Un jour, Jean Cocteau rencontre Charles Chaplin (avec Paulette Godard) sur un bateau vers la Chine. Il raconte leur voyage (là).
Lorsque Cocteau l'interroge sur ses "crises de tristesse", Charlie
répond : "Je suis triste parce que je suis devenu riche en jouant un
rôle de pauvre."(emprunté à Thomas Vinau).
Chaplin est mort le 25 janvier 1977.
Aujoud'hui, le jour des morts, j'ai retrouvé un poème que j'avais écrit à ma maman parce que j'étais loin, à l'étranger, que je n'allais pas revenir de sitôt, que je la savais triste et seule. Ce poème, je l'ai lu le jour où son corps a disparu dans les flammes, pour l'accompagner dans son dernier voyage. J'avais ajouté quelques mots de circonstance. Je le livre ici dans sa version originale retrouvée ce jour dans un calepin que j'avais égaré. Je l'illustre d'un dessin maladroit, mais que j'aime car j'y retrouve les traits de ma maman, disparue en 1993, la même année que Fellini et Ferré, Une annus horribilis.
Ma mère,
déjà, nichée dans
ta grotte
battue des marées
de ton sang,
j’écoutais le
tumulte du monde,
tendrement voilé de
tes membranes,
drapées autour du
petit ver,
nourri de tes
salives.
Tu as eu de belles
mamelles, ma mère
où se sont pendus
tes petits
couverts de duvets
bleus.
Notre gravité
accrochée à tes membres,
nous tournions dans
le rayonnement de tes yeux,
tes yeux gris,
verts, semés de pépites,
que le temps a
cerclés de ses bagues violines,
ces sillons creusés
à l’acide de tes larmes ,
au stylet de ton
rire.
Ton rire, ma mère
qui soufflait le
diable de la misère
comme nos brises
d’ouest
lavaient l’herbe
de nos champs,
ton rire intact
malgré le froid
qui te coupait les
jambes
quand tu partais, à
l’aube,
malgré la maladie
et la mort,
assiégeantes
infatigables
que tu conjurais,
parfois en vain
de tes mains
besogneuses,
malgré la honte et
l’injustice,
le sort des pauvres,
que leurs cœurs nus
et leurs bras lourds
à offrir à
l’envie.
Ta lutte, ma mère,
pour extirper tes
oiseaux de ces nids englués,
pour arracher tes
graines à ces terres stériles,
tu as usé ton bec
contre les coucous du malheur,
tu as fumé de ta
sueur et ton sang
le sol de notre
première pousse.
Je t’ai mangé ma
mère
avec l’horrible
inconscience des chenilles
dévasté ton champ
de verdure,
croqué les
bourgeons de ta vie.
C’est maintenant,
maintenant que je
touche
les cals et les
escarres de tes luttes,
ton corps alourdi de
tant de fardeaux,
maintenant,
je fonds de
tendresse et de honte.
Je veux à mon tour
déployer ma feuillée,
fouiller de mes
racines au plus profond du monde,
à mon tour freiner
la tempête,
distiller l’oxygène,
fertiliser de mes
mues de saison
l’aire de ton
automne.
J’ai su par toi
les mains ouvertes,
la générosité vraie,
le cœur offert, la
tolérance immédiate,
l’humilité,
pourtant la dignité,
maintenant,
que nous sommes
aussi sœurs,
que je sais le prix
que la vie ,
cette pie
rançonneuse
exige de ses
fidèles,
que je connais mieux
tes stations et tes
chutes ,
que je tombe
moi-même,
maintenant
que les enfants te
poussent
du ventre de tes
enfants
maintenant,
nous retournerons la
corne d’abondance.
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18 janvier 1978