«(...) pourquoi ne pas imaginer, le 1er vendredi de chaque mois, une sorte d'échange généralisé, chacun écrivant chez un autre ? Suis sûr qu'on y découvrirait des nouveaux sites (...)».
François Bon et Scriptopolis ont lancé l'idée des Vases Communicants. Aujourd'hui Sophie K. et Zoë Lucider s'invitent réciproquement.
En rebond avec l’article précédent de Zoë, qui me fait donc l’honneur de m’accueillir chez elle pour ces échanges dont chaipuki à eu la brillante idée, en rebond donc, je me suis replongée dans L’histoire de la médecine de Roger Dachez, publiée chez Tallandier en 2004. Voilà le genre de sommes que j’achète parfois pour y voir un peu plus clair dans l’évolution humaine (par exemple, je me suis même offert l’année dernière, en soldes heureusement, toutes les planches de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, énorme ouvrage qui me prend une place dingue mais qui est formidable à consulter)(…si je vous le dis !)
Ce qui m’intéressait au premier chef, c’était évidemment la naissance de la médecine, c'est-à-dire tous les tâtonnements hasardeux de nos vaillants ancêtres en matière de soins.
Surprise : les Egyptiens de l’Antiquité, pas seulement balèzes pour construire des trucs gigantesques, étaient aussi très calés question soins, et Horus sait qu’on en avait besoin, de soins, en ces temps reculés où la moindre infection pouvait effacer des villages entiers de la carte, et où on s’usait les dents à manger tous les jours du pain plein de sable.
Vous saviez, vous, que les Egyptiens avaient découvert que le cuivre, dont ils faisaient leurs instruments de chirurgie, annihilait à lui tout seul 90 % des bactéries ? Hé oui. Du moins, ils le savaient sans le savoir, puisqu’ils avaient simplement remarqué qu’on mourait moins après avoir été opéré avec des instruments en cuivre. Les vertus de ce métal ont d’ailleurs été récemment redécouvertes, au point qu’on remplace petit à petit dans les hôpitaux modernes (en Angleterre, surtout) le plastique, l’inox ou l’acier des poignées de porte, des plateaux, des instruments et des serrureries par du cuivre, ce afin de lutter contre ces fameuses maladies nosocomiales.
Comme le rappelle Dachez, l’étude des momies l’a prouvé, le monde antique subissait déjà les plus pénibles maladies : on a retrouvé des traces de variole sur le corps de Ramsès V, on a pu établir qu’Aménophis II était probablement atteint de spondylarthrite ankylosante, et il est patent que la plupart des Egyptiens de la bonne société souffraient d’athérosclérose (artères bouchées et abîmées), là où les pauvres, avec leur rude existence, se tapaient toutes sortes de problèmes osseux.
Les premiers médecins ayant probablement été des prêtres, il y avait donc en Egypte des écoles de médecine ; les apprentis y étudiaient leur art sur des papyrus établis par leurs maîtres. La plupart des descriptions cliniques commençaient par les mots « Si tu examines un homme ayant… ». S’ensuivait une série de symptômes, et enfin venait la solution, quand il y en avait une.
Parmi les ingrédients utilisés, la graisse d’oie dont on enduisait les bandages, et le miel, bien sûr, pour ses vertus calmantes et antiseptiques. Mais on trouve aussi des recettes de toutes sortes. En voici une assez étonnante concernant les femmes enceintes. Je cite Dachez :
« Orge et blé amidonnier que la femme humectera de son urine chaque jour, ainsi que des dattes et du sable mis dans deux sacs séparés. S’ils se développent ensemble, la femme accouchera de façon normale. Si seul l’orge se développe, elle aura un enfant mâle. Si seul le blé se développe, l’enfant sera une fille. Si rien ne se développe, elle n’accouchera pas.
Une telle prédiction peut sembler a priori assez fantaisiste. Pourtant, ce jugement n’est vrai qu’en partie. On sait aujourd’hui que pendant la grossesse, l’urine de la future mère recèle une grande quantité d’hormones stéroïdes qui présentent, curieusement, une analogie structurale avec les facteurs de croissance des végétaux. A plusieurs reprises, on a vérifié que l’urine de femme enceinte permet en effet la germination plus rapide du blé, aussi bien que de l’orge au demeurant : la précision du sexe – peut-être liée à un problème de traduction – est certainement aléatoire, mais le principe de ce "test de grossesse" n’est donc pas sans fondement.
Dans ce domaine, et malgré l’amour légendaire des Egyptiens pour les enfants, les médecins du Nil ont même inventé la contraception, notamment à l’aide d’un tampon vaginal imprégné d’un broyat de coloquinte, d’acacia et de dattes, le tout mêlé de miel, comme le mentionne le papyrus Ebers. »
Le médecin Egyptien s’appelait le sounou, en plus des praticiens spécialisés dans des domaines précis, comme le remarquait en son temps Hérodote. Tous étaient rémunérés en nature, un peu comme nos anciens médecins de campagne. L’art pharmaceutique Egyptien était élaboré et c’est dans ce pays que sont nés les apothicaires chargés de préparer et de doser les médications. Certains remèdes sont toujours actuels, notamment pour les problèmes oculaires :
« Un remède pour chasser le trachome des yeux : antimoine, ocre rouge (riche en cuivre), ocre jaune (argile riche en oxyde ferrique), natron rouge, sont appliquées sur les paupières. »
Dachez le compare à un remède des années 1930 de notre ère :
« Chez soi, on emploiera des enveloppements d’argile avec une solution boratée ou acétique ; le soir, on appliquera une pommade de cuivre. »
Enfin, comme le souligne encore l’auteur, « les Egyptiens n’ignoraient pas les effets narcotiques et anti-spasmodiques du pavot, administré sous forme de jus, et si la mandragore n’est pas explicitement citée dans les papyrus, elle figure sans équivoque dans les bas-reliefs, et il est donc peu douteux que ses propriétés antalgiques et anesthésiques aient été utilisées dès cette époque. »
Il y aurait encore beaucoup à dire… Attelles pour les fractures, plaies recousues grâce à du fil fabriqué à partir de boyaux de chat (« catgut » en Anglais moderne), cautérisation au fer rouge, circoncisions, trépanations, voilà qui faisait de l’Egypte, outre ses structures avancées, un endroit hautement civilisé, là où nous n’en étions, nous les futurs Franchouilles, qu’aux villages lacustres et aux invocations aux dieux. Inutile de souligner que cette avance orientale dans le domaine de la médecine ne sera pas rattrapée en Europe avant un temps considérable, ce que prouvent entre autres les récits des croisades.
La prochaine fois, tiens, je vous parlerai des croisades - vous ai-je dit que je m’étais acheté « L’Histoire des Croisades » de Steven Runciman ?
Sophie K. pour Zoë Lucider.
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