut être lu par tous les humains pour y décrypter  les grandeurs et misères de la condition humaine.
Merci monsieur Wenders

 Merci monsieur Salgado,
(voir ici )

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jeudi 26 février 2015

Philippe Lançon est bien vivant !


J'ai envie de relayer ce très beau texte de Philippe Lançon publié sur le site d'Altermonde-sans-frontières qu'il clôture avec cette Chaconne divinement interprétée.