dimanche 16 mai 2010
Près de Depluloin
Je suis tellement faible (je l'étais surtout) que si je pouvais coïncider d'esprit avec qui que ce soit, je serais immédiatement subjugué et avalé par lui et entièrement sous sa dépendance; mais j'y ai l'oeil, attentif, acharné plutôt à être toujours bien exclusivement avec moi.
Grâce à cette discipline, j'ai maintenant des chances de plus en plus grandes de ne jamais coïncider avec quelque esprit que ce soit et de pouvoir circuler librement en ce monde.
Mieux! M'étant à tel point fortifié, je lancerais bien un défi au plus puissant des hommes. Que me ferait sa volonté ? Je suis devenu si aigu et circonstancié, que, m'ayant en face de lui, il n'arriverait pas à me trouver.
Henri Michaux "Lointain intérieur". L'espace du dedans. Pages choisies (1927 - 1959)
Spéciale dédicace à Dominique Chaussois alias Depluloin
Dessin Benjamin Kuhn
vendredi 14 mai 2010
"Contre la spéculation, coupez leur les bourses."
Je suis très monopolisée par un texte que je dois finaliser d'urgence. Je le fuis de temps à autre et je picore ça et là des échos du monde. En voici quelques uns. C'est de bric et de broc, en vrac.
Le Figaro se fait l'écho des protestations à l'encontre des spéculateurs. Un monde bascule en effet. Les petits requins commencent à frémir, l'avidité des grands squales menace tout le monde.
Le titre est emprunté à un des manifestants du soutien à la Grèce, organisé par ATTAC et quelques autres (500 environ) "amoureusement" bordés par le service d'ordre qui met plus de zèle à "contenir" cette petite poignée de protestataires qu'à déloger les traders douteux de leurs paradis fiscaux (quel attelage verbal!).
Le Monde publie un texte d'Yves Simon, "Visage, mappemonde de l'au-delà", dithyrambe sur l'importance de nous donner à voir les uns les autres notre fonds commun d'humanité.
Sur la même page cet appât : ISF: 75% de réduction! Investissez dans des PME françaises prometteuses et réduisez votre ISF 2010 jusqu'à 75% ! 75% ! Le problème est de déterminer quelles sont les PME prometteuses, ce qu'elles promettent, ce qu'elles tiendront et à quelle sauce elles mangeront leurs petits. L'autre question c'est l'ISF. Vous en êtes vous, de ceux à qui on "inflige cette ponction insupportable"?
Enfin une bonne nouvelle : après l'annonce de la projection à Cannes du film "Le Grand Amour" de Pierre Etaix, la ressortie officielle de l'ensemble de ses films le 7 juillet 2010, huit films restaurés (il s'agit de la première restauration d'une intégrale ), pas loin de 1000 pages de contrats pour résoudre des années d'imbroglio juridique, plus de 20 ans d'absence des films. Plus de détails ici
Dernière minute, le Chasse-clou a trois ans.
Nous ne sommes pas en mesure de vous indiquer le nombre de mots, d'images et de traits d'humour commis en son nom mais vous invitons à rendre visite à ses travellings fous.
Photo ZL
dimanche 9 mai 2010
Sauvegarder le ferment de la vie.
A la question « faut-il s'armer pour abattre le tyran », Etienne de La Boétie, démontrant à quel point il détenait le secret de sauvegarder, par-delà la glaciation des siècles, le ferment d'une vie à renaître, fournit à nos contemporains une réponse à laquelle ils ne pourront souscrire sans la mettre en œuvre aussitôt: « Nullement. Je ne veux pas que vous le poussiez ou l'ébranliez. Mais seulement, ne le soutenez plus! Et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même fondre en bas et se rompre » Raoul Vaneigem, pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante. Manuels Payot, 2002
Hyam Yared, Dany Laferrière, Marie-Christine Navarro, Balma 2010.
C'est en substance ce que nous a donné à entendre Denis Laferrière, Président d’Honneur des rencontres du livre et du vin de Balma 8 et 9 mai, au cours de la table ronde « La langue pour territoire » où il était aux côtés de Denise Desautels (Le coeur et autres mélancolies, Apogée) , Nimrod Bena Djangrand ('L'Or des rivières, Actes Sud) et Hyam Yared («Sous la tonnelle, Sabine Wespieser) . La table ronde était animée par Marie-Christine Navarro (Une femme déplacée, Fayard) .
"Qu’y a-t-il de commun entre un écrivain originaire d’Haïti, un autre du Québec, un autre encore du Liban, un autre du Tchad, sinon la langue, et singulièrement la langue française écrite ? A l’heure où un certain débat sur une prétendue « identité nationale » bat son plein, il est bon de rappeler ce que les écrivains ont à nous dire sur leur territoire, celui de l’imaginaire, par définition sans frontières, et incarné par la langue, ce patrimoine/matrimoine humain mondial."
«L’énigme du retour» est le grand roman de la maturité de Dany Laferrière. On y retrouve son personnage de l’écrivain qui ne fait apparemment rien que prendre des bains dans son appartement à Montréal. Un matin, on lui téléphone : son père vient de mourir. Son père qui, dans un parallèle saisissant, avait été exilé d’Haïti par le dictateur Papa Doc, comme le narrateur, des années plus tard, l’avait été par son fils, le non moins dictatorial Bébé Doc.
C’est l’occasion pour le narrateur d’un voyage initiatique à rebours. Partant d’abord vers le Nord, comme s’il voulait paradoxalement fuir son passé, il gagne ensuite Haïti pour les funérailles de son père. Accompagné d’un neveu – qui porte le même nom que lui –, il parcourt son île natale dans un périple doux et grave, rêveur et plein de charme, qui le mène sur les traces de son passé, de ses origines. Mais revient-on jamais chez soi ? Un roman d’une facture extrêmement originale : il est en vers libres, d’une lecture très fluide, rythmée et toute en séduction."Ces extraits sont tirés du programme, version électronique du Salon du livre et du vin de Balma, manifestation sympathique que je fréquente chaque année. Une occasion d'y rencontrer des écrivains dont certains sont également blogueurs (je n'ai pas dit blagueurs). Je tairais ma rencontre de cette année, délicieuse, ce sera mon seul commentaire. A noter que le Salon comporte un "arbre à palabres", sous lequel une lectrice tente bravement de donner à entendre des textes dans un brouhaha de haute densité.
Donc, que nous a dit Dany Laferrière avec cet humour inimitable qui se moque avant tout de lui-même ? De mémoire, car je n'ai pas pris de notes : quand il est arrivé au Québec, il s'est demandé s'il n'allait pas préférer retourner affronter le dictateur d'Haïti plutôt que le général Hiver particulièrement féroce à Montréal. Ce sont ceux qui restent qui souffrent le plus de l'exil. Celui qui part et en l'occurence le jeune homme qu'il était, découvre de nouvelles façons d'exister dans un pays libre,(mention spéciale aux charmes des Québécoises), tandis que ceux qui sont restés (sa mère en l'occurence) vivent le quotidien médiocre des temps de glaciation démocratique, amputé de la présence de ceux qui sont partis. Il n' a jamais voulu parler d'exil pour lui-même, mais de voyage, affirmant ainsi un choix délibéré et non la contrainte liée au despote.
Cet homme professe la culture du bonheur. Nimrod surenchérit en s'étonnant que la littérature soit si souvent sur le mode de la déploration quand il faudrait s'extasier de la beauté du monde.
DanyLaferrière, en riant, a prétendu que la meilleure façon de résister au dictateur est de l'ignorer. Le dictateur veut, exige, que les pensées et les actes de ceux qu'il prétend gouverner soient totalement conditionnés par la révérence à sa référence. Qu'on le loue ou qu'on le haïsse, l'important est qu'il se doit d'occuper notre esprit. Or, il est possible de le réduire à néant en l'ignorant, purement et simplement.
Refuser de servir. Laferrière, digne émule de la Boétie.
Photos ZL. Leur qualité n'est pas excellente mais le lieu était mal éclairé et il était difficile de s'approcher de l'estrade.
mercredi 5 mai 2010
Tout va très bien Madame la Marquise !
Trop d'eau et le quotidien est défiguré. On aura reconnu les inondations due à Xinthia, cette salope.
Celles-ci, pour moi, c'est le summum de l'absurdité, c'est le plus noir de l'avenir du monde.
Qu'est devenue cette magnifique jeune fille qui a (ou aurait ?) 26 ans supplémentaires. probablement mariée à un affreux et chargée de mouflets ou morte de faim ou de violence.
Je pense à tous mes copains (pas encartés au parti mais ayant subi quelques persécutions ou exil du temps des Colonels) que je n'ai pas revus depuis si longtemps. Je pense à cette ville et à ce pays où j'ai vécu tant de moments sublimes et tant d'autres moins reluisants.
Désolée, chers amis grecs, mais il fait trop froid en ce mois de mai pour que le peuple se lève. Il est sous la couette et regarde la ferme des animaux, pardon, des célébrités.
Et je viens d'entendre que notre premier ministre annonce des mesures drastiques à l'encontre des niches fiscales. Enfin une bonne nouvelle! Mouahahahahah!
Photos l'Internaute dont 3 et 4 extraites du livre publié par Reporter Sans Frontières pour ses 25 ans, album de 101 photos choc qui ont marqué notre siècle.
Je ne résiste pas au plaisir de vous faire constater le cynisme qui s'affiche en offrant la Grêce au rabais simultanément aux images de baston entre les Grecs et leur Police (Astynomia). Ça ne vous tente pas ? Vous avez tort ! Vous seriez accueillis comme les Dieux de l'Olympe !
Partez en Grèce en all inclusive ! Offres dégriffées avec Look Voyages
vendredi 30 avril 2010
Félix, si tu savais!
C'est de la façon de vivre désormais sur cette planète, dans le contexte de l'accélération des mutations technico-scientifiques et du considérable accroissement démographique, qu'il est question. Les forces productives, du fait du développement continu du travail machinique, démultiplié par la révolution informatique, vont rendre disponible une quantité toujours plus grande du temps d'activité humaine potentielle. Mais à quelle fin ? Celle du chômage, de la marginalité oppressive, de la solitude, du désœuvrement , de l'angoisse, de la névrose ou celle de la culture, de la création, de la recherche, de la réinvention de l'environnement, de l'enrichissement des modes de vie et de sensibilité. Dans le Tiers monde, comme dans le monde développé, ce sont des pans entiers de la subjectivité collective qui s'effondrent ou qui se recroquevillent sur des archaïsmes, comme c'est le cas, par exemple, avec l'exacerbation redoutable des phénomènes d'intégrisme religieux.
Il n'y aura de réponse véritable à la crise écologique qu'à l'échelle planétaire et à la condition que s'opère une authentique révolution politique, sociale et culturelle réorientant les objectifs de la production des biens matériels et immatériels. Cette révolution ne devra donc pas concerner uniquement les rapports de force visibles mais également des domaines moléculaires de sensibilité, d'intelligence et de désir » Félix Guattari. Les trois Ecologies.
Peut-on parler aujourd’hui d’une catastrophe écologique?
Dès l’instant où on assiste à une fuite de cette ampleur, c’est une catastrophe écologique. Les milieux marins sont déjà touchés, et nous devons faire face à un potentiel désastre écologique sur terre. Pour le moment, c’est quasi-impossible de dire quel est l’impact de la catastrophe. Des activités comme la pêche ainsi que certaines formes d’aquaculture sont touchées. Quant à la population marine, le pétrole brut peut-être ingéré par le poisson, entrant ainsi dans l’écosystème marin.
Et pour la terre?
Si ça vient jusqu’aux côtes, la faune et la flore seront touchées. Les oiseaux notamment seront impactés. A titre de comparaison, la catastrophe de l’Erika en 1999, a engendré plus de tonnes d’oiseaux morts que de brut déversé. Les mammifères et les amphibiens vont également être victimes de la marée noire.
Total a annoncé un bénéfice en hausse de 9% au 1er trimestre 2010, soutenu par la remontée des cours de l'or noir et une hausse de la production, et a fait état de sa "confiance" pour le reste de l'année, selon un communiqué publié vendredi.
Félix, au secours!
Fredo, merci !
dimanche 25 avril 2010
Paris. Des plantes et des oiseaux.
Il y avait bien au loin cette masse rose, qui grossissait alors que j'avançais dans sa direction. Il s'agissait d'un Prunus serrulata au meilleur de sa floraison.
Je n'ai fait que traverser le Jardin des Plantes mais il me semblait que le lieu n'était plus entretenu. Etait-ce seulement une affaire de saison ou une restriction de personnel sur le vieux Musée dans son ensemble. "Il a trouvé que c'était poussiéreux" disait une mère à un père qui, semblait-il, venait de les rejoindre après leur visite de la grande galerie de l'évolution. Ben forcément, hein tout ça c'est vieux, très vieux. Je me demandais combien de temps encore les serres seraient visitées. C'est l'année de la biodiversité. Une année ? Et après ?
Je venais de m'offrir un plaisir-souvenir, un repas au restaurant de La Grande Mosquée de Paris, un endroit délicieux où j'avais interrompu ma dégustation, pour capturer par l'objectif les moineaux eux-mêmes occupés en toute tranquillité à se rassasier des miettes, soit un vrai festin pour leurs minuscules estomacs.
N'étant pas moi-même musulmane, j'ai toujours aimé ce lieu où je retrouvais mes amies pour un hammam suivi d'un thé et de quelque patisserie. Patios ombragés, fontaines, mosaïques. Pourquoi cet art de vivre devrait-il être méprisé au prétexte que l'islamisme rugissant nous pourrit la vie et que l'intégrisme essentiellement porté par des hommes qui en tire leur pouvoir de domination sur l'autre moitié de l'espèce est devenu une caricature sanglante d'une spiritualité qui a par ailleurs inspiré de grandes réalisations.
Merci à Floréal pour ce lien qui hélas nous rappelle que les femmes sont les martyres de ces religions mortifères. Non, "c'est pas normal des tueries pareilles".
mercredi 21 avril 2010
Paris. Au bord du canal, fièvre du samedi.
Paris sera toujours Paris. Il n'empêche, j'ai pu constater quelques modifications profondes. Ainsi le canal de l'Ourcq. Du temps où j'habitais rue de Joinville, c'était un lieu très peu attractif, bordé d'immeubles gris, entrepôts et autres lieux de labeur. Je m'y suis promenée samedi, on y a installé des restaurants, l'Holidays Inn vous y accueille à partir de 110 euros la nuit. Le petit noir vous brule le gosier à raison de 2euros 80, à moins que vous ne choisissiez d'embarquer aux antipodes pour un prix plus doux. Ce que j'ai fait.
Puis j'ai continué ma promenade.
En approchant de la Rotonde de la Villette, j'ai bien remarqué sous des piliers des matelas entassés à peine masqués par des guenilles placées en rideau et noté également que la plupart des gens passaient à l'arrière, évitaient cette partie de la promenade Signoret Montand (sissi, ils ont donné leur nom à cet endroit propice au campement SDF).
En passant devant le cinéma MK2, Quai de la Seine, j'ai pris plaisir aux citations.
Comme je dépassais le cinéma, je tombai sur une scène qu'on aurait pu croire tirée d'un film. Quatre types campés sur la hauteur séparée du quai par une dizaine de marches se hurlaient des insultes. Deux d'entre eux ont dégringolé les marches, l'un s'est emparé d'une bouteille, a ajusté un des clochards resté sur la hauteur et l'a atteint en plein visage, lui explosant la joue et lui criant "T'es mort", comme dans un jeu d'enfant. Le deuxième, un grand Noir s'est alors tourné vers nous et on a pu voir qu'il avait le visage en sang.
Il est venu se laver en prenant l'eau de la fontaine puis est reparti à l'attaque, armé de bâtons.
Le malaise grandissait chez les badauds mais en quelques minutes, alors qu'ils s'étaient rapprochés et se menaçaient de coups de batons, des flics en civil se sont rués sur les belligérants, révolver au poing et les ont fait se jeter à terre, les maintenant de la sorte jusqu'à ce qu'une voiture de police déverse les renforts, en uniforme, qui ont passé les menottes à deux des combattants (un dans chaque camp). Les pompiers sont intervenus quasi immédiatement et ont commencé à soigner le Noir au visage ensanglanté, tandis que le clochard moins touché, se carapatait sans que personne ne s'y oppose et que les deux autres se tortillaient à terre, les mains menottées derrière le dos.
Une jeune femme me commentait la scène. Elle habitait à Paris depuis un an. Cet endroit est -disait-elle- un lieu de trafic et il existerait une guerre larvée entre police nationale et police municipale qui aboutirait à laisser se développer une zone de non droit. En tout cas, pensais-je, elle est truffée de policiers en civil qui interviennent en jaillissant de la foule installée paisiblement aux alentours. Je n'ai pas attendu la clôture de l'algarade. Je suppose que tout le monde a été embarqué. Sauf, le clochard évaporé. Au total deux voitures de Police, deux de pompiers, des flics en civil, et les veaux sont bien gardés.