Affichage des articles dont le libellé est Freida McFadden. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Freida McFadden. Afficher tous les articles

dimanche 14 septembre 2025

Comment les faire disparaître

 Une série de lecture cet été m'a conduite sur les chemins escarpés de l'abus de pouvoir des hommes s'exerçant au détriment de leur "moitié" . De fait elles ne sauraient être entières et si elles s'avisent de l'oublier les mesures coercitives sont là pour les remettre dans le droit chemin. 

Commençons par Ilaria 


Un père enlève sa fillette, huit ans, dans l'espoir d'obliger, la mère de l'enfant à reprendre la vie commune. La petite fille est embarquée dans un périple hasardeux dont elle ne comprend pas les raisons auprès de son père qui l'aime à sa façon absurde, mais bois et fume trop et s'entête à poursuivre sa femme de coups de fil sans jamais la laisser parler à l'enfant. On pense à tous ces mômes brinqueballés entre leurs deux parents voire leurs grands-parents et torturés par leur devoir de loyauté.

Poursuivons par Mon vrai nom est Elisabeth.  




L'autrice craignant d'avoir hérité de la schizophrénie de son arrière grand-mère se lance dans une recherche pour mieux connaître Betsy, le surnom de celle-ci, en interrogeant ses descendants. Une enquête douloureuse et complexe, tant Betsy a été enfouie dans un de ces secrets familiaux qui sont par définition difficiles à porter à la lumière. Tout en cherchant, elle découvre les méthodes barbares utilisées pour "ramener les femmes à la maison" et les rendre compatibles avec ce que la société attend d'elles : de bonnes ménagères s'occupant de leurs enfants. Pour celles que ce programme ne réjouit pas et qui cherchent à s'en échapper, il y a la lobotomie, une méthode épouvantable inventée par un médecin américain, pratiquée en France de 1945 à 1955 qui a pour objectif "non pas de guérir mais de contenir", il ne s'agit pas de modifier une personnalité normale,    il s'agit de modifier une personnalité anormale pour essayer de la rendre normale". Cette opération qui consiste à amputer le lobe frontal en le traversant de part en part est pratiquée à la demande de l'entourage, en l'occurrence du mari, l'avis de la patiente ne valant rien. Le livre extrêmement documenté est à la fois un témoignage sur les violences faites aux femmes jusqu'à la moitié du XXe siècle, (sachant qu'il existe désormais la camisole chimique) et le parcours d'une femme, l'autrice, pour conjurer sa peur de devenir folle comme un héritage génétique. 

Compte tenu des dangers encourus dans l'univers familial, comment s'en prémunir? J'ai eu le plaisir d'entendre Blandine Rinkel présenter La Faille au Banquet du Livre de Lagrasse. Le titre est dû au fait que Blandine a remarqué que lorsqu'elle écrit famille le m est aplati au point de disparaitre.  

 


Comment se fait-il que quitter sa famille provoque "un immense soulagement et, plus secrète, une profonde joie" . Blandine Rinkel traque à l'aide d'exemples tirés de la littérature ou du cinéma, la toxicité des situations familiales qui piègent dans leur univers clos ceux qui s'y sentent contenus, contraints, obligés, voire malmenés, violentés.  A la famille conformiste elle substitue la "meute" de complices avec qui rire d'un vrai rire,  pour partager un écart avec la norme, parce qu'elle nous effraie ou nous ennuie, nous indiffère ou nous afflige. "Rien, vraiment, n'est plus difficile que le vrai rire, mais aucune qualité n'a de plus grande valeur. C'est un couteau qui retranche autant qu'il donne forme" écrit Virginia Woolf . Et l'amour, non pas une manière de poursuivre la famille par d'autres moyens , mais au contraire une façon de rompre les amarres sans faire naufrage. Elle écrit pour "celles que le groupe a expulsées ou qui le rejettent pour des raisons intimes, politiques ou métaphysiques [...] celles qui tout en aimant leur foyer s'y sentent parfois piégées [...] toutes celles qui doivent couper pour rester vivantes.
Ce que n'a pu faire Betsy Elisabeth.

Une autre invisibilisée maintenant, madame Orwell. 



Oui la femme du si célèbre auteur de La ferme des animaux et de  1984. Je vais confier à l'autrice elle-même le soin de parler de son livre en soulignant seulement ici qu'elle a eu l'idée d'écrire cette biographie romancée après avoir découvert qu'aussi bien dans les écrits d'Orwell que dans les biographies qui lui sont consacrées, Eileen O'Shaughnessy n'apparaît pas. Elle a pourtant vécu avec le grand écrivain à Barcelone en étant responsable d'un poste de secrétariat à la communication du POUM et à ce titre exposée, courageuse et très aidante pour son mari. Rien ne laisse soupçonner sa présence dans "Hommage" à la Catalogne". Anna Funder a dû collationner d'autres témoignages pour reconstituer l'épisode. De retour en Grande Bretagne Eileen renonce à sa vie confortable de Londres pour suivre George dans la ferme perdue au milieu de nulle part. Elle assure l'intendance dans la journée et tape le manuscrit de l'écrivain le soir venu. C'est elle aussi qui établit les relations avec le milieu de l'édition et entretient la vie sociale de son bourru de mari. Elle qui le soigne alors qu'il est tuberculeux etc. Citons ici le commentaire d'Anna Funder. "Devenue écrivaine et épouse, je me prends à envier ces grands écrivains, ces misogynes du milieu du XXe qui s'ignoraient (insérez  ici à peu près n'importe quel nom de grand écrivain de l'époque). [...] Tant de ces hommes ont bénéficié d'un environnement social qui défiait à la fois la morale (il avaient un "deuxième bureau comme disent les Africaines, entendre une, voire plusieurs maîtresses), et les lois de la physique, car le travail invisible, non rémunéré d'une femme créait pour eux le temps et l'espace  - propre, chauffé et ordonnée - pour qu'ils puissent travailler (:75)  
Croit-on que cela a vraiment changé ? Je peux témoigner que pour ce qui me concerne la charge mentale et l'intendance ont beaucoup rogné sur mon temps d'écriture et Anna Funder semble elle aussi le déplorer. La lecture de ce livre est particulièrement édifiante. On y apprend notamment le procédé pour invisibiliser les femmes. Utiliser le forme passive pour décrire ce qu'elles ont accompli. Le miracle a eu lieu mais on ne sait rien de son origine. Fortiche !  

Un petit dernier ?


Ce livre s'est arraché paraît-il cet été et on pouvait le voir entre les mains des allongé.e.s sur les plages. C'est une amie qui me l'avait conseillé. En fait il s'agit d'une série plutôt addictive
En France, il s'est vendu à plus de 630 000exemplaires en 2024 et constitue le best seller de l'année.
Ecriture très simple, drôlerie de Millie (c'est son nom) et intelligence d'une intrigue de thriller, je ne crois pas me tromper en supputant que son succès est dû à son propos central. L'héroïne se retrouve sans cesse dans une situation de violence conjugale super sophistiquée où elle intervient parce qu'elle ne peut faire autrement. Elle sauve des femmes du désastre et lui sont ensuite adressées des malheureuses en quête de sauvetage. Pour les lectrices, un baume sur leur éventuelle amertume.