mercredi 10 juin 2009

Portraits de femmes


Marine est très douée dans l’art de la conversation anodine et dénuée d’importance. Tous les sujets lui sont bons pour y accrocher une anecdote cocasse, un commentaire ironique, une imitation truculente. De sorte qu’on a le privilège de découvrir par ses yeux l’effarant kaléidoscope des petites vies ignorées. Son verbiage n’emprunte les allures du ragot que pour mieux s’en distancer, car ce qu’elle me raconte des uns et des autres est une sélection par l’humour. Elle excelle à décrire les démêlés de ses congénères avec la difficile affaire de garder la face. Ce qui la fait rire et qu’elle partage volontiers c’est le moment où le malheureux s’aperçoit qu’il n’y a pas de filet sous ses pas au-dessus du vide et là elle éprouve de la compassion. De sorte que son rire est frappé d’indulgence. Elle le ponctue souvent d’un Oh ! Un reproche qu’elle s’adresse pour la dérision qu'elle ose exercer à l'encontre du malheureux épinglé sous son microscope, matiné d' un zeste d’étonnement que la vie soit si incroyable.

  • Alors le type, il s’approche, il me dit vous êtes seule ? Moi aussi !

    Je lui réponds en rigolant: et c’est bien ainsi ! Et je m’en vais. Il me crie dans le dos, ce n’est pas bon d’être seul ! Croyez-moi ! Je te crois, je te crois, je lui dis en rigolant.

  • Ça t’a fait rire ?

  • Ben oui. Il est tout seul, il parle tout seul.

  • Moi ça m’a fait peur. Je l’ai rencontré, le même. Il a dit exactement la même chose.

  • Il doit être habitué. Elle rit. Oh ! Le pauvre ! Mais Suzanne, tous les mètres tu peux rencontrer un type qui pourrait, s’il l’osait, te dire la même chose. Mais on la ferme tous. C’est la règle.

  • Il faut être très seul pour mendier comme ça la présence d’un autre.

  • Mais on mendie tous ! On s’y prend plus ou moins bien pour que ça ne soit pas trop voyant notre faim des autres. Mais on mendie tous !

  • J’ai plutôt l’impression d’en être gavée.

  • Ben dis donc ! Toi, t’as un petit appétit !

  • Oui. Un rien me suffit.



(...)

Le Ministère de l’intérieur nous a conviés à un de ces raouts qu’il n’est pas de bon ton de bouder. J’en écumais quelques-uns, ces derniers temps, revenant toujours bredouille de ma chasse secrète. J’avais croisé son mari, mais il était seul, du moins elle ne l’accompagnait pas. Le type avait l’air jovial, un faciès avenant, légèrement condescendant, un rien dédaigneux. C’est en tout cas ce qu’il m’inspirait, je ne tentais rien pour lui parler, je n’aurais pas su quoi lui dire.

Ce soir-là, donc, Monsieur le Ministre nous a délivré son petit auto-satisfecit, il a généreusement décerné à l’honorable assemblée une part du mérite et nous a priés de déguster ce que la prodigalité publique mettait à disposition de nos gosiers, sous ses bons auspices, s’entend. Il s’est dégagé de l’aire des micros et a heurté un de ses affidés qui a retenu son supérieur par le bras, le prévenant ainsi de s’écraser au milieu des gerbes disposées dans d’énormes jarres en pieds. Tout le monde a réprimé avec componction l’hilarité naissante. Une femme, seule, a laissé fuser une sorte de roucoulade tendre. Seulement, dans le silence respectueux, cette amorce a été dévastatrice. Une franche rigolade s’est mise en route et le ministre s’est jeté sur le micro pour y aller de son bon mot, ne pas perdre la face. « Nous sommes tous soumis à la loi de la gravité, comme vous le savez bien ». Sur la dernière syllabe, on a compris qu’il était temps de changer de sujet. Moi j’étais sous hypnose. En même temps que son rire, Jeanne avait surgi sous mes yeux. Elle portait une robe de soie bleue, dont l’échancrure soulignait ce point fragile qui bat à la jointure des clavicules, à la naissance des seins, ses épaules étaient à peine dégagées, je ne voyais que cela, le reste m’était volé par tous ceux qui se dandinaient entre elle et moi. Elle a cessé de rire au moment même où la salle s’est mise à braire. J’ai vu son regard passer à l’effroi, sa main se saisir de sa bouche, non pour se bâillonner mais prise dans un mouvement d’ébahissement. Son gaillard de mari n’a pas traîné. D’abord doucereuses, ses manières se sont durcies. Elle écartait les mains comme un magicien qui veut convaincre de l’absence d’artifice de son tour. Elle a fini par prendre un air buté, absolument fermé à la volubilité de son prêcheur. Elle l’a interrompu en posant, sa main bien à plat sur son pectoral gauche. J’aurais donné ma vie pour entendre les quelques mots qu’il a reçus comme une gifle. Elle a tourné les talons. Je ne pouvais pas lui courir après. J’ai manœuvré pour sortir discrètement à sa suite. Mais la prudence se paie. Elle avait disparu.


Extrait La voisine ZL. (Inédit) 2001

Illustrations Portraits de femmes Guidi ANTONIETTI di CINARCA

dimanche 7 juin 2009

Le vent des blogs 15. Non à la fête des amers.

Un vent des blogs version minimale (peu de liens sur d'autres sites) mais une poignée d'hommages.
J'avais capturé, du temps où je fréquentais la RDL, ce très beau texte de Paul Edel. Je lui donne l'occasion d'un nouveau tour de piste, tant il me semble dire, avec une poétique acuité, ce qui nous tient devant l'écran, à la rencontre des autres.
Le Net propose, comme sur ce blog, (pas celui de Zoë, celui de Passouline ndr) l’intelligence éphémère de l’humain (ou la colère trollesque). En tout cas ce brouhaha à mille accords joue de l’oubli, de l’anonymat. On savoure même son propre effacement en tapant sur le clavier, comme les paroles d’une chanson sifflée sur un chantier.
Mais tout le monde comprend que jamais la solitude de l’écriture, la vraie, n’a été aussi grande qu’aujourd’hui dans la bruyante cacophonie des voix mêlées du grand periph médiatique. J’imagine que pour un nouveau Musil ou nouveau Pascal, être reconnu de son vivant devient une utopie. Avec les déplorables habitudes de lecture uniformisées et best sellerisées, avec la cacophonie hurleuse du temps les chances de ces artistes d’être reconnus de leur vivant s’amoindrit. Le prêt- à -penser média s’étend avec ses raccourcisseurs de la raison et ces fabricants de pret- à- penser, vendeurs de pensées- gelules , psycho bobologues employés des service d’entretien et d’approvisionnement en réconfort social qui vantent au chômeur passé, présent ou futur, le produit "vie”! Ils vendent du sympa (en philo, en littérature, en journalisme, en cinéma) à plein caddie mais ils savent aussi qu’ils sont eux aussi pris , comme le dit Botho Strauss, dans un marché de dupes, car ils sont eux aussi moulinés, poussés, concassés, empilés, pilonnés, oubliés. Dans tout ceci les voix blogueuses au moins, elles, n’ont aucun souci de bénéfice, mais la liberté de l’anonymat et la volupté de suivre son humeur du moment. Nous sommes logés dans la petite cabane du blabla instantané, quelques secondes, en toute liberté. Nous bavardons comme des amis ou disciples d’Empedocle marchant entre des pins sous un éternel beau temps de l’écran. Brille parfois, une splendide querelle (Le pape ou Heidegger) au milieu du groupe de péripatéticiens. On remarque au fil des heures une soudaine pépite, une réflexion, une insolence une drôlerie, un cri bref, une grosse colère, une insulte, une ambition délicieusement puérile et avouée , un truc solitaire intrépide, une parole féminine jamais entendue, un raisonnement diabolique,une confidence de minuit, une pudeur , un récit de long rêve, une bouffonnerie qui délivre. Une bulle de savon et son chatoiement arc en ciel est passée entre les arbres, entre des pseudonymes, mystérieuse , elle s’esquive puis éclate. Il arrive même qu’on ressaisisse ce qu’a de si précieux le nu d’une maxime d’Heraclite ou l’émotion d’un vers d’Empedocle après tant de méditations sur des ouvrages énormes . On a adressé la parole à l’étranger qui approche sur le chemin, on a ôté ses sandales pour aller se tremper les pieds dans les vaguelettes en écoutant les autres bavarder. Tiens, en cette matinée le Temps a donc eu les ailes bien légères."

Rédigé par : Paul Edel | le 30 mars 2009 à 10:17 |


Nous sommes conviés à voter ou s'abstenir de. Je n'insisterai pas sur le niveau de la campagne et le degré de nullité de la confrontation (des)organisée par le service public. Opposer Besancenot et Mélenchon par exemple, c'est d'une finesse ! Un des intéressés, Melenchon témoigne.


La compagnie des spectres Théâtre Le Lucernaire

Hier, j'ai eu le plaisir d'écouter Laure Adler converser avec Florence Hautier (Théâtre du Maquis) qui joue du 6 au 20 juin, au Lucernaire "La Compagnie des spectres", adaptation du roman de Lydie Salvayre. J'ai découvert l'exploit de Florence à Avignon (elle joue tous les rôles, passant d'un registre à l'autre avec une virtuosité et une conviction impressionnantes), en compagnie de Lydie Salvayre, très émue de redécouvrir son texte dans toute sa virulence. Il faut dire que cette histoire d'huissier venant saisir les pauvres biens de deux femmes une mère et sa fille est d'une totale actualité. La mère, déraille depuis que son frère s'est fait assassiner par des jeunes salauds de la milice et elle confond l'huissier avec Darlan à la solde de "Putain". Performance de l'actrice au service d'un texte puissant et, comme d'habitude chez L. Salvayre, d'autant plus efficace qu'il est truffé d'humour, que Florence restitue en y ajoutant sa propre fibre burlesque. Parisiens, n'hésitez pas, courez au Lucernaire ! Et pour ceux qui iraient à Avignon, ne pas manquer Au Petit Chien "le cabaret des hérétiques" la nouvelle création de cette troupe talentueuse.

Toulouse et son Marathon des mots, le bien nommé tant les manifestations se superposent. J'irais sans doute. J'hésite, il y a beaucoup de propositions concurrentes mais je vais essayer d'aller voir et écouter Isabelle Alonso lire son dernier opus "Fille de rouge". Après tout nous sommes copines puisque elle comme moi sommes encore féministes

Peut-être irai-je au vernissage de l'ami Manu Causse.

Conclure ? Provisoirement par un amical salut à Christophe Bohren qui semble avoir des soucis de santé, à Dexter qui nous livre des consolations dans son blog tout neuf tout en maintenant un haut niveau de vitalité dans le commentaire chez Clopine (elle a la "flemme" (sic) et s'est mise en vacances de blog,tentation qui me tenaille avec régularité) et enfin à Kamizole qui a retrouvé l'usage de ses moyens techniques après une très longue panne. Heureusement, parce que ses billets politiques avec ceux du Chasse clou (mon p'tit chou, ne rougis pas DH), me font beaucoup de bien, l'impression d'être moins seule dans l'univers à ruminer et grommeler face à l'incurie de nos zélites.

Ah tiens, avant de sortir pour aller voter, signaler que JFK a mis en ligne une interview de Michel Serres qui défend le principe d'optimisme, car dit-il si nous versons dans la tête de nos étudiants rien que de la misère de pronostic calamiteux, nous leur scions la caisse (il le dit autrement, ceci est un raccourci). J'approuve et vote des deux mains pour la philosophie du pari optimiste.

Pas si minimale cette version tout compte fait. C'est la fête non ?

Photo Fête des mères. OC (digne fille de ZL)


jeudi 4 juin 2009

Carte postale rétroactive (8). Il giardino dei Tarocchi


Nous avions passé une quinzaine de jours en vacances dans les Pouilles chez nos amis italiens : baignades matinales, repas délicieux préparés à tour de rôle (nous étions sept adultes et quatre adolescentes , mais elles comptaient pour du beurre question main à la pâte), siestes, promenades, musique, longues conversations à l'apéritif, diners prolongés arrosés de ces vins cuivrés du Sud. Au retour, après une halte à Rome, nous devions absolument aller à la rencontre du Jardin des Tarots. "Ma prof d'art plastique adooore Niki de Saint Phalle, elle m'a dit, tu vas en Italie ? Quelle chance!Tu dois absolument aller voir ce magnifique jardin". Elle n'avait pas eu à nous passer la plante des pieds au chalumeau notre fille, surtout moi. La Niki, je la kiffe depuis longtemps. Regardez cette merveille.

Je ne ferai pas le panégyrique de la dame mais je vous conseille de mieux la connaître si ce n'est pas encore fait. Juste rappeler qu'elle est autodidacte, n'a fait aucune école d'art même si elle a fait des études, a eu deux enfants, puis a divorcé du père de ses enfants pour vivre avec Tinguely une des grandes aventures amoureuses et artistiques du siècle précédent. Et surtout que cette grande artiste s"est préoccupée de défendre des orientations politiques telles que la défense des femmes, la lutte contre le sida, l'éducation des défavorisés et bien d'autres encore.

Ainsi, après nos retrouvailles avec Rome nous avons filé vers Grosseto aux alentours duquel se situe à Capalbio le Jardin des tarots. C'est extrèmement difficile de s'y rendre et jusqu'à sa lisière, il n'est pas fait mention de l'existence de ce lieu. A Grossetto où nous cherchions une indication, les gens en avaient vaguement entendu parler, mais ne savaient guère ou le situer. Les ressources internet actuelles n'existaient pas à l'époque, bref nous avons mis un temps certain à le découvrir, après un dépassement de cinquante kilomètres du point de bifurcation.

Que dit Niki de Saint Phalle


(...) Marella Agnelli Carlo et Nicola Caracciolo (...) liberté totale (...). Aussitôt que j'ai commencé le jardin, j'ai réalisé que ça serait une aventure périlleuse et que je rencontrerais un grand nombre d'épreuves sur mon chemin (ce jardin a été fait avec beaucoup de difficultés, d'amour, d'enthousiasme fou, d'obsession et plus important de tout, rien n'aurait pu m'arrêter".

La relative discrétion qui entoure ce chef d'oeuvre (inspiré de Gaudi mais aussi du Facteur Cheval deux maîtres chéris de Niki) évite l'invasion et on peut arpenter le lieu selon une logique qui appartient à chacun qui fera stationner à proximité du Soleil ou de la Lune ou s'attarder dans le ventre de l'Impératrice qui fut le logis de l'artiste pendant une partie des travaux. Le corps de la grande déesse, reine du ciel abrite un espace de vie entièrement décoré de miroirs colorés enrobant les commodités ordinaires d'une vie quotidienne.
"J'ai vécu pendant des années dans cette mère protectrice. Elle m'a servie comme centre pour mes rencontres avec l'équipe. C'est ici que nous buvions notre thé et café. Elle exerce sur tous une attraction fatale"
Les deux gamines (notre fille et son amie) étaient enthousiastes, riaient abondamment, montaient et descendaient les escaliers qui menaient d'un niveau à un autre et filaient sur les sentiers distribués entre les vingt deux monumentales figures du Tarot. Nous nous étions donné un rendez vous de secours pour ne pas entraver notre libre déambulation.
J'ai pour ma part stationné longuement devant la Justice réalisé par Tinguely.
"Jean Tinguely a piégé l'injustice à l'intérieur de la justice et a fermé la porte à clef" Ces mots sont gravés dans le sol jouxtant l'installation qui émet d'incessants grincements. La justice est une machinerie rouillée aux entrailles compliquées.
Vingt ans consacrés à l'édification de cette oeuvre collective car si Niki était l'architecte, elle a embarqué à ses côtés des ouvriers et des complices. Le jardin a ouvert le 15 mai 1998. Elle continuera a travailler à une multitude de projets jusqu'à sa mort en 2002. "Rester conscient de la mort est une manière de ne pas être pris par les vanités de la vie "dit-elle dans son commentaire de la carte n°XIII, qu'elle figure comme la cavalière d'un beau dextrier azur constellé d'or et d'argent.
Nous avons habité pendant quelques heures ce joyau, perdu au milieu de nulle part, niché au creux des collines de la Toscane, qui est comme l'extrême pointe d'un mirage. Le mur qui l'enclôt est aussi sobre et dépouillé que l'intérieur est exubérant et hénaurme. On le quitte à regret comme on le fait d'un rêve qui nous a visité avec douceur et force dans notre sommeil.
Le soir, nous dormions à Pise.

Illustrations tirées du livre dont la couverture présente l'impératrice, la pièce la plus monumentale de l'ensemble

mercredi 3 juin 2009

A celle qui est trop gaie





Je suis rentrée tard. Dans la voiture, j'écoutais sur France Culture, Allen Weiss expliquer comment lui était venu le désir d'écrire ce roman qui n'est pas une biographie mais l'imaginaire d'un projet, celui de Baudelaire et le sien. Six ans de travail. Voici la quatrième de couverture

En décembre 1847, Baudelaire écrit à sa mère : «À partir du jour de l'an, je commence un nouveau métier - c'est-à-dire la création d'oeuvres d'imagination pure - le Roman.» Un projet qu'il a vite laissé tomber. En décembre 1861, au moment où il se présente à l'Académie française, Baudelaire revient à son idée de faire un roman, mais cette fois-ci un ouvrage de pure bouffonnerie, au sujet des humiliations subies pendant ses visites académiques. Il ne l'a jamais écrit. Mais ce roman existait dans les archives, comme une sculpture dans son bloc de marbre. Le voici, tissé avec les mots du poète, de ses amis, et des Immortels. Une nouvelle manière de lire l'oeuvre et une autre façon de comprendre deux institutions : l'Académie française, et Charles Baudelaire, auteur des Fleurs du mal, le livre le plus édité et le plus traduit au monde, hormis deux ou trois livres sacrés. Allen Weiss Le livre bouffon Seuil - avril 2009.

Quand j'ai découvert les Fleurs du mal à seize ans, ce poème me semblait le plus bel hommage qu'un homme eût pu me dédier. Seule la chute me chiffonnait un peu. J'étais si jeune!

A celle qui est trop gaie

Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage ;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.

Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.

Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilettes
Jettent dans l'esprit des poètes
L'image d'un ballet de fleurs.

Ces robes folles sont l'emblème
De ton esprit bariolé ;
Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t'aime !

Quelquefois dans un beau jardin
Où je traînais mon atonie,
J'ai senti, comme une ironie,
Le soleil déchirer mon sein ;

Et le printemps et la verdure
Ont tant humilié mon coeur,
Que j'ai puni sur une fleur
L'insolence de la Nature.

Ainsi je voudrais, une nuit,
Quand l'heure des voluptés sonne,
Vers les trésors de ta personne,
Comme un lâche, ramper sans bruit,

Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse,

Et, vertigineuse douceur !
A travers ces lèvres nouvelles,
Plus éclatantes et plus belles,
T'infuser mon venin, ma soeur !

dimanche 31 mai 2009

Le vent des blogs 14. Soyez bref !



Je ne vais pas être trop longue, j'ai remarqué qu'il y a un certain ratio à respecter pour ne pas décourager le passant. On n'a pas que ça à faire, on a bien d'autres ergoteurs à visiter. Donc faites court et efficace. Allez, on va essayer.

Une fois n'est pas coutume, je fais un peu de "réclame" pour des manifestations de mon terroir. L'affiche ci-dessus annonce le dixième anniversaire d'une forme originale d'exposition. Des artistes exposent accueillis par des habitants de ce village du Tarn. C'est une programmation organisée en lien avec les Abattoirs, notre musée d'Art contemporain à nous, les Midi Pyrénéens.
pour ceux que ça intéresserait on trouve tous les détails ici. Juste un commentaire, les lieux sont en général aussi intéressants que ce qui s'y expose.

Je ferai peut-être un petit reportage si j'en trouve le temps (je serai à Carcassonne pour un colloque très sérieux Science, spiritualité, penser l'avenir dans sa dimension d'incertitude).
Autre happening, Orlando se produit à Toulouse au Théâtre du Pavé. C'est un trio déjanté et délicieux. Si vous ne me croyez pas allez sur leur site écouter quelques unes de leurs inventions sonores.
Fort différent et accessible à tous, le site d'un ami qui a fourni un très gros travail de recension des bidouillages qui, à l'insu de notre plein gré, nous mitonnent l'avenir au prétexte de fournir du grain à moudre à nos représentants. Ca s'appelle (OGRI) Observatoire géopolitique des réseaux d'influence et je vous livre des extraits du texte d'accompagnement fourni par son auteur en même temps que son feu vert pour la diffusion :

Pour animer et éclairer le débat bien morne sur les élections parlementaires européennes et comprendre comment les "sociétés discrètes" que sont les lobbies , les think tanks ou encore les fondations, agissent sur et au sein de nos institutions nationales ou multilatérales et notamment de l'Union Européenne. (...) Un site citoyen d’un nouveau genre, à vocation scientifique et philosophique, hors théorie du complot mais hors relativisme. (...)Une adresse de choix pour restaurer la conscience.


Lorsque je désire consulter quelques bons experts, je me tourne vers les éditions Agone. Ah, justement ils parlent eux aussi des think tank. C'est ça le malheur, c'est qu'on a tendance à s'en prendre à nos marionnettes mais les vrais démiurges sont planqués et autrement plus dangereux. Nos marionnettes quittent la scène, nous les congédions éventuellement. Eux sont immarcescibles, non qu'ils ne soient corrompus comme peut le laisser penser le terme mais ce sont eux qui sont à la tête du royaume et pour les dégommer, il faudrait décréter l'argent inutile, la fortune une vanité outrancière et l'excès de possession un attribut du diable. On n'y est pas, il y a du chemin. Passons.
Je vais aller vers plus de légèreté et me tourner vers les copines qui me font rire. La féekabossée (dont le site s'intitule la brune qui roule, ben oui, faut lui demander, moi je sais pas, d'autant qu'elle pose cette question essentielle "mais où se posaient les hirondelles avant l'invention du téléphone?"), elle est de retour après de longues semaines d'absence au prétexte de déménager. On s'y retrouve, les Loïs, Madame de K et autres fadas et on se marre. Idem chez Sophie K. qui nous a provoqués à la surenchère du ridicule qui ne tue pas sauf de rire. Il n'y a pas de mal à se faire du bien.
Bon, j'avais dit court, alors concluons avec deux sites où on trouve des merveilles. Carnets temporels dont on aurait envie de capturer les oeuvres pour s'en entourer dans sa petite pièce à songe. Jean Claude Belegou (que Clopine avait signalé à partir d'une mignonne endormie dans un pré) et que je recommande aux messieurs qui viennent sous l'arbre. Eux, j'en suis sûre, c'est un des modèles qu'ils accueilleraient avec bonne humeur dans leur boudoir.

Concluons en musique en empruntant au Blog Trotter une référence, par lui mise à disposition de nous autres, vagabonds de la toile qui faisons notre miel de tous ces butins. Vous devriez à cet instant quitter l'écran et vous mettre à danser.


vendredi 29 mai 2009

Vos gueules, les mouettes !


Pour certains le langage est le lieu du naufrage, pour d'autres il est une bouée.
Le bavardage, le murmure, le cri, l'homélie, la harangue, l'oraison.
La métaphore, l'antinomie, l'ambiguïté, l'oxymore, l'antiphrase.
La philosophie, les sciences, les concepts, le raisonnement, le paradoxe, le sacré.
Le politique, le social, le survivre, le faire mieux.
La musique, l'arabesque, la calligraphie, le jeu de facettes, l'imbrication des sens.
Être privé de terre n'est rien, être exclu du langage est la pire des infortunes.
Je n' ai jamais cessé d'être taraudée par tous les attentats commis en permanence qui privent les êtres humains de l'accès au langage et j'ai vécu obsédée par ces champs de bataille dont l'issue est de la faire boucler au camp adverse, de fermer les vannes de logorrhées jugées ineptes, profanes, voire hérétiques.
Au fond , le rêve de toute puissance c'est d'abasourdir au point de rendre muet.

Photo Traces d'humeurs humaines 28 mai 2009 . ZL

mercredi 27 mai 2009

Une nouvelle rhétorique : le storytelling




J'apprends à l'instant que Julien Coupat, entendu ce jour par le juge, devrait être relâché. Faut-il attribuer le dessillement d'une justice jusque là plutôt aveugle (pour ne pas dire bouchée) à l'influence de la publication dans le monde du 25 mai d'un entretien où il met particulièrement bien en lumière l'invention de l'ennemi, utilisée par tous les stratèges de la répression fomentant leurs mauvais coups en inventant à l'usage de l'opinion publique la justification des "mesures exceptionnelles " appelées à le devenir de moins en moins et à être d'autant mieux acceptées que la figure de l'ennemi rencontre les peurs enfouies.
Avec cette fable des "anarcho-autonomes", on a dessiné le profil de la menace auquel la ministre de l'intérieur s'est docilement employée, d'arrestations ciblées en rafles médiatiques, à donner un peu de chair et quelques visages. Quand on ne parvient plus à contenir ce qui déborde, on peut encore lui assigner une case et l'y incarcérer. Or celle de "casseur" où se croisent désormais pêle-mêle les ouvriers de Clairoix, les gamins de cités, les étudiants bloqueurs et les manifestants des contre-sommets, certes toujours efficace dans la gestion courante de la pacification sociale, permet de criminaliser des actes, non des existences. Et il est bien dans l'intention du nouveau pouvoir de s'attaquer à l'ennemi, en tant que tel, sans attendre qu'il s'exprime. Telle est la vocation des nouvelles catégories de la répression.
En même temps que la libération de Coupat, nous apprenons que les anarco-autonomes n'existent pas. Ouf, on respire !
Or le lien que je vous propose sur le site du monde conduit à un texte amputé. Comme je ne peux en restituer l'entièreté, je vous livre ce qui suit que j'ai pu recueillir à partir de la totalité de l'interview, parue dans la version papier semble-t-il et transmise ce matin par un ami.

La servitude est l'intolérable qui peut être infiniment tolérée. Parce que c'est une affaire de sensibilité et que cette sensibilité-là est immédiatement politique (non en ce qu'elle se demande "pour qui vais-je voter ?", mais "mon existence est-elle compatible avec cela ?"), c'est pour le pouvoir une question d'anesthésie à quoi il répond par l'administration de doses sans cesse plus massives de divertissement, de peur et de bêtise. Et là où l'anesthésie n'opère plus, cet ordre qui a réuni contre lui toutes les raisons de se révolter tente de nous en dissuader par une petite terreur ajustée.

Nous ne sommes, mes camarades et moi, qu'une variable de cet ajustement-là. On nous suspecte comme tant d'autres, comme tant de "jeunes", comme tant de "bandes", de nous désolidariser d'un monde qui s'effondre. Sur ce seul point, on ne ment pas. Heureusement, le ramassis d'escrocs, d'imposteurs, d'industriels, de financiers et de filles, toute cette cour de Mazarin sous neuroleptiques, de Louis Napoléon en version Disney, de Fouché du dimanche qui pour l'heure tient le pays, manque du plus élémentaire sens dialectique. Chaque pas qu'ils font vers le contrôle de tout les rapproche de leur perte. Chaque nouvelle "victoire" dont ils se flattent répand un peu plus vastement le désir de les voir à leur tour vaincus. Chaque manœuvre par quoi ils se figurent conforter leur pouvoir achève de le rendre haïssable. En d'autres termes : la situation est excellente. Ce n'est pas le moment de perdre courage.

Ceci est la conclusion, avouez que ce serait dommage de s'en priver, ce n'est pas le moment de perdre courage, dit-il et j'en suis bien d'accord.

Tout cela participe d'un nouveau sport rhétorique le storytelling ou l'art de raconter des craques pour faire avaler les pires nuisances à la plèbe et la manipuler dans le sens du poil, faire passer des mesures impopulaires (l'exemple le plus célèbre étant l'existence d'armes de destruction massive en Irak pour justifier ce que l'on sait). J'écoutais donc aujourd'hui Christian Salmon (Storytelling, La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits - éd. La Découverte - 236p., 18€) illustrer son propos en citant la formule moultes fois réitérée de Notre très haut justifiant les troupes envoyées en Afganistan comme suit "c'est un pays où on coupe la main d'une femme parce qu'elle met du vernis à ongles", ce qui est de pure invention (même si le sort des femmes afghanes n'est certes guère enviable).

Dans le style de mensonges éhontés suscités et encouragés par les pouvoirs, la minoration ou la déformation des mobilisations populaires. Le silence qui parle publie un texte intitulé Des sorcières à Seattle: comment nous avons bloqué l'OMC /Anomyme du XXIème siècle. La "sorcière" qui s'y exprime décrit dans le détail les formes d'organisation qui ont permis de résister par la non violence à l'assaut des brigades armées, diligentées pour juguler l'extraordinaire mobilisation contre le processus inaugural de l'OMC. Evènement considérable qui scelle l'avènement de la société civile internationale. Le caractère non violent de cette première avait été très préparé (formations à la non violence). Lorsqu’ils avaient affaire au gaz lacrymogène, aux jets de poivre, aux balles de caoutchouc et aux chevaux, chaque groupe pouvait évaluer sa propre capacité à résister à la brutalité. En conséquence, les fronts du blocus ont tenu face à une incroyable violence policière.

Et pourtant les médias ont placé la violence dans le camp des manifestants.

Comment accorder le moindre crédit aux discours des beaux parleurs, lorsqu'on sait à quel point ils ne sont qu'une collection de chimères et de billevesées.