mercredi 30 août 2023

Zoë déménage

 Encore ! allez-vous vous exclamer, du moins si vous me suivez depuis longtemps. Mais cette fois c'est plus affirmé. Une nouvelle maison acquise pour me rapprocher de la ville. Plus petite, moins de jardin à entretenir (encore que) mais à proximité d'un cinéma, d'une médiathèque où je peux me rendre à pied. 

Ma fille prend ma suite dans l'ancienne. Elle inverse le propos, elle s'éloigne de la ville qui ne lui convient plus.

C'est un peu bizarre d'abandonner un lieu, même si c'est entre des mains chéries et de transférer l'ensemble de ses meubles dans un endroit nouveau. Auparavant, ce n'était qu'à moitié, pas vraiment définitif. Cette fois, il me semble que c'est le dernier transfert avant peut-être le départ ultime. 

Mon idée était (comme auparavant d'ailleurs) de me passer le plus possible de la voiture et de réduire l'espace pour moins d'intendance.


 

J'ai eu bien-sûr le difficile dilemne d'abandonner une partie de ma bibliothèque. Mes enfants se sont moqués. Tu ne reliras pas tous ces livres, pourquoi les garder ? Oui pourquoi? Pour l'instant sont restés en arrière les classiques dans la chambre qui me reste réservée et les livres de travail que je n'ai pas encore décidé de totalement éliminer. je n'ai plus que quelques jours pour décider de leur sort.

Pire encore, que vais-je faire de toutes mes archives ?

Je lis en ce moment Claire Marin, "Rupture(s). Comment les ruptures nous transforment"  et "Être à sa place.Habiter sa vie, habiter son corps". Il s'agit du choix du groupe de lecture  qui se réunit une fois par mois et auquel je participe depuis plus de 10ans. Pur hasard, cela éclaire cette période de transition. En septembre, j'abandonnerai officiellement les fonctions que j'assurais dans les deux associations dédiées à l'économie solidaire. Il est plus que temps que je me consacre vraiment à l'écriture; Mais j'ai une sorte d'inquiétude; Vais-je savoir occuper cette disponibilité dans le sens que j'espère lui donner ?

"Il faut résister à la tentation de l'inertie, à la séduction de la matière, résister à la facilité d'une identité figée, ne pas se laisser s'enfoncer dans un mode d'être ou plus rien n'est ni vif, ni neuf" (Bergson, Le rire, cité par Claire Marin).  

Après avoir vécu dans de multiples lieux, cela faisait 24 ans que j'étais installée sur ma colline, que je quittais régulièrement il est vrai pour mes voyages. Voyons ce que va donner ce nouvel environnement, alors que je vais réduire mes voyages. Un changement majeur, j'échange la vue à  360 degrés pour un cocon de verdure environné de maisons, mais particulièrement paisible, à l'écart de la circulation.

 

 

Pour l'instant le jardin n'est pas au meilleur de sa forme, il a subi la canicule dont nous sortons à peine avec un différentiel de 15 °. Il faudra attendre le prochain printemps pour l'apprécier et le compléter.

J'apprends  la mort de François Gèze, le grand éditeur de La Découverte, le jour même de mon propre anniversaire.  


Son constant engagement politique à gauche comme son investissement permanent pour défendre l’édition et en faire le lieu d’une effervescence intellectuelle abordable par tous pourraient résumer la carrière de ce grand éditeur. Il faudrait toutefois y ajouter sa personnalité chaleureuse, à l’écoute des autres, toujours en éveil sur des domaines à explorer. Et, derrière ses lunettes, toujours ce regard qui traduisait une bienveillance gourmande.TELERAMA Par Gilles Heuré Publié le 29 août 2023.

"Qu'est-ce que la vie si tu ne t'arrêtes pas un peu pour la repenser"  Goliarda Sapienza. L'université de Rebibbia.

 

lundi 17 juillet 2023

Extinction d'une étoile


Inimaginable de vivre dans un monde sans ta lumière. Etienne Daho

 Jane Birkin est morte dimanche 16 juin. On la savait malade mais on espérait que la faucheuse lui accorderait une nouvelle fois un sursis.

J'aimais beaucoup cette femme,  pas seulement pour ses talents de chanteuse (j'aimais sa petite voix un peu fêlée et ses choix artistiques)  mais la personne pleine d'auto dérision, engagée dans des causes qui s'attaquaient à l'injustice. On sait qu'elle a eu trois enfants de trois compagnons différents : Kate avec John Barry, Charlotte avec Gainsbourg et Lou avec Jacques Doillon. On sait moins qu'elle a été la compagne de Olivier Rolin un de mes auteurs favoris. Il fait quelques allusions à leur relation dans son dernier livre "Vider les lieux".

« Si j'avais été capable d'apprendre de quelqu’un quelque chose de la vie, c’est de Jane que je l’aurais appris. »
Olivier Rolin

J'avais aimé le documentaire Jane par Charlotte.

La relation mère fille et réciproquement est sensible, le film alterne des moments très émouvants et des fous-rires. Deux femmes rompues à l'exhibition scénique et qui s'offrent, incroyablement authentiques.

 

Charlotte et Jane 2010

Je pense au chagrin de Charlotte et de Lou. On n'est jamais préparé.e à vivre la disparition d'une mère. 

Bien-sûr, elle a eu une vie frivole, a tourné dans des publicités (point très noir pour moi), mais sa maturité l'a conduite vers plus de conscientisation et ses engagements n'étaient pas faits pour la galerie, seulement mettre sa popularité au service de ce qui lui semblait utile et urgent.  

Elle a imposé une image de la femme qui est devenu un style. Son androgynie naturelle, sa spontanéité, son sourire chaleureux étaient si différents des icônes de son époque. Elle et Bernadette Lafont ont déverrouillé le stéréotype féminin. Libres et drôles alors que leur époque ne le permettait pas .

So long Jane

lundi 26 juin 2023

La voisine chroniquée. Merci Tania.

 Si vous ne connaissez pas le blog de Tania, je vous invite à le découvrir Textes & prétextes. Elle m'a fait le grand plaisir d'une présentation de La voisine que je reproduis ici. Je n'aurais sans doute pas mieux présenté mon livre. Je suis très fière de faire partie de la longue liste des auteur.e.s qu'elle a ainsi prososé.e.s à ses fidèles lecteurs. Merci Tania.

La voisine, Zoë L.

La couverture du premier roman de Zoë Lucider, La voisine, entre en résonance avec la citation d’Eric Chevillard en épigraphe : « Rares sont les belles femmes qui vivent comme si elles ne l’étaient pas, dans l’insouciance parfaite de cette beauté, exerçant des professions et se livrant à des activités où cette beauté n’est nullement engagée. » Tel est le cas de Suzanne, au centre de l’histoire qui aurait pu s’intituler « Recherche Suzanne désespérément » (ce titre, déjà pris, servira pour un chapitre).

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Illustration de couverture : Olivia Combes

La narratrice, une photographe lassée de sa vie nomade dans des pays en guerre, a acheté à Paris un appartement sous les toits « vendu en l’état », dont elle est tombée amoureuse à la première visite : « Ce lieu m’attendait. » Simple, confortable, « élégant de simplicité, luxuriant de sobriété ». C’est en y posant des provisions dans un placard qu’elle y a trouvé « un carton bourré d’aquarelles » et un cahier. Soucieuse de les restituer, elle se renseigne chez le notaire : il a réalisé la transaction avec un confrère qui s’est engagé à ne pas donner le nom du précédent occupant, excepté « une question de vie ou de mort ».

D’abord, elle s’est gardée de lire le cahier, un journal. Quand elle a fini par l’ouvrir et le feuilleter grossièrement, elle est tombée sur une date « superlative » pour elle-même, celle du jour où elle a « jeté l’éponge » : après avoir rompu avec Harry, un reporter de guerre, elle a pris l’avion pour Paris, loué une mansarde et exploré le quartier avec son appareil photo, photographiant des gens joyeux, en train de rire. Elle repère en triant ses photos des « entractes » entre ses clichés de guerre, des images paisibles prises sans doute pour se réconforter. Quand elle en parle à Magda, son amie galeriste, celle-ci a tout de suite une idée d’expo : « Guerre et paix ».

Le chapitre suivant, le plus long du roman, une cinquantaine de pages, reprend « Le Journal de Suzanne » qui va du 2 novembre au 21 décembre. Le premier jour, Suzanne y a noté une parole inattendue de son patron, Bertrand, qui s’en tient d’habitude au ton strictement neutre, courtois, adopté entre sa secrétaire et lui. Le même jour, elle a loué le petit studio à côté de son deux-pièces à une jeune femme qui partagera son palier au sixième sans ascenseur.

Quelques jours plus tard, Bertrand s’absente et la laisse libre de ses journées. Suzanne en profite pour faire du ménage, trie ses affaires, va se faire couper les cheveux chez Marine, très bavarde, qui refuse de couper davantage que cinq centimètres de sa chevelure « somptueuse ». Elle repeint le studio en blanc et envisage d’y installer son atelier si sa locataire ne réapparaît pas. Quand elle la retrouve sur le palier en train d’explorer le sac de vêtements qu’elle comptait mettre sur le trottoir, intéressée, elles font connaissance autour d’une pizza réchauffée. Suzanne parle peu d’elle-même et ne se formalise pas quand Carole lui demande que son nom n’apparaisse pas : « Pour tout le monde, le studio n’est pas loué, il est occupé de temps en temps par une amie. »

Suzanne évite les attaches. A part sa complicité facile avec Marine, elle fréquente le café d’Edgar, à quelques pas de l’immeuble. Carole l’invite à pendre la crémaillère en tête à tête. Quant à Bertrand, son patron qui l’a mise au chômage technique, sans perte de salaire, elle le tient à distance : il voulait son numéro de téléphone pour la contacter mais elle a répondu qu’il était sur liste rouge, qu’elle préférait un courrier. Quand elle le revoit, il n’a pas l’air bien – sa fille a disparu. Marjorie est majeure et lui a laissé un message où elle parle de « disparitions utiles », de sa peur du suicide. Il a perdu le contact avec sa mère, il se reproche d’avoir mis trop de pression sur sa fille. Suzanne fuit ces confidences et s’en débarrasse en les écrivant. Bertrand finira par cesser ses activités, en lui versant une indemnité très généreuse.

La lecture du Journal de Suzanne a rendu la narratrice curieuse de cette femme qui comme elle s’est « retirée d’une vie antérieure » et a occupé « cette tanière où [elle] avait [elle]-même trouvé refuge. »  Quand elle pousse la porte du bar près de chez elle, on n’y connaît pas d’Edgar. La coiffeuse qui ne s’appelle pas Marine lui dit que le patron du bar s’appelle André et qu’elle n’a pas connu de Suzanne. Celle qui occupait son appartement, c’était Jeanne, sans doute un faux prénom, une femme à l’histoire compliquée dont elle ne lui racontera rien. André lui donne le vrai prénom de la coiffeuse, Amélie ; il n’a pas la nouvelle adresse de Jeanne qu’elle lui a demandée pour « une question de vie ou de mort ».

En annonçant la publication de son premier roman sur son blog, L’arbre à palabres, Zoë Lucider notait que « La voisine n’est pas très activiste à rebours de son autrice, elle serait plutôt en retrait du monde, au point de disparaître après avoir changé d’identité. » J’ai repensé en lisant son roman à la question posée dans La carte des regrets de Nathalie Skowronek : « Que savons-nous de l’existence de ceux qui nous entourent ? » Zoë Lucider la pose à sa façon.

Tour à tour, le récit sera porté par André/Edgar, par Amélie/Marine, par d’autres qui ont été mêlés un temps à la vie de Suzanne. Pour la narratrice, celle-ci est devenue « une sorte de sœur », l’objet d’une quête obsessionnelle : « Je n’aurais pas eu plus d’acharnement à rechercher ma mère naturelle si j’étais une enfant adoptée. » Tandis qu’elle la cherche, attirée par son choix du retrait qui rejoint son propre besoin de solitude, celle qui raconte devient elle-même une voisine, dont les autres observent l’apparence, les habitudes. Entrecroisant  les témoignages, l’autrice nous rend jusqu’au bout curieux de démêler le mystère de la disparue. Au fil du récit et des dialogues, La Voisine raconte aussi les péripéties d’une vie de femme en solo, la vie quotidienne et les rencontres. A découvrir.

mardi 20 juin 2023

Marguerite

 

Née le 8 juin 1903, toujours d'actualité...120 ans plus tard.
 

 
« Je condamne l’ignorance qui règne en ce moment dans les démocraties aussi bien que dans les régimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu’on la dirait voulue par le système, sinon par le régime. J’ai souvent réfléchi à ce que pourrait être l’éducation de l’enfant.
Je pense qu’il faudrait des études de base, très simples, où l’enfant apprendrait qu’il existe au sein de l’univers, sur une planète dont il devra plus tard ménager les ressources, qu’il dépend de l’air, de l’eau, de tous les êtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout détruire.
Il apprendrait que les hommes se sont entretués dans des guerres qui n’ont jamais fait que produire d’autres guerres, et que chaque pays arrange son histoire, mensongèrement, de façon à flatter son orgueil.
On lui apprendrait assez du passé pour qu’il se sente relié aux hommes qui l’ont précédé, pour qu’il les admire là où ils méritent de l’être, sans s’en faire des idoles, non plus que du présent ou d’un hypothétique avenir.
On essaierait de le familiariser à la fois avec les livres et les choses ; il saurait le nom des plantes, il connaîtrait les animaux sans se livrer aux hideuses vivisections imposées aux enfants et aux très jeunes adolescents sous prétexte de biologie. ; il apprendrait à donner les premiers soins aux blessés ; son éducation sexuelle comprendrait la présence à un accouchement, son éducation mentale la vue des grands malades et des morts.
On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en société est impossible, instruction que les écoles élémentaires et moyennes n’osent plus donner dans ce pays.
En matière de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout de celle du pays où il se trouve, pour éveiller en lui le respect et détruire d’avance certains odieux préjugés.
On lui apprendrait à aimer le travail quand le travail est utile, et à ne pas se laisser prendre à l’imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatées, en lui préparant des caries et des diabètes futurs.
Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses véritablement importantes plus tôt qu’on ne le fait. »
Marguerite Yourcenar, "Les yeux ouverts."