lundi 28 février 2011
Dakar off, suite et fin.
A la demande générale (ah ah ah!) je poursuis et termine ici mon voyage en terre africaine. Ca n'intéresse personne mais ça n'a pas d'importance, j'écris aussi pour ceux qui me lisent sans se manifester. Je les salue affectueusement, ils se reconnaîtront
Or donc, l'amie Babet qui a capté une partie des scènes qui illustrent ces derniers billets nous a proposé d'aller faire un tour hors de Dakar, à l'invitation d'un de ses amis, dont elle avait suscité une exposition en France.
Matar est venu nous chercher et nous avons dû traverser Dakar avant d'atteindre la route qui dessert Thiès et plus loin la bifurcation vers "la petite côte". Notre destination, L'école des sables de Germaine Acogny. Cette femme, chorégraphe de dimension internationale a installé cet espace dédié à la danse avec une vision d'artiste consciente que l'art est un des vecteurs les plus puissants du changement d'imaginaire qui doit présider à l'évolution des sociétés humaines. Elle accueille des stagiaires de tous les pays avec un double projet de transmission de son art et de restauration de la dignité africaine, d'ouverture à l'autre pour qu'il ne soit plus l'étranger. Les "frontières ça divise" et les arts comme la danse permettent sinon de les abolir, au moins de désamorcer leur effet de morcellement des peuples entre entités ennemies. C'est très jeunes que les enfants doivent rencontrer une discipline artistique et elle s'y emploie.
Elle était occupée, elle nous a cependant gratifiée d'un mot de bienvenue, "je connais ce grand monsieur" avant de nous convier à visiter le lieu avec le régisseur, puis de nous désaltérer d'un verre de bissap, ce que nous avons fait, après avoir discrètement assisté à une répétition et arpenté les différents espaces plantés sur le sable.
Nous sommes ensuite partis visiter le village de Toubab Dialaw, l'école est située un peu à l'intérieur des terres de ce petit village de pêcheurs. On y trouve l'Espace Sobo Badé, un hôtel construit dans les années 70 par un poète et metteur en scène haïtien Gérard Chénet.
C'est un univers étrangement créole où se superposent les influences vaudou, bouddhiste et sénégalaise.
Tous les bâtiments sont recouverts de divers appareillages de terres cuites, de pierres de lave, de coquillages. Le lieu comprend une scène où sont donnés des spectacles et on y prodigue des cours de théâtre, de sculpture, de céramique, de batik, de danse.
Le contraste avec l'ambiance de Dakar nous portait à la langueur. Nous sommes allés marcher pieds nus sur la plage, sans déranger les chiens qui dorment un peu partout. Nous avons déjeuné dans une petite gargote qu'un Belge retraité qui passe là ses hivers (eh oui, tentant pour les vieux os le soleil tropical) nous a recommandé : moins cher, meilleur qu'ailleurs.
Il est vrai que le thiof était excellent. Nous avons discuté avec Matar de la difficulté de vivre de son art, à une époque où quiconque peut désormais faire des photos, les retoucher. C'est l'œil qui change tout nous a-t-il dit. Ça pourrait sembler un truisme et pourtant...
Y a-t-il des problèmes de faim au Sénégal lui ai-je demandé en décortiquant mon poisson. Non, pas vraiment parce que le principe de solidarité, très actif au Sénégal, oblige au partage. Il y a toujours un membre de la famille ou un voisin qui donnera à manger. Il est vrai que les enfants et les jeunes que nous croisons ont l'air plutôt en bonne santé. Pas d'obésité ou très peu, des handicapés, mais moins qu'avant, la vaccination a commencé de faire reculer quelques unes des maladies graves comme la poliomyélite, la rougeole ou la tuberculose. Ce sont le paludisme et la bilharziose qui restent les maladies les plus courantes. Le taux de personnes touchées par le Sida serait un des plus faibles d'Afrique (0,9% selon l'ONUSIDA). Le problème principal de la santé au Sénégal est la libéralisation outrancière des dernières années (merci les Plans d'Ajustement Structurels!) qui a réduit l'accès des plus pauvres à la santé et la concentration des moyens sur Dakar au détriment du reste du pays. Enfin, les étudiants sont catégoriques sur le sujet : l'université ne forme pas le nombre de médecins nécessaires au pays.
On ne peut pas quitter le Sénégal sans souligner que la guerre civile perdure en Casamance. Le conflit a fait plusieurs centaines de victimes notamment à cause des mines anti personnelles disséminées sur le territoire. Depuis l'accord de paix signé en 2004, le déminage n'a toujours pas éradiqué le danger de ces infâmes saloperies. Et la Casamance reste une zone de tensions. Nos deux amis vidéastes qui étaient restés après notre départ pour tourner un film pour la paix en Casamance en ont fait les frais et se sont retrouvés inculpés de trafic d'armes. (N'importe quoi!) Ils ont finalement été relâchés, sans doute parce qu'une mobilisation immédiate s'était organisée.
En dépit de tous ses handicaps, je reste optimiste pour l'Afrique. Son retard sera son avance dès que les générations montantes, qui n'ont jamais connu la colonisation et n'ont aucune intention de se laisser enfouir dans le substrat du monde, décideront non plus de fuir vers l'illusoire richesse de l'Occident mais de se coltiner le développement de leur pays, ce qui passera par l'évacuation des vieux chefs obstinément accrochés à leurs palais et obligeamment encouragés dans leurs exactions par les puissantes ploutocraties mondiales .
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30 commentaires:
Le président himself devrait vous lire, lui qui asséna que les Africains traînaient des pieds pour entrer dans l'histoire...
JEA m'a coupé le blé sous le pied : mais je cite justement ce matin sur mon blog (pub gratuite) le fumeux "discours de Dakar" écrit le 26 juillet 2007 par Guaino pour Sarkozy...
=> Apothéose now <=
pour ce dernier article sur votre incursion-excursion au Forum : félicitations à la rédactrice et aux photographes !
Merci pour ce rappel de souvenirs très chers...
comment ça "qui intéresse personne" ??? madame Zoë, vous faites la bête pour qu'on vous contredise ;-)
@JEA, il vaut mieux qu'il ne me lise pas, je risquerais d'être fichée comme activiste forcenée.
@DH, merci pour eux.
@manouche, chers mais gratuits.
@mâme k, non, je constate une réduction du nombre de visiteurs mais ça doit être conjoncturel comme on dit. En tout cas, vous, même en vacances, vous suivez madame l'encyclopédiste.
Je suis venu,j'ai lu et suis resté perplexe même si je suis content que reveniez optimiste pour l'Afrique.
Du temps de Coluche quand Monique tomba enceinte, on croyait qu'elle avait avalé une pomme !
Au sénégal la fille Diarra s'est faite remarquer en suçant un gros baobab ...
La graine fut dure à d'avaler!
Oui, vraiment, c'est demesuré l'Afrique !
@PV perplexe ? C'est moi qui le suis à la lecture de votre commentaire
@Vinosse, la fille Diarra ? Connais pas cette histoire.
Merci pour ce témoignage de terrain. Ça change du parti-pris de dramatisation des grands médias.
Ça manquait pas trop de mecs ?
(c'est un joke, hein ! ;)
Pfff... Pas moyen de filmer en paix !
(c'est une joke.)
A lire les prises de bec qu'engendrent les avis contradictoires sur les "qualités"de telle ou telle œuvre picturale qui ne furent jamais que,chef d'œuvre ou pas, la tentative d'échapper à de lancinantes interrogations, de créer un nouvel imaginaire...je suis perplexe sur la capacité de la culture à révolutionner les rapports entre les hommes. Pour ce qui concerne l'Afrique je me méfie de la "culture d'aéroport"
Bien sûr que je continue de vous visiter Zoë ;)
Merci pour toutes ces photos africaines ensorcellantes et pour l'optimisme auquel je souscris aussi pour ce continent.
Sorcière.
En librairie :
http://www.lemonde.fr/livres/article/2011/03/01/de-la-violence-a-la-persecution-femmes-sur-la-route-de-l-exil-de-smain-laacher_1486736_3260.html
@Appas, oui on préfère s'apitoyer et ne rien faire, voire les traiter en "catégorie dangereuse"
@dom A, ah ah !
@ArD, on ne sait pas ce qu'il adviendra des films, censure sans doute.
@PV, la culture d'aéroport ? Koikess en l'espèce?
@Sorcière, venir sur la pointe du balai ?
@JEA, merci pour le lien. Hélas! Au FSM, une haïtienne témoignait des violences subies par les femmes dans les camps de réfugiés du tremblement de terre. Mais certains continuent à prétendre que la condition des femmes vaut bien celle des hommes!
Il fut un temps où je participais à travers une association à la promotions de l'art africain. Dans ce cadre, un ivoirien, proche de Leopold Senghor s'inquiétait de la tendance des artistes africains à faire des œuvres pour l'occident, la "culture d'aéroport". Il s'inquiétait fort de la vulgarisation du Djembé, du balafon, de la professionnalisation des danses africaines et des conséquences négatives, selon lui sur la vie des villages.
Je viens de voir une exposition composée moitié d'œuvres japonaises moitié d'œuvres africaines. Ces dernières sont sans racine. C'est un constat pas un jugement.
@PV, il ne faut pas confondre l'artisanat touristique fabriqué pour répondre au marché et des artistes comme Ousmane Sow. Germaine ou Matar sont dans la seconde catégorie et bien d'autres.
http://akwaba-africa.blogspot.com/
Nous aussi nous produisons beaucoup d'articles d'aéroport.
J'ai une vision un peu différente, ici, dans le grand nord, le Nunavik, et plus au sud dans certaines réserves les artisans se regroupent en coopératives pour fabriquer de petites séries de sculptures, gravures et autres pièces destinées aux touristes "d'aéroports" comme vous dites. Ceci leurs permet de mieux vivre, tout cela sans patrons pour les faire chier. je crois qu'il y a un enseignement pour les artisans africains. Tout ceci n'empêche pas les vrais artistes, parmi ceux-ci de créer des oeuvres beaucoup plus substentielles bien empreintes de leur civilisation respective. La plus petite partie d'une économie fait également cette économie, d'autant que l'Art est trop souvent bien confiné dans d'obscures collections de richissimes, loin du monde, très très loin du monde!
@MMWH, bien d'accord, mieux vaut fabriquer, peinard des objets qu'un touriste embarquera pour garder trace de sa visite, sans s'embarrasser d'un boss et de son engeance contrôleuse. Quant à l'Art il est plus que douteux d'en définir les qualités et il est souvent sous des vitrines ou dans des coffres. Bonjour au Nunavik!
Zoë:
Je n'évoquais pas bien entendu l'art de pacotille, les souvenirs de voyage mais la tentation pour de répondre aux attentes et aux schémas des occidentaux de façon à pouvoir être invités, participer, immigrer. Il y a là le danger d'une perte identitaire d'autant plus forte que les bouleversements en Afrique accentuent les pertes de repères.C'est un vrai questionnement.
@P.V et Zoé je ne parlais pas de pacotille de grandes productions contrôlées encore une fois par les chinois qui écument tous les bleds pour copier avec de vagues ressemblances,éléments folkloriques ou vêtements etc. Plutôt petites séries de qualité et abordables, une litho sera toujours une litho mais il y a moyen...Pour ce qui est d'une forme de "métissage" artistique au contact des autres, c'est presque inévitable et lorsque cela devient de l'ordre de la commande, il y a toujours la liberté de l'artiste et ça les grands parmi eux l'exercent.
Alors Zoé, après l'Afrique une p'tite virée en Asie pour une analyse in situ du système "D"
@PV, la perte identitaire, l'identité, je me méfie beaucoup du concept. Je crois que noq identités sont nomades et nous sommes ce que nos rencontres nous impriment. Pour ma part, j'aurais détesté m'en tenir à l'identité originelle. Le métissage est une bonne chose, en art comme en biologie.
@MMWH, excellent la débrouille asiatique. Une partie du monde que je n'ai pas explorée, sauf un peu le Népal.
C'est n'égale...J'irai pas en drakkar à Dakar mais en pédalo !
J'ai animé , il y a longtemps, une ONG qui intervenait au KIWU. Cette expérience m'amenait à penser que les africains avaient beaucoup à nous apprendre, en particulier, dans les rapports sociaux, dans le rapport au temps. Encore faut il , pour pouvoir le faire, qu'ils ne soient pas trop phagocytés par nos modes de fonctionnements.ce qui me semble être devenu le cas.
@L....c, et pourquoi pas en hélicoluluc ?
@PV, j'ai passé quelques jours à Bukavu sur le lac Kivu. Cette partie de l'Afrique est magnifique pour ses réserves en flore et faune. En revanche la guerre civile y assombrit la tête des gens.
Zoë:
Si vous avez bénéficié de l'eau courante et potable en plaine. Vous pouvez remercier mon ONG qui a fourni la logistique, le matériel, malgré Mobutu et Amin Dada. L'histoire s'est terminée par plusieurs tragédies. Le jeune ingénieur envoyé, là bas, est mort avec ses parents dans un accident de voiture. Un de mes collègues administrateurs est mort dans mes bras ( on y meure très bien dans mes bras, lui n'en est pas revenu, je fais ma pub , au passage). Puis , il y a eu les génocides que vous connaissez. Les douches que nous avions fait bâtir ont servies à la force française d'intervention.Originellement, la population vivait en haut des montagnes près des sources d'eau . Les colons ont descendus ces gens pour les faire bosser , nous avons descendu l'eau. Puis, tout le monde s'est fait descendre.
Oui, c'est l'oeil qui fait la différence, il a raison, cet artiste, bien entendu !
J'adore aussi la maison style Facteur Cheval, quel délice de s'y balader, j'imagine...
Merci Zoë.
@PV,me rapelle de quel seau était l'eau que j'ai bu, juste du charme des pagayeurs chanteurs sur le lac Kivu.
@Sophie K, hé hé, une petite résurrection, t'as plus de fièvre ? Alléluia! Le délice pur était de marcher pieds nus au ras des vagues.
Zoê:
Zoê:
Vous vous intéresseriez un tant soit peu à la politique, au sort réservé à votre prochain, à la marche du monde, vous auriez vu, aux abords du lac Kivu, "Solidarité paysanne" prendre mille et une initiatives pour redonner leur autonomie à la population locale,malgré les "indics" de Mobutu au lieu de vous laisser hypnotiser par la "musculature d'aéroport" des piroguiers chanteurs.
Puisque vous avez acquis une expérience de la navigation lacustre, peut être pourriez vous nous indiquer comment couler "la marine" et ne pas tomber dans les lacs d'une élection où le chantage sera le plus fort chant des bateleurs.
Je compte sur vous.
Bon Week end!
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