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jeudi 31 octobre 2024

Dictionnaire amoureux du plaisir

 C'est le titre du dernier livre de Hervé Hamon. Il avait publié en 2020 "Dictionnaire amoureux des îles" dans cette collection délicieuse chez Plon des "dictionnaire amoureux". J'ai partagé la plupart des  plaisirs et j'en aurai évoqué d'autres si l'exercice m'avait été confié mais sans doute pas avec le talent d'Hervé Hamon. Outre que la thématique est prometteuse d'emblée, le choix de l'auteur est savoureux.  Quelques exemples : à la lettre c, les "cocottes" ces femmes qui décident parce que leurs "beaux corps, beaux yeux, beaux seins, belles jambes" le leur permet de "régner sur les régnants, ces hommes riches de la fin du XIXème qu'elles attirent dans leur toile suave, n'hésitant pas à recourir à tous les subterfuges pour les séduire, puis  les congédier quand elles ont trouvé un remplaçant plus avantageux. Je suis étonnée de n'avoir pas vu apparaître "conversation" que j'aurais sans doute choisi. Il me semble que ce bavard doit apprécier plus que tout une bonne conversation avec des amis ou en tête à tête.



Qu'on ne s'y trompe pas, les plaisirs évoqués ne sont pas délictueux. Dans certains cas le terme sert de support à une réflexion qui va à l'encontre de ce qu'il pourrait évoquer. Ainsi le Goncourt ne vante absolument pas l'immense satisfaction de l'heureux bénéficiaire mais le risque d'une date fatale qui peut assécher le désir d'écrire. Hamon affirme "que le prix Goncourt n'est pas le meilleur roman de l'année. Pour la bonne et simple raison que l'art et la compétition sont incompatibles, que la notion même de "meilleur roman" n'a strictement aucun sens. Inutile de dire que j'approuve des deux mains

Beaucoup d'entrées de la mer dans les articles, Hamon est un marin expérimenté qui a beaucoup voyagé sur mer. Sur terre également où son métier de journaliste lui a offert l'occasion de connaître des peuples et des êtres sur tous les continents. Il ne se prive pas de fustiger ceux qui se targuent d'être nés sur une terre qu'ils tiennent à défendre contre "les étrangers" avec ce vieux réflexe tribal qui n'a plus aucun sens ni aucun fondement quand on sait à quel point nous appartenons et sommes façonnés par mille lieux et que le "peuple français"  est le résultat de tant de métissages qu'on ne voit pas bien où serait préservée la racine gauloise sinon chez Astérix et encore...

Je me suis sentie en phase absolue avec ses diverses réflexions sur l'inanité d'une pédagogie fondée sur la contrainte, la répression de la vitalité, le refus argumenté, délibéré du plaisir. Un refus qui confine à la haine. Il cite, en contraste, la rencontre au cours de ses enquêtes en collège, d'un maître qui rompait avec les méthodes "ordinaires" en inventant mille manières de faire activement participer les élèves à son enseignement. Et l'enthousiasme des élèves remplaçait avantageusement l'ennui constaté dans d'autres cours. Ce type de pédagogue s'attire les foudres d'essayistes réactionnaires qui déversent des tombereaux d'insultes sans avoir eux-mêmes jamais mis les pieds dans un établissement. Philippe Meirieu, authentique pédagogue lui, rappelle que si la parole de l'éducateur est première, elle n'est pas dernière, l'apprentissage place l'éduqué en position de s'approprier, de prolonger et de démentir ce qui lui a été enseigné.      

Chaque article est jubilatoire et l'occasion de mêler harmonieusement souvenirs d'enfance, de rencontres, anecdotes cocasses ou émouvantes, exercices d'admiration, références bibliographiques. Ce dictionnaire est un plaisir qu'on peut déguster à petites lampées ou goulument comme je l'ai fait. Revitalisant. 

Comme je ne prend plus très souvent le temps de blogger je vais ajouter quelques notations sur le mois écoulé.

Vu à Paris au Musée du Quai Branly une expo  Zombis la mort n'est pas une fin, les Zombis ont une grande importance dans la culture haïtienne. J'ignorais tout de ces non morts et j'ai ainsi appris que le zombi est le produit d'un syncrétisme entre spiritualités d'Afrique subsaharienne, catholicisme européen et cultures des Caraïbes et devient dans le vaudou haïtien, une personne malfaisante condamnée par la société à une peine pire que la mort et vouée à servir d'esclave à un sorcier bokor qui contrôle son corps et son esprit. J'emprunte ce résumé  aux  Inrockuptibles. Abuser de la peur liée à la croyance religieuse, un trait de l'humanité bien réparti sur le globe. Le mythe a inspiré, en le transposant, les films que l'on connait sauf, si comme moi, on n'aime pas du tout . En revanche j'apprécie toujours la créativité des Africains   




Je ne dirai rien du plaisir que j'ai éprouvé à revisiter après tant d'années la salle des grands tableaux du Louvre  même si j'ai de plus en plus de mal avec les musées gavés de monde, mais j'avais envie de revoir La Liberté Guidant le Peuple (2,60 de hauteur, 3,25 de largeur, Delacroix) et le radeau de la Méduse (4,91 de hauteur, 7,16 de largeur, Géricault)  entre autres qui ne supportent pas la réduction à petite échelle. Envie aussi de traverser le Jardin des Tuileries, j'ai habité pendant dix ans rue de Rivoli (sous les toits sans ascenseur). Evidemment pour sortir du Louvre il faut traverser une enfilade de boutiques luxueuses qui n'existaient pas alors. C'est un peu pénible. 

Enfin, un petit tour dans l'Opéra Urbain qui vient juste de s'achever à Toulouse. 


Ma fillote était à la manœuvre sur la grande bête, le Minotaure. Elle manipulait le bras gauche. Pas facile, il faut éviter arbres et réverbères et, même si elle est canalisée, la foule.



  Deux jours de délire. Plus d'un million de personnes de tous âges qui s'émerveillaient de la beauté des machines, de la performance des techniciens et des surprises lorsque Ariane l'araignée s'interposait entre Astérion et Lilith la femme scorpion venue des enfers pour recruter des âmes damnées et séduire le minotaure

 

Crédit photo : Patrice Nin. Mairie de Toulouse - Toulouse Métropole.

La ville de Toulouse se prête à ce genre de déambulation d'un pont à l'autre mais les rues sont un peu étroites et le parcours était semé d'embuches. Un exploit pour les 220 personnes mobilisées sans compter les bénévoles et les services de sécurité.
Je n'aime pas la foule. Cependant celle-ci était paisible, rieuse, surtout concentrée sur ses smartphones pour immortaliser (enfin momentanément) l'événement. Et entre les passages elle piqueniquait ou se répandait dans les bars qui ont pour le moins bénéficié de ce grand raout. 
La clôture, comme il se doit s'est conclu par une spectacle de pyrotechnie et surtout par l'opéra dont une voix de femme fabuleuse (dont je n'ai pas réussi à connaître le nom).




"Je crois, pour ma part, que le goût du plaisir, loin de servir d'échappatoire, est comme le soulignait Deleuze, une forme de résistance (...) Le plaisir n'est en rien une inadvertance, une récréation, une mégarde, une dissipation. C'est un antidote, c'est manière de nous rappeler que nous ne sommes pas conformes, que nous ne plierons ni devant un despote ni devant une intelligence artificielle (...) ce qui est de l'ordre de la liberté (Hervé Hamon).
Merci à tous les artistes qui enchantent le monde.

Photos @ZL