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jeudi 19 janvier 2012

La lucidité de l'homme qui rêve.

Couverture de l'ouvrage de Philippe Ségur, "Le Rêve de l'homme lucide" (Buchet-Chastel).



"Vous semblez avoir une façon assez machiste de traiter les femmes, on dirait.

- Vous semblez avoir une façon simpliste de lire un livre, on dirait.
(...)
Je décris l'état moral d'un individu de genre masculin à un moment donné de sa vie dans une certaine société à une certaine époque. Je ne connais pas les lois générales, les vérités abstraites, les doctrines définitives. Je ne sais pas ce qu'est le machisme. Le machisme est votre problème, madame. Mais je suis prêt à vous aider à le régler.
(...)
Elle aurait eu besoin d'un macho dans mon genre, cette féministe au ventre dur. Un macho dont le paternel imposait sa loi à sa famille, interdisait à sa femme de travailler, comptait l'argent qu'il lui donnait de la main à la main comme un souteneur, comme un colon à sa domestique, passait ses week-ends devant la télé à regarder des matches, ne s'occupait pas de ses gosses sinon pour exiger leur respect et cognait son fils à coups de poing sur les épaules, là où ça ne laissait pas de traces, mais d'autres bleus inguérissables.
Oui, c'était un type dans mon genre qui lui aurait fait du bien. Un macho de la seconde génération qui plaçait haut la délicatesse, la subtilité et la sensibilité féminines, qui aimait les femmes pour ce qu'elles étaient et qui était féminin lui-même pour autant qu'il avait compris ce que cela voulait dire. Plutôt la tendresse que la force, la communion que la domination, l'union que la jouissance. Mais comment lui expliquer ? Elle semblait considérer qu'on ne pouvait réussir qu'en marchant sur la gueule des autres et qu'on avait toujours raison du côté du canon - tout comme chez les hommes, d'ailleurs, chez lesquels elle l'avait appris. Aussi n'avais-je rien à lui dire, car je n'étais ni de son côté ni de l'autre, mais ailleurs" (*)

Philippe Ségur. Le rêve de l'homme lucide. Buchet Chastel.

Si vous ne connaissez pas l'humour et la mélancolie de Ségur, commencez d'emblée par son dernier né, il est de mon point de vue le plus violent et le plus doux. Si vous n'avez aucun goût pour les introspections déchirantes qui vous font douter de vos choix de vie, voire de votre existence propre, il vous y engagera pourtant à ses côtés car les questions que son personnage se pose, les hallucinations et les rêves qui le bouleversent sont la figure inversée de la réalité d'un monde qui ne laisse plus aucun espace d'invention de soi, où le je du jeu social est le fantôme en creux de tous les moules où se trouvent comprimée notre chair et torturée notre âme. Attention nulle moraline sous la plume de Philippe Ségur, plutôt le rire fécond de celui qui ne craint plus rien : il sait qu'il n'y a pour vivre pas d'autre choix "que de mettre un pied devant l'autre".

(*) extrait choisi en spéciale dédicace à JEA.

A la rencontre du poète Philippe Ségur

lundi 14 novembre 2011

Hubert Nyssen 1925 - 2011

Hubert Nyssen, le fondateur des éditions Actes Sud est parti contempler l'intemporel. Depuis mars, il avait cessé de publier sur son site ses carnets que j'allais feuilleter régulièrement et dont on peut trouver une version papier. J'aimais la personne bien que ne l'ayant approchée que par ses écrits. J'avais sélectionné, il y a quelques temps, dans la galerie du site, cette photo attendrissante.


Leçon de lecture et d’écriture donnée à trois petites-filles par leur grand-père

Vendredi 1er janvier 2010 . La journée se termine mal. J'apprends la mort de Pierre Vaneck. La première fois que je l'ai vu, je crois, c'était sur scène dans Les possédés, la dernière fois, j'en suis sûr, c'était dans Art. La dernière fois que nous l'avons rencontré, c'était à Ménerbes. Il était infiniment secourable pour ses amis, quand il avait appris que je souffrais d'un dysfonctionnement respiratoire il m'avait tout de suite obtenu un rendez-vous avec un professeur de sa connaissance. Nous devions nous revoir bientôt… Je voulais lui parler d'Anvers où jadis nos pas se sont croisés. Ce sera donc dans la galerie des souvenirs. Là, j'entendrai à nouveau les mots qu'il retenait et proférait soudain. Je retrouverai cette impression, qu'avec patience et temps nous aurions eu beaucoup à nous dire sur le bonheur d'être là, sur la vie précieuse qu'un rideau vient de faire disparaître à la vue. En allant voir sur la toile ce qu'on disait de lui, je suis tombé sur ma propre notice. Sous mon nom, cette notice en suspension : (1925 - ). Un blanc à remplir comme il vient de l'être dans la sienne.
Hubert Nyssen Textes et Carnets