dimanche 4 septembre 2022

Miscellanées

 

J'ai un peu de temps pour me remettre à lire des blogs, ce que j'ai peu pratiqué dernièrement . J'y retrouve ce plaisir de la découverte que je cultivais avec bonheur lorsque je tenais ma rubrique hebdomadaire du "vent des blogs". Bien entendu le choix de ces extraits est le reflet de leur résonance avec le cours de mes pensées. 

L’ange gardien de nos lectures, si grand, si expéditif économiseur de notre temps. Celui qui, devant un compte rendu enthousiaste, un titre qu’on nous vante, un livre qu’on hésite à acheter, nous souffle à l’oreille, gentiment, décisivement, toujours obéi: “Non. Pas celui-là! Laisse. Celui-là n’est pas de ton ressort. Celui-là n’est pas pour toi.”

Quand il m’est arrivé par la suite de me trouver dans l’obligation de le vérifier, je n’ai guère eu à revenir sur le bien-fondé de cette abstention spontanée. D’autant plus difficile à expliquer qu’elle se détermine sur des indices aussi dérisoires que capricieux: le titre du livre tout autant que la photographie de l’auteur, le créneau que la critique lui assigne dans la production littéraire, le ton de cette critique, la personnalité de ses thuriféraires et de ses ennemis. Tout volume mis dans le circuit semble être le lieu d’une émanation sui generis qui guide vers lui, en aveugle, toutes antennes alertées, un certain public et en écarte un autre, par l’effet d’une étrange sexualité littéraire.

Julien Gracq, Carnets du grand chemin, Éditions José Corti, 1992, pages 253/254.

déniché  sur le site le Cowboy et la Comtesse

 

Marilyn lisant Ulysses

Vu dernièrement sur France 4 "le doc stupéfiant " Marilyn femme d'aujourd'hui  "Cinq ans après le début de Me Too et soixante ans après sa disparition tragique, Le doc Stupéfiant affirme que Marilyn Monroe est une femme d'aujourd'hui. " Derrière le mythe hollywoodien du sex-symbol mondial, de la victime écorchée et ingénue, se cache une femme moderne, qui s'est emparée de son destin, a construit sa propre image et n'a pas hésité à balancer avant l'heure certains producteurs. Une femme émancipée, puissante et libre." 

Le mythe de la ravissante idiote, image plus conforme au stéréotype féminin des années 50, évidemment totalement stupide (le mythe, pas l'actrice). Marylin, au contraire fort intelligente, assoifée de savoir et sachant parfaitement utiliser son "corps outil", un corps qu'elle a façonné, décorseté, sexualisé à l'extrème. Mais c'est aussi Marilyn qui a imposé Ella Fidzgerald au Mocambo en pleine époque de ségrégation raciale. Le documentaire montre comment elle a dû se bagarrer pour faire pièce à la misogynie crasse qui régnait alors dans le milieu du cinéma. Est-ce que ça a progressé tant que ça ?  Interrogée, la réalisatrice Céline Sciamma n'en est pas convaincue. On se prend à rêver du rôle qu'elle lui aurait donné si elles avaient été contemporaines.

Voir l'article de Vanity Fair
   

Je suis d'une humeur mélancolique, la fin de l'été, un épisode de vertiges, qui semble être, ma foi très banal,  mais qui me handicappe (ne peux me pencher ou tourner la tête sans cette impression que la terre se dérobe), bref les mots de Christiane Singer, extraits de son dernier ouvrage, où elle rend compte des sa dernière année de vie m'ont paradoxalement redonné un peu d'énergie. Je les ai glanés sur le site de Jean Lavoué "L'enfance des arbres"  

Il n'y a qu'un crime, c'est de désespérer du monde.Nous sommes appelés à plein poumons à faire neuf ce qui était vieux, à croire à la montée de la sève dans le vieux tronc de l'arbre de vie. Nous sommes appelés à renaître, à congédier en nous le vieillard amer ! ! ! 

Christiane Singer Derniers fragments d'un long voyage

Evidemment, je ne rencontre pas que des choses agréables au cours de mes déambulations. Celle-ci par exemple m'a horrifié. Elle était dénoncée dans 50-50 Magazine 

 " Pornhub, l’un des plus grands sites pornographiques grand public au monde, a dévoilé ses « Trending Searches ». Parmi le top trois des recherches les plus courantes depuis la déclaration de guerre se trouvent « Ukrainian » et « War ». La fétichisation des femmes ukrainiennes est montée en flèche avec +110% de recherches en lien avec les Ukrainiennes, la guerre et la pornographie, comme par exemple : « refugee porn »« war porn », « Russian soldiers rape Ukrainian » (soldats russes violent une ukrainienne). Ces recherches montrent la dangerosité de l’accès non restreint à la pornographie, les contenus les plus horribles sont normalisés et même populaires !" 

Non seulement les Ukrainiennes vivent une époque d'horreur mais elles alimentent les pires fantasmes d'homoncules  navrants.

Egon Schiele. Femme avec un homoncule 1910

Les mots sont importants (lmsi) est un blog que je fréquente régulièrement. Les articles sont toujours documentés et traitent de sujets qui m'intéressent. Celui-ci par exemple sur "le féminisme universaliste"  ou comment
les forces politiques les plus réactionnaires et extrémistes, les plus étroitement et agressivement identitaires, se réclament de la « tradition française universaliste », et brandissent ces termes pour disqualifier voire criminaliser toute revendication égalitaire de la part des « racisé·e·s »,

Voir ici un article éclairant sur l'inanité d'opposer les féminismes.

A propos de féminisme, Virginie Despentes est à l'honneur avec son dernier titre "Cher connard". Les avis sont partagés, c'est normal, elle est tout sauf consensuelle. Avec un dispositif minimal, l'échange épistolaire entre une actrice déjantée, accro aux drogues dures  et atteinte de la redoutable cinquantaine qui signe en général le désamour de l'engeance masculine et donc des contrats et un écrivain en panne et alcoolique accusé de harcelement par son ex attachée de presse, VD passe en revue tous les maux de notre société. 


Elle réussit l'exploit de faire coexister la radicalité de son diagnostic sur les moeurs déglinguées d'une société addict à tous les produits autorisés
( l'alcool, les réseaux sociaux) ou interdits (dont l'héroïne)  et une empathie réelle avec chacun de ses personnages y compris le "connard" en question. L'échange s'engage dans les pires conditions, les insultes et peu à peu crée une nouvelle dépendance, le besoin réciproque de cet échange pour surnager dans une mouise qui les englue l'un comme l'autre et dont ils s'aident à se sauver. C'est une ode à la fraternité qui unit des humains même quand ils ne devraient pas se supporter, à la possibilité de la rédemption en quelque sorte. Le style de Despentes efficace mèle la délicatesse et la violence et si elle use du langage cru, c'est que c'est ainsi qu'on se parle sur le net et dans la vraie vie. 

Je vous fais grâce de la couverture du livre que je trouve hideuse. Mais il est vrai que je n'ai jamais été punk et que j'ai sans doute en moi une trace de culture bourgeoise qui distingue le bon goût du vulgaire.

Nobody is perfect!

Si vous ne connaissez pas Avishaî Cohen je vous recommande. j'ai écrit ce billet en sa compagnie


16 commentaires:

patrick verroust a dit…

Bonjour Zoë

Je fais partie d'un jury de sélection de livres. Cela oblige à lire sous contrainte, exercice très salutaire car il fait découvrir des univers envers lesquels l’appétence n'est pas spontanée.
Des deux de Little Rock, Marylin et Jane Russel, Jane a réussi à trouver un réel équilibre, Marylin sombra en tragedie...
C'est fou comme la modernité réécrit l'histoire, tragique dans son déroulement, instrumentalisée dans sa narration...L'historien F Durpaire mis en examen pour viol , devra-t-on orthographier son patronyme Dur-paire....????

patrick verroust a dit…

L'Histoire est travestie . Elle a autant de genres que d'idéologies. C'est dans l'air du temps. La vie est putassiere , çà c'est une constante....Je constate que les radios et aussi les "gens de peu" parlent beaucoup d'inciviltés, de violences, de manipulation médiatique, d'hyparsexualisation , de féminisme outrancier....J'ai entendu un débat radiophonique sur une radio bien connue qui s'interrogeait de savoir si le lesbianisme est une posture politique pour combattre le patriarcat, un rapport amoureux ou les deux....J'ai changé de poste où se narrait la tragique histoire d'une épouse cinquantenaire délaissée par son mari pour une jeune et splendide artiste. La cocue va pour s'expliquer avec l'ingénue. Elle en tombe amoureuse...Divorce, remariage de l'homme avec le tendron. Qui organise le mariage, choisit la robe de la mariée...etc..??? La délaissée , bien sur,Il y a des drames de l'abnégation méconnus.
Assumez vos origines quoique le bon goût ne soit pas l'apanage d'une classe au contraire du snobisme. Malgré son egotisme et son dandysme, j'aime les oeivres de Schiele qui issu de la petite bourgeoisie de chemins de fer menait grand train...tant qu'il a pu ! J'apprécie Klimt, et Dix...
Soignez vos vertiges , soyez vaillante pour déguster cette époque qui donne le tournis...Déguster ....un mot qui peut en cacher un autre...

Zoë Lucider a dit…

@ P.V. Jane la brune -qui était ma préférée à l'époque de la suprématie des blondes (fausses blondes pour la plupart)- n'a pas donné lieu à l'idolâtrie qui a piégé Marilyn. Elle a vécu jusqu'à presque 90ans.Mais Marilyn est toujours vivante dans la mémoire des hommes...

Zoë Lucider a dit…

@P.V.mes origines ne sont pas bourgeoises mais nous le sommes tous dès que nous avons un tant soit peu de culture, puisque c'est celle-là qui tient le haut du pavé. J'apprécie les peintres que vous citez qui sont pourtant très différents

patrick verroust a dit…

Je ne résiste pas au plaisir de vous narrer ma dernière pirouette avec les mots.
En voiture avec un neveu il remarque " Tiens un nouveau terrain de volley" , je rétorque, tristement , "c'est fou le nombre de terrains de volés , on ne retrouve ,jamais les coupables, ils s'introduisent par des portes dérobées..." ...ma bêtise est foncière !!!

Euterpe a dit…

On a réussi le pari de faire éclater en mille morceaux le féminisme et c'est bien dommage. Chaque chapelle est en guerre avec les autres et c'est navrant. Chacune a une priorité à défendre qui finit par ne plus être les droits des femmes à ne pas être réduites à leurs organes reproductifs. Ce qui était pourtant la lutte commune de base. Mais maintenant on a même remis en question la notion de femme. À partir de là, il n'y a plus de féminisme. Sans femme - et peu importe ses racines - pas de féminisme.De ce fait je n'aime pas "les féminismes" adjectivés. Mettre des adjectifs à "féminisme" crée des clivages, la peur de l'exclusion et la stigmatisation. Il me semble à moi que beaucoup de féministes sont manipulées par des intérêts totalement non-féministes ce qui les amène à ne plus chercher à sortir les femmes de leur statut de citoyen de seconde classe mais à être constamment en lutte avec leurs consoeurs.
J'adore la photo de Marilyn lisant. Cette femme devait être extraordinaire à connaître personnellement.

Zoë Lucider a dit…

@Euterpe, je suis bien d'accord, le féminisme ne devrait pas se conjuguer au pluriel. Il n'empèche que les racisées ne se reconnaissent pas dans le féminisme des femmes blanches, les écoféminismes reprochent aux historiques de chercher à rivaliser avec les hommes au lieu de défaire le masculinisme marqué par l'économie ultra libérale. Bref, guerres de chapelle en effet, surtout quand on cherche à avoir absolument raison. Despentes est plus nuancée bien que radicale.
Oui Marilyn lisant est émouvante et le documentaire qui lui était consacré dénonçait l'enfermement dans une une image le belle idiote qui l'avait poursuivie

Euterpe a dit…

C'est encore plus compliqué parce que toutes les racisées ne pensent pas pareil. Celles qui se démarquent des femmes dites blanches (parce que des mi-blanches et des mi-asiatiques, quart beur et tiers colorées, il en existe aussi) veulent absolument rester solidaires des hommes racisés qui de leur côté ne se solidarisent guère avec leurs dites soeurs (cf tous les hommes racisés qui se sont solidarisés avec DSK lors de l'affaire du même nom). Chez les historiques, toutes ne sont pas ultralibérales et toutes les écoféministes ne sont pas écolos. Quant à Virginie Despentes, elle cultive elle-même une certaine complaisance envers le patriarcat, Je la vois assez comme une victime du syndrome de Stockholm quand je lis ce qu'elle raconte sur les clients de la prostitution dans "KingKong Théorie". Du coup elle est très appréciée des proxénètes et trafiquants de femmes. D'autant qu'elle distingue la féministe bourgeoise bien-pensante de la féministe prolétaire qui serait une vraie de vraie genre elle-même a appartient au second groupe. Les féministes prolétaires, j'en connais. Elles n'ont pas pignon sur rue. Elles n'entonnent pas l'hymne de la prostitution qui libérerait les femmes. VD généralise à sa sauce comme cela l'arrange. Je l'aime bien et lis ses livres mais considère qu'elle raconte pas mal de conneries qui sont certes très vendeuses. D'où le fait que les patriarcaux ne lui ferment jamais la bouche.

Godart a dit…

J'aime bien Virginie Despentes et sa copine Béatrice Dalle, comme on dit, à elle deux ça dépote. J'aime bien son féminisme qui n'est pas gnan gnan. Plus réservé sur Avishai Cohen qui pour moi est un sous Miles Davis.

Dominique Hasselmann a dit…

@ Zoë Lucider : jolie photo de Marilyn, montrant que la lecture se marie aussi bien avec la beauté (un film sort encore sur elle à la fin du mois mais uniquement sur Netflix : bonjour le monopole des diffuseurs de séries !).

@ Godart : la contrebasse d'Avishai Cohen et sa musique ne peuvent être mis en parallèle ou comparaison avec Miles Davis ! ;-)

Zoë Lucider a dit…

@Euterpe, toute généralisation engendre des dégâts ostracisants. VD a le mérite d'avoir "popularisé" le féminisme au sens où son langage est accessible alors que beaucoup de théoriciennes du féminisme (quelle que soit leur "chapelle") s'expriment sur un mode universitaire dans des cénacles un peu trop confidentiels. Là encore, il faut de la nuance. Je pense en tout cas que les anathèmes n'ont jamais rien produit autre que des divisions stériles. J'essaie de les éviter.Les patriarcaux ont souvent tenté de fermer la bouche de VD mais elle a de la répartie.

@Godart féminisme gnan gnan koikes ? Avishaï Cohen et Miles Davis ne concourent pas dans la même catégorie comme le fait remarquer DH

@DH, Je ne suis pas abonnée à Netflix, estimant que j'ai déjà fort à voir avec ce qui circule sur le service public et quand il n'y a rien d'intéressant, je lis. Les jours passent si vite!

Godart a dit…

Il y a apparemment deux Avishai Cohen, le contrebassiste né en 1970, et le trompettiste né en 1978. Je parlais du trompettiste, d'où ma comparaison avec Miles Davis.

Euterpe a dit…

"alors que beaucoup de théoriciennes du féminisme (quelle que soit leur "chapelle") s'expriment sur un mode universitaire dans des cénacles un peu trop confidentiels" = pas faux !

Godart a dit…

L'occasion donc pour moi de découvrir le contrebassiste et de vous chuchoter un petit livre admirable que je viens de finir : "Comme nous existons" de Kaoutar Harchi collection Actes Sud.

carnets paresseux a dit…

Mais comme tout le monde a un avis sur tout
et surtout la rage de le faire savoir !

arrivé ici en rebondissant depuis chez l'ami Dominique, chère Zoé, je vais vous lire avec attention et plaisir (je pense, sans m'avancer) : palabrer n'augure rien de mal, bien au contraire, et les arbres ? qu'en dire de mieux ?

Zoë Lucider a dit…

@Godart Je ne connais pas le trompettiste, vous n'en n'avez pas vraiment vanté les qualités. j'irai écouter. Merci pour le chuchotement. Je note.

@Euterpe n'est-ce pas, nous sommes d'accord.

@carnets paresseux, merci du détour. A bientôt sous l'arbre. A noter que je suis moins prolixe que l'ami Dominique