Je viens de découvrir Olga Tokarczuk, écrivaine polonaise qui a été nobélisée en 2018*. je n'avais pas eu la curiosité d'approcher ce qu'elle a écrit. Je viens de réparer cet oubli en lisant le petit opuscule qui rassemble, sous le titre que je lui ai emprunté pour ce billet, son discours de reception du Nobel, suivi de deux autres textes. "Les travaux d'Hermès, ou comment, chaque jour, les traducteurs sauvent le monde", un éloge de ceux "grâce auxquels les esprits parviennent à franchir les frontières entre différents mondes, et eux, par leur talent, leur savoir-faire, ils ont la possibilité de dépasser les frontières, de les abolir pour créer, dans les alambics de leurs ordinateurs, la pierre philosophale de notre temps: l'universel. Le troisème texte "La fenêtre"est une analyse très fine de cet événement inédit, la pandémie due au covid 19, ce qu'il a affecté de notre façon d'être au monde et en quoi il a inauguré une nouvelle ère dont on ne sait rien pronostiquer sauf qu'elle est à inventer puisque " telle de la fumée, nous voyons se dissiper notre conception de la civilisation, celle là même qui nous a structurés ces deux cents dernières années".
Dans son adresse au public du Nobel (mais au-delà à tout lecteur), Olga s'interroge sur le rôle de la littérature dans un monde sursaturé d'informations, un monde qui devient "une compilation de choses et d'événements, un espace inerte dans lequel nous nous déplaçons, solitaires et perdus, bousculés par les décisions d'on ne sait qui, aliénés par une fatalité incompréhensible, avec le sentiment que des agents puissants de l'histoire ou du hasard se jouent de nous" (...) Comment écrire, comment construire mon récit pour qu'il puisse porter cette immense constellation qui forme le monde? (...) un mode de narration juste qui éveillerait dans l'esprit du lecteur la perception d'une totalité, une capacité à réunir les fragments en un unique schéma, à découvrir des constellations dans les myriades d'événements. L'histoire serait tissée de sorte que soit évidente l'appartenance de tous et de toute chose à un imaginaire commun produit consciencieusement par nos esprits à chaque rotation de la planète."
Il s'agit d'inventer une quatrième personne du sujet, à la fois ancrée dans un vécu incarné et regardant le monde avec "tendresse", la forme la plus modeste, la plus désintéressée de l'amour qui porte une attention empathique à tout ce qui vit et participe du mouvement du monde.
Il se trouve que je pars dans quelques jours pour Wroclaw où habite cette belle personne. Je ne sais pas si j'aurais l'occasion de la rencontrer mais je vais entreprendre la lecture de ses ouvrages. Féministe, défenseuse des minorités, elle n'est pas en odeur de sainteté dans son pays, gouverné par le très conservateur parti "Droit et Justice", mais est une autrice très aimée dans son pays et la plus traduite à l'étranger.
Un peu de beauté, en transition entre l'éloge du vivant et l'artiste mort |
Peut-on dire que Jean Luc Godard qui vient de mourir en choisissant son heure fut un tendre narrateur ? Il cherchait en tout cas à dépasser tout ce qu'il considérait comme le convenu du cinéma. C'était un chercheur halluciné. Mais l'homme ne m'était pas sympathique. J'ai gardé en mémoire le chagrin d'Agnès Varda qu'il a laissé à sa porte alors qu'il avait accepté de participer à son très beau film Visages Villages. Il avait sans doute ses raisons mais c'est un acte de vieil ours égoïste.
Pour un hommage à l'artiste, je passe la main à l'ami Dominique Hasselmann
*Olga Tokarczuk reçoit son Nobel avec un an de retard, mais s'excuse de l'avoir annoncé deux heures trop tôt », Le Huffington Post, (lire en ligne)
6 commentaires:
Je chercherai ce petit livre, il me remettra sur la piste de cette romancière que j'ai trop peu lue jusqu'à présent.
La mort de Godard m'a fait penser aux récits d'Anne Wiazemsky sur ses débuts au cinéma, sur leur brève vie commune. Revu "Le Mépris" à la télévision, sans enthousiasme.
Souhaitons que vous puissiez rencontrer cette autrice polonaise Olga Tokarzuk. Les passages lus donnent envie de continuer la lecture. J'ai vu hier dans le cadre des Journées du Matrimoine le film : Delphine et Carole, insoumuses avec débat à la fin de la projection. Découverte de la fabuleuse vitalité de Delphine Seyrig, de son charme extrême, grande admiration à son encontre et à Carole Roussopoulos. Seul grand regret, ce tabagisme visible à chaque plan qui les a probablement tué (j'avais revu deux jours auparavant : La maman et la putain. Même constat à chaque plan). Pour finir, je retiendrai ce slogan cité dans le film sur Delphine : il,y a plus inconnu que le soldat inconnu, sa femme.
Bonjour Zoë
Godart "chercheur halluciné" ...L'expression me semble juste pour décrire ce misanthrope. Il fait bouger les lignes , ce qui lui procura une aura qui dépassa son talent...
J'espère que vous rencontrerez votre autrice qui semble sympathique . Vous partez avec un mot-valise " Belle personne". Votre voyage et votre rencontre espérée en seront peut être facilitée. Elle me semble un brin utopiste cette Olga. Ces interrogations sont pertinentes, mais sa pierre restera philosophale....et la tendresse , bordel restera la grande oubliée...
Il ne faut pas confondre roman monde et livre épopée .. Nous avons devant nous l'épopée de Damoclès !!!
@Tania, pas d'enthousiasme non plus pour "Le mépris", j'ai abandonné "Prénom Carmen" après 10 MN.
@Godart, Delphine et Carole, un vrai plaisir. D une si féminine féministe. On ne pouvait pas l'insulter comme "mal baisée", l'anathème favori de l'époque.
@PV votre dernier jeu de mot fait froid dans le dos. 😒
J'ai lu de cette autrice, Nobelle de littérature 2018/2019, Sur les ossements des morts : une jolie enquête policière sur des meurtres inexpliqués de chasseurs ; on a l'impression durant tout le déroulé de l'intrigue que ce sont les animaux qui se vengent. Très beau et sensible hommage à la nature et aux bêtes. J'avais beaucoup aimé.
https://www.babelio.com/livres/Tokarczuk-Sur-les-ossements-des-morts/411216
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