Eh! Oui, encore un remerciement. Trouvé sur Facebook et
transféré ici où il sera moins lu, - normal je ne publie quasiment plus-
mais où il restera de façon plus permanente. Fred Vargas dit tellement
bien ce que je ressasse depuis longtemps sur ce blog et ailleurs. C'est
un texte qu'elle a écrit il y a une dizaine d'années et tellement
terriblement d'actualté alors que la peste noire fait encore reculer
l'horizon du possible.
.
''Lettre de Fred Vargas : la troisième révolution
Nous y sommes
Nous y v
oilà,
nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les
hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes.
Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec
brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal.
Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités
d'insouciance. Nous avons chanté, dansé. Quand je dis « nous »,
entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine.
Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à
l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous
avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous
avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons
chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi,
nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones,
franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.
On a réussi des
trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la
banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre,
déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire
péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni
connu.
Franchement on s'est marrés.
Franchement on a bien profité.
Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo
de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des
pommes de terre.
Certes.
Mais nous y sommes.
A la Troisième Révolution.
Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution
néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a
pas choisie.
« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.
Oui.
On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé
notre avis. C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir
aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies.
La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau.
Son ultimatum est clair et sans pitié :
Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des
araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu
portées sur la danse). Sauvez-moi, ou crevez avec moi.
Évidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix. On
s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et
honteux. D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de
s'amuser encore avec la croissance.
Peine perdue.
Il y a
du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais. Nettoyer le ciel, laver
l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire,
ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix,
contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas
sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer
la marine à voile, laisser le charbon là où il est, attention, ne nous
laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille, récupérer le
crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a
tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés).
S'efforcer. Réfléchir, même.
Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.
Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.
Pas d'échappatoire, allons-y.
Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui
l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante.
Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible.
A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le
retour de la barbarie une autre des grandes spécialités de l'homme, sa
plus aboutie peut être.
A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.
A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore''.
Fred Vargas
Archéologue et écrivain
Petit rappel et recommendation
Petit traité de toutes vérités sur l'existence (2001)