Lagrasse est ce petit village situé dans les Corbières, traversé par l'Orbieu où il est toujours possible de se baigner à condition de choisir son heure afin d'éviter les familles et leurs enfants hurlants, les allongés luisant d'huile solaire et de façon générale la vulgarité des vacanciers écramollés.
Ce village est dominé par l' Abbaye Sainte Marie qui abrite d'un côté la communauté des Chanoines Réguliers de la Mère de Dieu, de l'autre, la propriété du Conseil Général de l'Aude mise à disposition de La Maison du Banquet pour l'activité culturelle développée par cette association.
Cette année, Gérard Bobillier, nous le savions, ne viendrait pas s'adosser à un des murs du petit cloitre pour écouter, en fumant son éternelle cigarette, l'orateur de l'heure. Beaucoup d'entre eux lui ont rendu un hommage ému. Bob était un homme intense, exigeant, volontiers violent dans sa verve et son humour. "Il était complètement dans le présent qui va dynamiter l'avenir" dit Martin Rueff dans une émission du 7 octobre 2009 au lendemain de sa mort. Il est vrai que l'aventure éditoriale de Verdier est unique, dans la recherche absolue de la puissance de la langue, portée par un petit groupe de compagnons qui se partageaient toutes les tâches et dont l'objectif n'était certes pas la renommée, la gloire et l'argent. L'histoire de Verdier est à la fois d'une très haute ambition et d'une grande modestie. "L'aménagement d'un espace pour la parole , pas pour la conversation, mais pour ce qui nous force à être plus que nous-mêmes". (Tiphaine Samoyault. Ainsi de ce banquet (le quinzième) dont le thème était Chaque un.
Cette année donc quelques uns des habitués. Patrick Boucheron a magistralement analysé la fresque Allégorie du bon gouvernement peinte par Lorenzetti Ambrogio entre 1337 et 1340 qu'on trouve au Palazzo publico de Sienne : qu'est-ce qu'une cité "bien gouvernée" ? Ce qui est donné à voir c'est une grande tension entre la parade des grands principes et leurs effets sur la vie de chacun. Sur deux fois 14 mêtres, s'opposent deux peintures, l'une montrant des humains vivant une vie paisible, l'autre des gens en proie aux malheurs. Ce qui juge en dernier lieu c'est la réalité des gens qui sont gouvernés avec cette sanction finale : vivre bien, c'est vivre "sansa paura", sans peur. Il semblerait qu'on soit plutôt actuellement dans une tendance inverse. Gwénaëlle Aubry, Stéphane Audeguy, Maryline Desbiolles, Olivier Rolin, Mathieu Riboulet (dont la lecture de ses textes nous a basculés dans l'univers homosexuel dans sa dimension la plus violemment tragique), Gérard Macé (que j'ai découvert avec bonheur), Paul Jorion sur la crise. Bref, de la parole vive. C'était parfois trop, ces discours qui s'enchainaient. Les autres années le cinéma et la musique "allégeaient" le menu.
Une Lolita, souvent accompagnée de semblables nous étaient offerte au regard, placée ainsi en surplomb afin d'enregistrer les orateurs. Il est donc possible de visionner certaines prestations.
Ici, Pennac parle de Bartleby (Melville), du désarroi du notaire devant ce personnage qui s'arrête ("I would prefer not to"), avant de nous en donner lecture, à la nuit tombée. En dépit de nos réticences, (nous en avions parlé au diner avant de tout de même aller l'écouter) nous n'avons pu qu'être profondément secoués par son art de nous insinuer de façon très subtile l'angoisse de passer d'une sorte de comédie ou de farce au drame de la mort du scribe. O' Bartleby ! O' humanité! Ces quelques jours au bord de l'Orbieu, au coeur de ce banquet où se partagent livres et bonnes bouteilles sont le temps béni d'une pause, même si cette année, je me suis trouvée un peu lasse du rituel. Se méfier des habitudes.
29 commentaires:
Lasse, peut-être, mais inspirée ! Merci Zoë, pour ce beau tour d'horizon. Et oui : sans peur ! :0)
Non, Zoé, vous n'avez pas le droit d'être lasse de ce "rituel". D'abord parce que c'est une chance insigne (Boucheron, celui de Léonard et Machiavel ? Bartleby, dont Assouline a fait le sujet d'une chronique passionnante ?, etc.) que vous avez là, d'autre part parce que, désormais, vous êtes chargée du partage. Songez à ceux et celles (bon, d'accord, je pense d'abord à moi) qui ne peuvent participer à ce genre de manifestations... et qui en sont consolés en vous lisant. Et au fait, d'où sortez-vous cet "écramollés" qui, d'un seul coup, vous fait surgir un gros célibataire chevillardien, sur votre bout d'été, là ?
MERCI pour cette chronique, en tout cas, et interdiction absolue de nous en priver désormais !
Pour Gérard, si je puis me permettre : http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article2215
Pourquoi ne peut-on pas être partout ?
Bobillier, dans mon souvenir : l'art de remonter le moral d'un auteur sans pour autant accepter son manuscrit.
(Il était là, Martin Rueff (nous nous croisions souvent, il y a une bonne vingtaine d'années) ?)
(Qu'est-ce que c'est, des vacanciers écramollés ? (en tout cas c'est parlant, même dans une autre langue))
@Sophie K et sans reproche ma belle bayardère.
@Clopine, ah Clo, je le sais bien que je ne devrais pas exprimer des réserves et que c'est un privilège d'écouter voire de rencontrer ces belles intelligences. Boucheron, celui de Léonard et Machiavel qu'il avait présenté l'an dernier. Un type adorable de surcroit, qu'on a vu promener son bébé et s'occuper de sa gamine (3 ans environ) pendant que sa jeune femme qui ressemble à un Boticelli s'adonnait au plaisir de parler.
The Bartleby de Melville, oui.
"Ecramollé" est un néologisme que je revendique, que j'utilise de puis fort longtemps pour cette position, enfoncée dans la paresse de préférence la tête vide, tout à fait jouissive mais peu "esthétique" à l'oeil d'autrui. Je vous rassure, je m'écramolle aussi, plus volontiers sur mon lit.
@Chr B. Merci, je l'avais lu. J'aimais bien cet homme même si je ne le connaissais pas personnellement.
@PhA, Martin Rueff n'était pas à Lagrasse cette année mais l'an dernier. Ses mots sont ceux d'un entretien France Culture.
Hum ! Je me serais laissé distraire par les lolitas car même les conversations autour de la littérature me fatiguent. Cela dit, vive Verdier.
Bobillier pour moi, c'est mon premier appel d'un éditeur au sujet d'une de mes nouvelles qu'il avait lue et cette question " Avez-vous commis un texte long ?". A l'époque non. Il semblerait que ça ne devait pas se faire. Dis moi Zoé, tes étés sont studieux :0)
On est dans l'élite ici...
Autant de c.... qu'ailleurs... d'ailleurs...
@Dominique Boudou, les conversations ne sont pas toutes autour de la littérature et les Lolitas sont rares donc très courtisées. Vive Verdier!
@Fredaime, mes étés sont variés, studieux, puis pas du tout. En ce moment, je fais plein de ménache et de jardin. Rien de tel pour vider la tête.
@Vinosse, ben oui autant que, un peu moins tout de même.
"Songez à ceux et celles (bon, d'accord, je pense d'abord à moi) qui NE PEUVENT participer à ce genre de manifestations.."
Qu'est-ce qui vous empêche Clopine d'aller au festival d'Avignon ou au banquet de Lagrasse plutôt que de suivre Clopin dans les gorges du Verdon dans des conditions telles que si c'était pour le boulot vous auriez déjà fait appel au comité d'hygiène et de sécurité et à la médecine du travail !
Un petit coup de blues intellectuel Zoë? La magie d'Avignon n'opère plus et vous êtes lasse du rituel de Lagrasse? ...Tiens, j'ai une idée: les grottes du Verdon, début juillet à midi par 45° à l'ombre!
Non, en fait, toutes les deux vous feriez mieux de vous écramoller mollement !
@Lavande, quelle coquine! Venir nous asticoter ainsi! On a bien le droit d'éprouver. Quant à s'écramoller, c'est difficile pour certains, une habitude pour d'autres. Devinez où je me situe ?
@Lavande, j'ai oublié: et vous qu'avez-vous fait pendant ce temps libéré ?
C'est fou comme vou spouvez être aimable Vinosse. Vous pensez qu'en nous traitant de cons ça va arranger les choses et faire bouger le monde ?
Verdier... Melville, ce dernier n'est-il pas (aussi) un éditeur ?
Ecouter parler littérature ou lire ce dont on parle : sans doute un plaisir plus reposant que le festival d'Avignon si incrustation trop prolongée.
Merci pour cette chronique vigorante (néologisme que je revendique !).
Un espace pour la parole, donc pour l'écoute - beau programme. Merci pour cette chronique très parlante.
@Fredaime, Nan, veut pas l'changer le monde, un monde où tout l'monde, sauf lui est nuuuuul!
@DH merci pour ce commentaire vivifiant.
@Tania, un lieu que vous pourriez aimer, pour les amoureux de la lecture.
Moi, Zoë, je pratique l'écramollage vigorant.
Je n'en suis pas à un néologisme oxymorique près!
Soyons intelligentes voulez-vous mesdames: le texte commence par mettre à part les touristes qui bronzent idiots sous les crèmes haute protection, leurs niards qui crient et je sais pas quoi qui vous les font considérer pour des... et des...
Je vous fais remarquer que dans toute société les pourcentages de chieurs et de chieuses sont les mêmes, donc que vous lisiez ou écoutiez des monologues sous la ramée, soyez sûres qu'un des vos proches voisins est un con et dans le cas contraire, et bin ce sera vous... mais c'est inéluctable.
Moi j'aime bien les jeunes filles qui bronzent, autant que les autres...
@Lavande, c'est tout à fait épatouillant!
@Vinosse, merci cher Sachem de cette grande leçon de sagesse. Puis-je faire remarquer cependant que beaucoup de vos discours (ailleurs) conchient les tourisses et que les plages et autres lieux con-centrationnaires transforment par promiscuité obligatoire tout à chacun en crétin, défendant son bout de serviette et s'irritant du bordel que les autres infligent à son désir d'évasion. Pour résumer, j'adore nager dans l'Orbieu à condition d'y trouver un coin peinard. Est-ce plus clair ?
Il est possible que la statistique se vérifie et qu'au sein du cloitre, il y ait une proportion de cons (de laquelle je n'oserais me démarquer) mais ils ne manifestent rien, ils écoutent en silence, ça donne l'illusion de l'intelligence et c'est très reposant.
Ah ! je reviendrais entendre et voir ... ce lieu de la Parole me semble passionnant ...
@Zoé : Ahahahahah je me repose, oh comme je me repose :0)
@ Vinosse: Je ne considère pas les gens comme des cons, j'essaye de faire avec les différences. Je fais comme je peux et parfois j'y arrive mieux qu'à d'autres. Mais quoi qu'il en soit, prendre l'autre pour un con, c'est une marque de mépris qui me révulse. Mais vous devez le savoir depuis le temps, je suis trop GENTILLE (et trop bon, trop... Bon bref).
Pour conclure, je préfèrerais ne pas être comptée parmi les c...
FM vous êtes primaire surtout!
J'ai jamais dit ni voulu reprendre l'incipit du texte qui stipulait que d'un côté des cons aiment bronzer et de l'autre, pas cons forcément, par soustraction n'existent que des gens super agréables et que d'écouter blablater des profs en vacance vaut mieux pour la santé morale que d'offrir son corps au soleil dans la promixuité. J'ai simplement voulu rétablir l'équilibre...
Les deux ont leur importance pour l'humain, le choix des uns n'étant pas plus critiquable que celui des autres! Et comme je suis convaincu que les mailles du filet sont lâches et que chacun voit midi à sa porte, je considère que l'endroit où l'on reste habillés convenablement intéresse autant les cons que la plage, sauf que c'est pas les mêmes...
@ La bacchante : Promis :0)
@ Vinosse : Primaire ? Mouhahahahaha, je le rajoute à la liste des qualificatifs qui me dépeignent si justement :0) Vous faites dans la provoc au lieu de vous expliquer, il faut vous attendre à des réactions.(Quand je pense que vous parlez à une bourge primaire qui s'adonne au désherbage en sortant de la messe... que vont dire vos amis ?).
Moi je dis que j'crois que Vinosse aime Fredaime.
Voualà.
:)
@ Sophie : De l"amour vache alors :0)
@ Vinosse : C'est vrai ça Vinosse. Approchez un peu que je vous regarde au fond des yeux.
@Vinosse et Fredaime et Sophie K, si j'étais un peu moins fainéante, j'irais repècher le nombre de fois que Vinosse traite quelqu'un de con, mais est-ce bien raisonnable ?
Tout le monde aime Fredaime, même moi alors... Tu te reposes ma belle ? Je suppose que tu iras à Lauzerte cette année encore. Et moi non, cette année encore. Quand est-ce qu'on se boit un p'tit café ?
On est toujours le con d'un autre. C'est assez jouissif, au fond.
@ Zoé : En effet, je me repose, c'est pas si souvent et je le fais à fond ! Je suis à Lauzerte le 12, bien sûr ! Si tu venais, on pourrait boire un café (ou un thé). Je dis ça... hein... c'est pour te tenter, tu le comprends bien (tout le monde m'aime ? Première nouvelle !)
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