Lui, je l'ai rencontré ce matin, enfin pas lui mais son frère. Je circule beaucoup en voiture et le nombre de cadavres d'animaux qui jonche la chaussée est hallucinant. Comme j'ai horreur de repasser sur le monceau de boyaux éclatés, je vise savamment pour que mes roues n'en remettent pas une couche, si on peut dire. Les chiens écrasés, c'est la rubrique ou on placardise les journaleux, faute de mieux. Ca devient furieusement tendance.
Les publicistes utilisent l'image d'animaux écrasés pour vendre les véhicules de clients qui assument du coup que leurs engins ont une vocation meurtrière. Un Vespa plus rapide qu'un léopard, la preuve la bête gît avec la marque de la roue bien en travers;
le 4X4 est waterproof puisqu'il peut écrabouiller un mérou
Paul Personne avait écrit un adieu aux P'tites bestioles. "La gachette frivole du nouveau roi des cons", c'est pas vendeur de 4X4.
Mes deux chiens sont morts sous les roues de sales bagnoles, dont l'une conduite par une femme complètement abrutie de tranquilisants.
De mauvaise humeur aussi parce que j'ai vu "La journée de la jupe" et que je me sens dans le plus grand des malaises.
Des Sonia (formidable Adjani), j'en ai connu, j'en connais, je travaille avec elles (oui, je m'occupe de l'éducation des petits nenfants des cités pourries, entre autres). Le film est très efficace, plutôt crédible : une enseignante pète les plombs quand un des caïds qui l'emmerde en permanence et ruine la mission de transmission des mystères de la langue française, qu'elle prend très au sérieux et ce pour des gamins qui s'en battent les c...,(sic bien sûr ) se révèle en possesssion d'un calibre. Pour lui confisquer elle s'en empare, s'en sert pour se défendre et intimer l'ordre aux gamins de la fermer, puis de suivre d'un bout à l'autre son cours sur Molière. Naturellement ça se gâte, je n'en dirai pas davantage.
Le film contient tous les ingrédients d'un excellent thriller, d'une chronique sociale, d'un mélodrame de la plus pure école réaliste. On en sort la gorge serrée, les larmes aux yeux.
Et pourtant, je reste sur cette méchante humeur. D'abord parce que la réalité décrite est hélas de la pire des actualités et que l'entassement de populations toutes stigmatisées par leur appartenance à la France du très bas, voire pas même reconnues comme partie de la communauté a permis la prolifération d'une frange de petits machos qui ne rêvent que gloire vite acquise, belles bagnoles et meufs à gogo. La prof qui prie ses élèves de comprendre que seul le savoir peut les tirer du ghetto où ils se savent croupir, comme tous les adultes armés des meilleures intentions du monde, avec leur figure d'honnête homme tout droit descendu des humanités et de l'idéal des lumières ne peuvent rien contre ce qui est illustré dans ce qui précède, à savoir ce leit motiv obsédant en clair ou en filigrane des messages publicitaires : soit le plus fort, le plus malin, écrabouille s'il le faut, mais surtout, ne reste pas dans cette position lénifiante de victime qui est l'autre face de la médaille. Pour que certains soient au pinacle, il faut que beaucoup soient en esclavage.
Mon malaise à la suite du film, c'est qu'il dit peu de choses à cet égard. Il rabat le propos sur une éducation trop coranisée, les dérives de petits machos qui filment les viols collectifs, la mise au martyr de hussards de la république souvent issus de la génération précédente d'enfants d'immigrés, il dit la barbarie des forces de l'ordre quand il s'agit d'en finir, mais il ne dit rien de ces gens qui bon an mal an essaie malgré tout de vivre dignement même si leurs enfants leur échappent.
Peut-être que ce qui me gène le plus c'est que la caillera la pire, c'est encore un Noir (comme dans "Entre les murs" même s'il fait la paire avec un Roux, et que si les constats sur la pitoyable situation des collèges est énoncée, cela reste marginal. Toute l'intensité du film est dans le délire paroxistique de Sonia / Adjani, l'attitude compréhensive, humaine, trop humaine du flic médiateur joué par Denis Podalydès. Le film peut aussi bien au premier degré flatter les pires penchants réactionnaires et c'est sans doute ce qui me fout vraiment en rogne.
Les deux morceaux de ce billet sont donc moins hétérogènes qu'ils pourraient paraître. C'est le même irrespect du vivant qui ratatine la faune et les enfants du monde, c'est l'avidité promue au rang de vertu qui contamine à un degré ou un autre les membres de l'espèce. L'homme ne nait ni bon ni mauvais, mais si sa seule issue est la barbarie, on ne voit pas comment il y échapperait.
Et comme tous ceux qui se coltinent ces réalités, je suis submergée par le découragement, celui de Sisyphe, voyant sans cesse rouler à bas le rocher qu'il a eu tant de douleur à élever au dessus du monde.
Demain, je reprends mes belles couleurs riantes et pleines d'optimisme, c'est promis