Les propos de Toussaint Louverture dans sa déclaration du 29 août 1793 résonne (raisonne ?) terriblement en ces jours de misère superlative endurée par le peuple haïtien. C'est au sujet d'Haïti que j'entendis pour la première fois parler de mères nourrissant leurs enfants de galettes de terre. Je ne connais pas Haïti mais je suis allée en Jamaîque juste après le passage du cyclone Gilbert qui avait dévasté l'île. Cela faisait deux mois que le vent soufflant à quelques 300 km/ heure avait commis ses ravages et les scènes étaient encore apocalyptiques à certains endroits avec notamment des arbres géants qui avaient basculé en éviscérant le sol et en exhibant des racines hautes comme des immeubles. Le cyclone avait tué beaucoup de gens et la plupart des réseaux avaient été endommagés. J'étais arrivée à Kingston en même temps qu'une équipe de malabars dépêchée par les Etats Unis pour remettre en état les infrastructures. Mais le désastre n'avait rien de comparable à celui qui vient de s'abattre sur Haïti. Le cyclone avait traité les cahutes comme fétus de paille mais les immeubles plus solides avaient résisté et le gouvernement avait pu continué à fonctionner et coordonner l'aide internationale.
La situation telle qu'elle apparaît en Haïti est au-delà de l'imaginable. Cette misérable communauté n'a pas connu de répit depuis que les peuples de la Caraïbe ont eu affaire à ce cher Christophe, puis aux Anglais, Français et autres pirates, filous qui y installaient leurs bases de repli, de trafic, y transplantaient des Noirs (le père de Toussaint originaire du Dahomey). Cette maigre population (moins de 10 millions) dont un tiers dit-on vient d'être soit ensevelie, soit blessée, dépossédée, anéantie de douleur, hagarde et affamée, aura subi sans discontinuer les pires régimes de terreur, le pillage, la corruption, la dévastation de ses terres.
Tout cela est bien connu et en même temps ignoré, tenu en lisière des fondamentaux de la pensée internationale.
J'écoutais ce matin Régis Debré faire état des préconisations que la commission qu'il avait présidée avait émises et qui étaient restées, sans surprise, lettre morte. (Haïti et la France, rapport à Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, Editions de La Table ronde, 2004). Gageons que notre Sarkoman après un petit tour de piste rangera aux oubliettes ce territoire minuscule et sans grand intérêt stratégique désormais.
Comment imaginer qu'un pays déjà si indigent puisse se relever d'une telle catastrophe.
On envoie en même temps que l'aide alimentaire des garnisons pour en sécuriser l'acheminement. Il ne s'agit pas de la force onusienne, mais encore une fois de troupes américaines qui décidément sont à ce point pléthoriques qu'elles se trouvent toujours les premières sur tous les fronts (en même temps ou juste à la suite des caméras de télévision).
Pourtant les Yankees ne sont pas particulièrement chers au coeur des Haïtiens qu'ils ont tenu sous le joug d'une occupation directe de 1915 à 1934. Est-ce bien raisonnable ?
Non, on peut craindre, une fois encore, qu'à la suite du tremblement de terre, ce ne soit pas la félicité qui s'installe en Haïti.
On est vraiment mort quand il n'y a personne pour se rappeler notre nom sur cette terre. Dany Lafferrière.
Illustration Forteresse de la paix, par Préfète Duffaut (1977). Collection de Michel Monnin (Galerie Monnin).