mercredi 31 janvier 2024

Trop de tout

 « (…) la vieillesse nous rend d’abord incapable d’entreprendre, mais non de désirer. Ce n’est que dans une troisième période que ceux qui vivent très vieux ont renoncé au désir, comme ils ont dû abandonner l’action. » Marcel Proust Albertine disparue, Gallimard, Volume XIII, page 268.

 



Dernièrement, dans le cadre du festival Telerama j'ai vu plusieurs films que j'avais manqués à leur sortie. La plupart  nous infligent de longues scènes de coït, plutôt pénibles lorsqu'elles se prolongent et sont scandées de halètements dignes des pires pornos. Ainsi Léa Drucker fautant avec son jeune beau-fils incarné par le ravissant Samuel Kircher, filmés par la revenante Catherine Breillat. L'été dernier a soulevé les foules cannoises. Est-ce parce qu'après tant de films où des hommes très matures s'affichent très librement avec des nymphettes, la situation inverse excite la libido de femmes plus agées (pas trop quand même). Le film a par ailleurs quelques qualités, il illustre bien comment la bourgeoisie peut tout se permettre tout en se maintenant à tout prix dans la conformité, au prix de mensonges et au détriment du jeune amant passionné qui doit oublier l'épisode amoureux pour permettre à sa belle-mère incestueuse de garder la face. Il endosse la figure du menteur et du névrosé, personne n'est dupe, mais la vie ordinaire peut reprendre ses droits

Autre cas de figure, le film de Monia Chokri   "Simple comme Sylvain"  .

 


 Un coup de foudre amoureux peut-il survivre quand l'appartenance socioculturelle différencie les amoureux. Le film montre en contraste la sexualité débridée entre un charpentier Sylvain (Pierre Yves Cardinal) et une professeure de philosophie Sophia (Magalie Lépine-Blondeau) et les temps d'échange où l'incompréhension domine. Absence de références communes, habitudes de comportement et de langage incongrues, les malentendus s'accumulent, le réflexe de classe surgit à l'impromptu. L'une est habituée au langage policé qui s'efforce d'abolir l'accent québécois, l'autre emploie toutes les expressions populaires (qui font ma joie par ailleurs). Sophie disserte à chacun de ses cours (délivrés auprès du troisième âge) sur l'amour en citant Platon, Spinoza ou Jankelevitch.  Sylvain aime la chasse ou la pêche et sait tout faire de ses grandes mains puissantes . Cette fois encore, scènes torrides longues, trop longues. Les paysages magnifiques d'automne et de neige et l'humour sauvent le film.

 


 

A l'opposé, les amoureux du film d'Aki Kaurismaki, Les feuilles mortes  se touchent à peine, se trouvent, se perdent. Ils partagent pourtant la même condition ouvrière, précaire, humiliante et c'est leur commune misère qui les rapproche et les éloigne. Lui est alcoolique et elle a horreur de l'alcoolisme. Cet amour tout en non dits, en rendez-vous manqués est émouvant justement parce qu'il échappe à ces attendus que sont les étereintes. Le film est un condensé de pudeur, mélancolique avec quelques pointes d'humour et beaucoup de références filmographiques dont la fin qu'on ne dévoilera pas.


 

Enfin, un film où il n'est pas question d'amour si ce n'est d'amour de la vie. La vie ordinaire d'un employé Hirayama (Kōji Yakusho) chargé du nettoyage des toilettes publiques de Tokyo, dont la répétition des journées, toutes identiques est présentée dans son rituel à part quelques menus incidents. Hirayama vit seul, est peu causant et consacre son temps libre à regarder les arbres, les photographier, cultiver ses plantes, écouter de la musique (bande son superbe) et lire. Lorsque sa nièce lui rend visite, il l'accueille avec bienveillance et lui fait partager sa vie de sobriété heureuse, "maintenant c'est maintenant" en contraste   avec celle qu'elle mène dans sa famille. On le comprend quand sa mère (la soeur d'Hirayama ) vient la chercher à bord de sa luxueuse voiture. Seule moment de vraie tristesse d'Hirayama. C'est une parabole évidemment, ce Perfect days fait l'apologie de la vie simple. Nous avons trop de choses. Hirayama a assez de tout. Ecoutez Wim Wenders. Comment sortir du piège, être au monde sans le sentiment de tout rater parce qu'il y a trop de tout.   

https://www.youtube.com/watch?v=O4TyJlB3tug


13 commentaires:

Dominique Hasselmann a dit…

Perfect Days est en effet un film beau et simple.
On imagine mal le même en France… :-)

Zoë Lucider a dit…

Jeanne Dielman de Chantal Akerman, le quotidien répétitif d'une femme (vu il y a fort longtemps). mais lui aime sa routine, elle s'y délite

K a dit…

Les feuilles mortes, ah oui, d'accord à 100 %, quel beaux moments nous ont été proposés !
Pas vu les autres ;-)

Tania a dit…

Le seul que je me suis promis de voir, c'est "Perfect Days", pas encore vu. La critique dans La Libre Belgique était très élogieuse et avec "Les ailes du désir", Wim Wenders est entré dans mon panthéon cinématographique.

Colo a dit…

J'ai beaucoup aimé "Les feuilles mortes", tout en non-dits, oui.
Et sans doute, un jour perfect days.
Bonne fin de semaine Zoë

patrick verroust a dit…

Bonjour Zoë,

Vos mésaventures , pas si minuscules, semblent reléguer dans des dossiers....Vous livrez vos analyses cinématographiques ? Je n'ai vu aucun de ses films , je ne peux donc qu'apprécier la sincérité de votre point de vue et adhérer à l'invite de Wim Wenders , un de mes maîtres inconditionnels

Zoë Lucider a dit…

@K, Beaux et forts, oui. Merci de votre passage.

@Tania, il devrait vous plaire, éloge de la lecture et de la contemplation.

@Colo, Perfect days ne peut plaire qu'à ceux qui aiment la lenteur, la lecture et la poésie du qotidien. C'est votre cas me semble-t-il

@Patrick Verroust, "mes aventures pas si minuscules" ne sont pas reléguées. La lourde machine assurantielle n'a toujours pas statué sur le sort qui m'est réservé.Heureusement, je pense à autre chose tout en vivant dans un lieu peu chauffé, d'où l'attrait des cinémas

patrick verroust a dit…

Bonjour Zoê

J' ai une position un peu radicale. J'évite les films qui tournent autour des nombrils. Je considère que les scènes de sexe apportent rarement à l'intrigue. Elles nous contraignent à un voyeurisme incongru. Je leurs reprochent, surtout, de pénétrer notre intimité et de formater nos comportements sexuels. Sans nier l'importance du sexe dans l'existence, je pense qu'il est sur côté à l’excès....

Zoë Lucider a dit…

@Patrick Verroust, je suis totalement d'accord. Le problème c'est que quel que soit le sujet, on a droit à une session sexualisée. C'est bien pourquoi les deux derniers films m'ont plu.

Anonyme a dit…

Merci à vous pour avoir exprimé votre point de vue avec sincérité sans crainte de sortir du bois

Hypathie a dit…

C'est vrai que ces halètements dans l'inévitable scène de sexe que nous proposent le moindre film ou la moindre série, ça commence à devenir pesant. Le cinéma est devenu un "montre-tout" sans plus la moindre ellipse, ni suggestion, plus aucun hors-champs, et c'est pénible. J'y vais de moins en moins. Et pourtant je suis (j'étais ?) une cinéphile impénitente. Entre les productions épileptiques pour ados prépubères filmées avec effets spéciaux numériques qui donnent la conjonctivite, et le cinéma d'auteur psychanalytique trimballant les pires clichés hétérosexuels (l'acteur de 70 balais en couple avec une fille de 3 fois moins son âge), c'est vu et revu, et dans l'autre sens c'est pesant aussi. Un de mes abonnés sur une plateforme numérique m'a proposé cette information : un nouveau métier a fait son apparition au cinéma. Un coordinateur d'intimité. Je mets le lien vers le CNC (à cliquer ou copier / coller dans la barre du navigateur) https://www.cnc.fr/cinema/actualites/decryptage--questce-que-la-coordination-dintimite_2066812
On avait les activistes de la cause animale sur le plateau dans les films employant des animaux acteurs, veillant à ce qu'il ne leur arrive pas d'abus, c'est bien le moins qu'on ait le même genre de dispositif pour les actrices (acteurs).

Zoë Lucider a dit…

@Hypathie, hélas, on ne peut pas espérer des coordinateurs anti niaiseries.

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