J'ai cherché les synonymes au terme puissance pour y trouver ce qui avait pu autoriser Marie Ndiaye à qualifier les trois personnages (le terme d'héroïnes serait impropre) de son opus, élevé lui, à la puissance du Goncourt. "Domination", "empire", "force","efficacité", énergie", "pouvoir" voire "potentialité". Or, après avoir refermé le livre, ces "Trois femmes puissantes" me donnent le sentiment d'avoir été, moi, grugée. "Trois femmes qui disent non". Ah ? Vraiment ?
La première, Norah, finit par se soumettre au désir du père et renonce à sa situation d'avocate vivant dans un pays libre, pour obéir à l'impérium du père, vieil homme ruiné sur la terre natale, en Afrique, qui après avoir assassiné la dernière de ses nombreuses femmes, en a fait porter la responsabilité à son fils adoré et a convoqué sa fille pour qu'elle s'occupe de la défense de son frère. "Pourquoi serait -elle venue se nicher dans le flamboyant si ce n'était pour établir une concorde définitive. Son souffle était alangui, indolent. Il entendait le souffle de sa fille et n'en éprouvait pas d'irritation. " Ainsi se conclut la première histoire de femme puissante.
De la seconde, on ne sait pas grand chose si ce n'est qu'elle a suivi un grand flandrin blond dont elle avait un enfant pour s'établir en France dans une petite vie mesquine où elle ne peut rien faire, sinon être la femme de cet homme qu'elle ne désire plus. Il a eu maille à partir avec le lycée qui les employaient l'un et l'autre, en Afrique et tous deux sont venus en France après qu'il l'a abusée sur les perspectives qui les y attendaient. Nous sommes surtout embarqués dans la rumination du mari en question, dont les détails sont filandreux et quelques fois très ennuyeux. Il a le crime de son père sur la conscience et il est lui-même habité d'un désir de meurtre, auquel il finit pas résister, de même qu'il se débarasse de sa relation malade avec sa mère. Quand donc va-t-elle enfin se manifester la puissance de Fanta, en dehors de cette obstination à se refuser à cet homme? Il faut ajouter foi aux quelques lignes qui clôturent le châpitre. Elle a gagné une bataille sans la livrer et retrouvé le sourire et le lecteur sa liberté de passer au chapitre suivant.
La troisième, Khady Demba, puise dans l'incantation de son nom des ressources de vitalité dont elle a bien besoin pour affronter l'iniquité absolue dans laquelle elle tente de survivre, essentiellement en s'absorbant dans une sorte de jouissance de la solitude et de la rêverie. Après n'avoir songé et organisé sa libido que dans le désir d'enfanter, et en vain, quand son mari meurt brutalement, elle se retrouve reléguée par sa belle-famille qui l'expédie vers la France, du moins vers ces filières qui drainent les malheureux candidats à l'immigration. Un instinct de survie lui fera sauter de l'embarcation pourrie sans doute vouée au naufrage mais ce sera pour tomber de Charybde en Scylla ou plutôt des dangers de la noyade à ceux du dépérissement dans le désert, sans oublier la case prositution.
Dans les trois situations," ces femmes qui disent non " développent surtout une capacité à accepter le sort qui leur est fait. Elles ont sans doute une force qui les maintient en vie quand d'autres deviendraient folles ou se laisseraient mourir, mais à aucun moment elles n'ont réellement une emprise sur leur vie. leur seule puissance est celle de ne pas tout à fait se dissoudre et de garder un soupçon de dignité, y compris dans les situations les plus atroces (la prostitution pour Khady Demba).
L'écriture de Marie Ndiaye ? Encensée au delà du ridicule. Oui belle écriture, mais une forme de maniérisme dans les métaphores, les répétitions, le recours au symbolisme de l'arbre, de la buse, des corbeaux, (pour se rapprocher de la cosmogonie africaine ?) une systématique de la souffrance que n'allège jamais un temps de respiration.
Il me vient le soupçon que si le jury du Goncourt a élu ce livre, c'est qu'il donne une image de l'Afrique qui correspond somme toute à ses propres clichés.
Femmes puissantes ? Femmes flouées plutôt. Sûrement pas des figures solaires de l'énergie des femmes africaines.
Plutôt lire Fatou Diome,
Le ventre de l'Atlantique pour rencontrer la belle et joyeuse puissance d'une femme africaine.
Et admirer la grâce, l'énergie et le talent
d'Angélique KidjoPhoto
Angélique Kidjo Saharian VibeNB. En revanche, je trouve Marie Ndiaye courageuse (courage fuyons) de faire part de ses opinions politiques et Eric Raoult égal à lui-même dans sa muflerie cocardière.